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1869 – 1943 : Ernest LIPMANN

Portrait Ernest LIPMANN Bulletin Spécial Lip Usine de Palente Mars 1961 Introduction @HAOND Clément

Portrait officiel d’Ernest LIPMANN vers 1920 / Source : Bulletin Spécial Lip pour la construction de l’usine de Palente, Mars 1961, fond privé HAOND Clément

Second représentant de la famille LIPMANN en tant que personnage éminent de la vie horlogère de Besançon, Ernest David LIPMANN va prendre la succession, avec l’aide partielle de son frère, Camille et de sa sœur, Jenny, du Comptoir LIPMANN, alors encore domicilié au 14 Grande Rue (Besançon). 

Artisan majeur de la dynamique expansionniste de celle qui ne s’appelle pas encore Lip, Ernest reste à jamais lié au développement de la première véritable usine de production de la marque aux 3 lettres, en faisant passer au début des années 1900 l’aventure horlogère de son père au stade d’industrie avant-gardiste. 

Né le 2 Août 1869 au 30 rue d’Arènes à Besançon, en plein cœur de la nuit (00h30), Ernest David LIPMANN baigne immédiatement dans une atmosphère d’émulation horlogère, tant du côté paternel que du côté de sa mère. 

Son père, Emmanuel LIPMANN, fondateur de ce qui n’est encore, en cette fin de décennie 1860, qu’un modeste Atelier de fabrication horlogère, n’est alors âgé que de 24 ans. Sa mère, Caroline Geismar, également née en 1844, apporte une caution supplémentaire à cette atmosphère, puisque sa famille est une des plus dynamiques dans le milieu de la conception de montres de qualité à Besançon. Pour preuve, l’état civil du tout jeune Ernest nous renseigne aisément sur le caractère « horloger » de sa naissance, puisque cette dernière fut reconnue en présence de :

  • Gabriel GEISMAR, monteur de boîtes [de montres] âgé de 27 ans et demeurant à Besançon (proche d’Emmanuel LIPMANN et frère de Caroline GEISMAR)
  • et d’Isidore SEHNERTZ, horloger âgé de 21 ans et demeurant également à Besançon (certainement un ami ou un employé d’Emmanuel LIPMANN)
Registre naissance Ernest David Lipmann 2 Aout 1869 besançon cote 1E773 page 245 @Archives Municipales de Besançon

Extrait du registre des naissances pour l’année 1869 à Besançon, naissance d’Ernest David LIPMANN le 2 Août 1869 Source : Archives Municipales numérisées de Besançon, memoirevive.besancon.fr, Registre des Naissances, 1869, cote 1E773, page 245, 727e naissance

Au crépuscule du XIXe siècle, Ernest va prendre de plus en plus d’importance dans la gestion de la fabrique de montres LIPMANN, en atteste la transformation du Comptoir LIPMANN, entité créée en 1867, en S.A. d’Horlogerie LIPMANN Frères en 1893, puisque Camille, né en 1872 se joint à l’affaire. L’ascension vers la tête de l’entreprise sera lente mais inexorable, le savoir-faire technique et économique d’Ernest œuvrant à la dynamique exceptionnelle de la firme LIP entre la fin du XIXe siècle et la Première Guerre Mondiale, le rôle de gestionnaire financier et administratif de Camille faisant le reste

Le chronomètre LIP à l’assaut de la France

La fin du XIXe siècle marque pour les montres frappées du logo LIP la fin de l’établissage, et les débuts de l’aventure manufacturière de l’entreprise Lip. Emmanuel LIPMANN (père) garde un regard averti sur la gestion de son entreprise, dont il semble, d’après les archives en notre possession, que la succession véritable n’intervienne qu’après la Première Guerre Mondiale. Toutefois, le rythme de l’entreprise s’accélère à partir de 1900, la mise en production du premier calibre entièrement manufacturé par LIP en 1899, le mouvement 20.3, probablement impulsé par le dynamisme et la jeunesse des 3 enfants d’Emmanuel renforçant cela. 

Ernest (fils aîné) va dans ses jeunes années préparer Saint-Cyr, école militaire de prestige dispensant une formation intellectuelle loin des considérations techniques de la conception horlogère. Ceci va lui conférer, une fois au sommet de l’entreprise, une méthode de gestion innovante, en rupture absolue avec le traditionalisme horloger de l’époque. 
Développant la publicité, et faisant œuvre, avant l’heure, d’un « marketing » féroce, Ernest LIPMANN, sous le joue de son Père, développe la production de montres soignées LIP, à tel point qu’il faut alors songer à déménager l’usine de production de l’étroit atelier du 14 de la Grande Rue. Principal artisan de cette évolution majeure, ou agissant officieux dans l’ombre de son Père, Ernest est toutefois la figure du passage à l’ère manufacturière de l’affaire LIPMANN. 

Usine montre Lip de la mouillère vers 1935 + atelier usine de la Mouillère vers 1940

4e de couverture d’un catalogue de fournitures Lip-Sam représentant l’usine de production Lip du quartier de la Mouillère, vers 1935 / Vue sur un atelier de l’usine Lip de la Mouillère de contrôle ou d’assemblage, photographie du Service Interne de photographie LIP, vers 1940. Sources : fond privé HAOND Clément

Dans la première moitié de l’année 1903, une usine flambant neuve voit le jour, au cœur du quartier de la Mouillère (au 14 rue des Chalets), en périphérie immédiate de l’hyper-centre de Besançon. Rapidement, la conception et la fabrication de montres de poche et de quelques montres-bracelets augmentent, parallèlement à la grande fiabilité et à la construction exemplaire des calibres qui les équipent. Sous l’impulsion des deux générations de LIPMANN, des mécaniciens, des horlogers, des ingénieurs sont embauchés, portant l’effectif  à 80 salariés (contre une vingtaine en 1893). La grande qualité qu’atteint ainsi la production sortant de l’usine de la Mouillère est saluée par plusieurs certifications, dont la plus prestigieuse d’alors, celle de Chronomètre, délivré par l’Observatoire National de Besançon, l’un des 3 organismes dans le monde pouvant certifier le degrés de précision d’une montre. Cette distinction s’appose aussi bien sur des montres de gousset, plates, demie-plates ou plus épaisses que sur des montres bracelets dont le diamètre est inférieur à 22 mm. 

Pendulette Montre Lip vers 1920 publicitaire eaux thermales Ernest LIPMANN Mouillère Besançon

Pendulette publicitaire « Montre Lip » des années 1920, faisant la promotion des eaux thermales dans les officines / Source : Fond privé HAOND Clément

Ernest LIPMANN s’impose à la tête de l’entreprise

En réalité, il faut attendre la Première Guerre Mondiale pour qu’Ernest LIPMANN, et plus minoritairement son frère et sa sœur, administrent l’ambitieuse entreprise. À la mort du patriarche en 1913 (Emmanuel LIPMANN), la seconde génération de LIPMANN n’a plus de barrières pour s’établir à la tête de l’entreprise, et imposer sa vision du développement économique et industriel que doit suivre la manufacture LIP.
La Guerre, déclarée en 1914, va marquer, un temps, un coup d’arrêt à l’expansionnisme d’Ernest LIPMANN, dont la société qu’il dirige compte pas moins de 150 salariés, dont environ 55 venus de Suisses. Participant ardemment à l’Effort de Guerre Français, la Manufacture LIP va alors gagner ses lettres de noblesses au cours d’un conflit long, destructeur et traumatisant. Nous pouvons ainsi retrouver la marque LIP sur des cadrans de montres d’aviation après 1917 environ, mais également aux mains des compagnies d’artilleries qui en usent pour régler leur tirs, ou encore, et c’est une nouveauté qui va accélérer la vigueur de LIP au sortir de la Guerre, aux poignets de soldats et officiers de l’Armée Française. La Grande Guerre sera ainsi un tremplin aux activités de la manufacture LIP, dont la réputation d’infaillibilité est encore renforcée.  

La Guerre marque la consécration d’Ernest LIPMANN, puisque ce dernier devient Président de la Société Anonyme LIPMANN Frères en 1918, son frère Camille LIPMANN prend quant à lui le rôle de Directeur. Dispensant leur temps entre l’usine de production de Besançon et les bureaux Parisiens du Boulevard Sébastopol, l’histoire s’accélère pour la société LIP. Dès 1918, Ernest fait concevoir par son ingénieur en chef Camille JACOT le calibre à ancre LIP 26, mouvement rond moderne et perfectionné qui sera en usage jusqu’à la fin des années 1940.
S’en suit une fièvre manufacturière, rompant largement avec les décennies d’établissage du XIXe siècle. 1920 marque la naissance du calibre 43AC (19 »’ / 42.8 mm), 1921 celle de deux mouvements, le 39 et le 40 (respectivement 17 »’ / 38.3 mm et 18 »’ / 40.1 mm), 1922 fait état de la création du calibre 43 (19 »’ / 42.8 mm) et 1925 marque la mise en production du calibre 41 (18 »’ / 40.1 mm). En une génération, Ernest va être le père près de 10 mouvements (ou variantes) de montres de poche, diminuant drastiquement l’importation de mouvements étrangers, provenant notamment de Suisse. 

Le Père du mouvement T18

Mais ce que l’histoire horlogère retiendra de l’oeuvre magistrale d’Ernest LIPMANN, c’est la conception par l’entreprise qu’il administre d’un mouvement révolutionnaire de montre bracelet, le T18, en 1933. 

Lip T18 plan technique montre Besançon usine de la Mouillère Ernest LIPMANN @SHL

Plan technique du calibre Lip T18 (1933 – 1950) / Source : Service Histoire Lip

Il s’agit là d’un mouvement extraordinaire par son faible encombrement, seulement 18 mm de large pour 28.5 mm de long (7 »’ 3/4 x 12 »’ 1/5), sa conception intelligente fruit de l’ingénieur maison André DONAT permet une grande variété d’habillages. Mouvement d’école, puisque nombre d’Écoles d’Horlogerie formeront leurs élèves sur le mouvement T18 durant les années 1940 et 1950, c’est également un mouvement inscrit dans son temps, peut-être même en avance par sa conception réfléchie, dont l’armée va se doter pour équiper certains de ses officiers, en souvenir de la longue tradition de qualité qui unie LIP à l’Armée Française. 

L’innovation se poursuit au sein de la manufacture LIP, avec la commercialisation au milieu des années 1930 de pendules électriques dont les brevets sont établis en collaboration avec la firme Suédoise ERICSSON. Ernest LIPMANN déposera, en son nom, plusieurs brevets relatifs à l’usage de l’électricité dans l’horlogerie, assurant stabilité des réglages et des performances, et absence de remontage quotidien. Jusqu’à la Seconde Guerre Mondiale, Ernest ne cessera d’innover, de pousser plus loin le degré de qualité, tant dans la conception, la fabrication, que dans le système de vente ou de garantie.

Enfant terrible du patronat horloger Français, Ernest LIPMANN va bousculer ce milieu, au sein duquel il se heurte au conservatisme de l’ancienne génération. Réactionnaire et en rupture, Ernest va, au cours des années 1910, 1920 et 1930, attaquer frontalement des notables de l’horlogerie, à l’instar du procès que ce dernier perd face à Auguste RODANET, Parisien lié aux activités de la maison Genevoise Patek Philippe et fondateur de l’École d’horlogerie de Paris, au sujet d’un affiche Lip placardée dans les rues moquant ouvertement RODANET, tout en faisant ainsi de la réclame pour la marque LIP.

1930 – 1943 : La consolidation d’une affaire horlogère Française puissante

Dans une réécriture quasi parfaite de l’Histoire, les années 1930 symbolisent l’avènement d’une nouvelle génération, la troisième, impulsée par Ernest et son frère Camille. Leurs enfants respectifs intègrent tour à tour l’entreprise à des postes clés, dans l’optique de pérenniser l’entreprise familiale, qui fête alors ses 60 années d’existence. Lionel (1902 – 1990) et Frédéric (Fred, 1905 – 1996), fils d’Ernest, se joignent ainsi à l’entreprise, tout comme James LIPMANN, fils de Camille. Le plus célèbre, et celui que retiendra l’Histoire est le second fils d’Ernest, Frédéric, plus connu sous son nom d’après Guerre, Fred LIP.

Digne successeur de son Père, Frédéric s’imposera à la tête de l’entreprise dès 1945, après avoir rejoint l’usine de la Mouillère au poste capital de Directeur Technique en 1936.

Pour en revenir à l’avènement d’Ernest LIPMANN comme puissant industriel Français et honorable passeur de réussite entrepreneuriale, notons simplement qu’Ernest sera fait Chevalier de la Légion d’Honneur au titre de l’enseignement technique le 16 Juillet 1922, puis élevé au grade de Commandeur en 1936, ce qui marque l’accomplissement d’une carrière dédiée au développement de l’industrie.

L’éclatement de la Seconde Guerre Mondiale témoigne de la puissance d’Ernest LIPMANN et de l’omnipotence de l’entreprise qu’il dirige. Son frère Camille étant en délicatesse financière dans les années 1930, va se retirer de la gestion de l’entreprise. Ernest LIPMANN est ainsi seul aux commandes de Lip. Alors que Frédéric LIPMANN organise la poursuite de la production, tant pour fournir l’Armée Française en obus et appareillages divers que pour tenter d’alimenter le réseau HBJO en montres LIP dans l’usine d’Issoudun (Indre) jusqu’en 1941 puis dans l’usine de Valence (Drôme) entre 1941 et Novembre 1942, Ernest LIPMANN reste à Besançon pour surveiller l’usine de la Mouillère, de laquelle il est progressivement écartée par les forces d’Occupation. Ernest et sa femme, Elise LIPMANN, resteront au chevet de l’usine de la rue des Chalets jusqu’en 1943. 

Usine Lip de la Mouillère Seconde Guerre Mondiale et Occupation Allemande 1939 - 1945 @MPC et H-J BELMONT page 23 (1)

Évacuation et pillage de l’usine de la Mouillère par l’armée Allemande en 1944 / Source : M.P. COUSTANS et D. GALAZZO, Lip des heures à conter, Glénat, page 23

Après l’intensification des contrôles de l’Occupant Allemand à Besançon, Ernest et sa femme fuient la cité Bisontine. Ils sont arrêtés à Aix-les-Bains le 5 Novembre 1943, puis conduits au camp d’internement de Drancy (Île-de-France) en qualité de prisonniers d’obédience Judaïque et d’industriel notoire Français. Le 20 Novembre, ils sont transférés par le Convoi N°62 au camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau. Séparés, Ernest (matricule N°7601) et Elisa LIPMANN (matricule N°7602) meurent en déportation le 27 Novembre 1943. Frédéric leur survivra en se réfugiant dans le Vercors, et c’est ce dernier qui poursuivra l’oeuvre de son Père en donnant à l’entreprise LIP un essor nouveau, en 1945.

Profil en Une du Journal politique Le Constitutionnel du Samedi 28 Avril 1906 d’Ernest LIPMANN

Une du Journal politique Le Constitutionnel du Samedi 28 Avril 1906

Journal d’informations politiques fondé par Joseph FOUCHÉ en 1814, ce quotidien de référence, grâce à la richesse de ses informations et à l’acuité de ses analyses, livre un portrait d’Ernest LIPMANN édifiant sur la popularité de ce dernier : 

ERNEST LIPMANN

          Les gens bien informés connaissent sympathiquement le nom entier : mais tout le public en sait et en répète avec admiration la première syllabe. C’est cette première syllabe en effet qui estampille les fameux chronomètres dont la suprématie s’est si vite affirmée parmi nous. Les parisiens avertis n’ignorent pas la physionomie d’Ernest Lipmann. De stature moyenne, dans toute la force de l’âge, un front vaste, des yeux d’observation réfléchie, tout un visage d’énergie qu’adoucit la barbe, il donne l’impression d’une déductivité rapide et d’une volonté qui ne veut qu’à bon escient. 
          Il est à la tête de la célèbre maison Lipmann frères. On sait l’heureuse fortune de sa création le chronomètre Lip.
[………]
          Ernest Lipmann s’est entièrement consacré à son œuvre. Au contraire de beaucoup qui, l’effort donné, attendent le résultat prévu, lui, ne cesse pas l’effort quelle que soit la victoire. Son activité et sa vigilance sont continues; et son labeur méthodique ne s’interrompt jamais. D’ailleurs, il joint à sa suprême compétence technique le mérite d’être un économiste et un administrateur hors du pair. Il en a donné maintes preuves tant comme membre du Comité français des expositions à l’étranger. On sait qu’il a son frère comme précieux collaborateur. L’un et l’autre divisent leur temps entre Paris et Besançon, la maison de gros du boulevard Sébastopol et l’usine de la Mouillère. Mais qu’ils soient ici ou là, leur chronomètre ne peut marquer à chacun que l’heure du succès.

Anatole Mauret
28 Avril 1906

Sources :

  • COUSTANS Marie-Pia et GALAZZO Daniel, Lip, des heures à conter, Édition Glénat, Grenoble, 2017
  • MAUERHAN Joëlle, Horlogers et Horlogères à Besançon, 1793-1908, un passé prêt à revivre, Édition L’Harmattan, 2018
  • LIP Fred, Conter mes heures, Édition Parnasse, Paris, 1973
  • Fond de documentation privé sur la Manufacture Lip, HAOND Clément
  • www.retronews.fr / Site de Presse de la Bibliothèque Nationale de France, mots-clés : LIPMANN Ernest 1869 à 1943. 
  • www.gallica.bnf.fr / Bibliothèque Numérique de la Bibliothèque Nationale de France, mots-clés : LIPMANN Ernest 1869 à 1943. 
  • memorialdelashoah.org / Recherches sur Ernest LIPMANN et Elisa LIPMANN

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