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1903 – 1960/62 : L’usine moderne de la Mouillère de la S.A. d’Horlogerie LIPMANN Frères, rue des Chalets.

1903 – 1960/62 : L’usine moderne de la Mouillère de la S.A. d’Horlogerie LIPMANN Frères.

Œuvre majeure de la seconde génération horlogère de la famille LIPMANN, emmenée alors par Ernest, la construction ex-nihilo de l’usine Lip au sein du quartier de la Mouillère à Besançon symbolise l’avènement de l’ère industrielle pour la fabrique de montres et d’équipements mécaniques. Suivant inlassablement le cours de l’histoire, chaque génération de LIPMANN va transformer l’entreprise, en lui offrant les dernières innovations des époques successives qu’elle traverse. 

Le XXe siècle permet à Ernest LIPMANN, fils du fondateur de l’affaire horlogère en 1867, de moderniser la production de montres et chronomètres estampillés Lip. L’évolution incessante des procédés industrielles dès la fin du XIXe siècle peut garantir un dynamisme exceptionnel au paysage horloger de Besançon, à condition que la vieille avant-garde d’horlogers et de sous-traitants s’y plie, et dans cette branche traditionaliste et conservatrice, rien n’est moins sûr. 

Usine montre Lip de la Mouillère rue des chalets en 1953 + immeuble du SIDHOR en tête facture vidée des autres habitations

Gravure de l’usine de la Mouillère et du bâtiment du SIDHOR (croix) en 1953 (la rue est vidée des autres habitations et usines à proximité) / Source : En tête d’une facture Lip de 1953, Fond privé HAOND Clément

La fin de l’établissage, pour l’essor de la manufacture.

La rupture avec l’établissage s’opère lors de la passation de pouvoir entre Emmanuel et ses fils, Ernest et Camille LIPMANN. Ces derniers, prenant officiellement les rênes de l’entreprise en Janvier 1901, vont, notamment sous la férule d’Ernest, profondément modifier le Comptoir LIPMANN, en lançant la construction dès le début du XXe siècle, d’une usine de production entièrement neuve et pensée pour l’horlogerie. À la faveur du déclassement de la zone militaire ceinturant la Boucle (quartier historique de Besançon), les zones marécageuses du quartier de la Mouillère deviennent constructibles. Les entreprises notamment horlogères ou dépendantes de l’horlogerie se ruent alors sur ces terres inexploitées, vides d’industries. 

Massée au sein de la Boucle et dans la rue Battant, la fabrication de montres à Besançon manque d’oxygène. La contrainte spatiale du méandre que décrit le Doubs, et des fortifications de la ville ne permettent pas à cette activité de se développer à sa convenance, et d’assouvir les ambitions d’industrialisation de la nouvelle génération d’horlogers. L’ouverture de nouveaux terrains, qui plus est vierges, crée une atmosphère d’émulation, d’effervescence à Besançon, alors capitale de l’Horlogerie Française, et principal concurrent de la Suisse. Les frères LIPMANN n’échappent pas à cela, d’autant plus que l’atelier obsolète fondé par leur père au 14 de la Grande Rue (Besançon) ne permet de concevoir qu’un nombre restreint de montres manufacturées, une grande majorité de la production étant faite d’assemblage de pièces achetées à l’extérieur et fabriquées sur place. L’imagination des LIPMANN ne pouvait se borner à ces opérations fastidieuses, et c’est sur ce terrain fertile que la décision, début 1900, est prise de construire l’usine de la Mouillère, 4 rue des Chalets. 

L’usine de la Mouillère.

Édifiée sur deux étages à l’Est de Besançon, l’usine Lip est décrite par la réclame en 1904 comme une « Manufacture d’horlogerie soignée par procédés mécaniques, avec outillage perfectionné » (Source : La Fédération Horlogère Suisse du Jeudi 2 Juin 1904). Initialement cantonnée à quelques bâtiments, l’usine de la Mouillère va se développer au gré du dynamisme de l’entreprise. Absorbant au fur et à mesure les constructions jouxtant l’édifice principal, l’usine Lip se développe à la manière d’un arbre dont les rameaux occuperaient petit à petit l’espace disponible, sans véritable unité architecturale. 

Atelier de polissage des boîtiers et cuvette - Entrée de l'usine Lip de la Mouillère 1908 @Enquête de la France Horlogère - MAUERHAN

Atelier de polissage et Entrée de l’usine Lip de la Mouillère, dans une enquête de la France Horlogère datée de 1908, in MAUERHAN Joëlle, Horlogers et horlogères à Besançon 1793-1908, un passé prêt à revivre, L’Harmattan, 2019.

Tentaculaire lieu de production dans lequel s’anime, dès 1903, 80 salariés. La plupart s’attellent à la fabrication de la quasi totalité des éléments constitutifs d’un mouvement d’horlogerie, le reste des ouvriers est chargé d’assembler les fournitures ou les ébauches que la S.A. LIPMANN Frères achètent auprès de fournisseurs Français ou Suisses. Volontairement prévue trop vaste afin d’absorber l’optimiste développement de l’usine prévu pour les décennies à venir, des sous-traitants de Lip s’installent dans un premier temps rue des Chalets (galvanoplastie, finisseurs, etc …) afin de rentabiliser l’espace. Rapidement, l’usine emploie 110 personnes, dont des horlogers, des mécaniciens, des outilleurs qui fabriquent les outils et des éléments de machines-outils ou des employés commerciaux et administratifs.

Grande rue du village de Broût-Vernet (Allier), vue sur une affiche Lip vers 1910 @SHL

Vue sur une affiche Lip vers 1910, grande rue de la commune de Broût-Vernet (Allier) / Source : Service Histoire Lip

Pensée dès les plans comme une usine horlogère moderne, les bâtiments de la rue des Chalets qu’occupent Lip sont spacieux, dotés de l’électricité et du chauffage central, deux révolutions d’une grande modernité. Dès 1910, une intense et innovante campagne de promotion de la marque Lip voit le jour. Les trois lettres sont reportées sur de grandes affiches qui tapissent les villes et les villages de France, tout comme les pages des journaux en vogue, l’Illustration en tête. Ainsi, la demande augmente fortement et près de 200 employés s’activent dans l’usine de la Mouillère, dont 55 horlogers Suisses, avant la Grande Guerre. L’emploi d’horlogers Suisses indique aisément la considérable notoriété dont bénéficie la fabrique LIPMANN. 
La Mouillère est agrandie une première fois en 1911 face à cette augmentation nécessaire de production, et ce, malgré la construction volontairement surdimensionnée de 1903. 

Les années 1920 sont synonymes de succès pour Lip, la marque ayant admirablement survécu à la Grande Guerre. Ernest LIPMANN est alors au commande de l’usine, qu’il veut à l’avant-garde. L’usine est alors à pleine capacité, et en publicitaire averti, Ernest décide d’ouvrir les portes de la Mouillère aux clients et journalistes. Un journaliste de la revue Horlogerie-Bijouterie va publier, dans le N° 235 en date de Juin 1922 un éloge panégyrique de l’usine Lip de la rue des Chalets : 

J’ai tenu à visiter les Usines Lip. J’en reviens émerveillé. Dès l’entrée, vous êtes frappés par le standard téléphonique dernier modèle et ses charmantes téléphonistes vêtues à la dernière mode de Paris.  Tout est clair, spacieux, aéré. Les ateliers ronronnent du murmure des machines-outils. Les ouvriers se déplacent à travers une forêt de cables, poulies, courroies, qui vous suggèrent les derniers films de Tarzan que l’on peut voir au Cinématographe. 
[…] En somme, chez Lip, nous avons une vision du monde de demain.

Cette extrait que nous retrouvons à la page 16 de l’ouvrage Lip de référence, Lip des heures à conter de M-P COUSTANS et D. GALAZZO (2017, Glénat) nous renseigne sur l’atmosphère de modernité qui règne alors chez Lip. 

Vues sur les Ateliers de l'usine Lip de la Mouillère photographies du Services Photographiques Interne Lip années 1935 - 1940

Vues sur les Ateliers de l’usine Lip de la Mouillère photographies du Services Photographiques Interne Lip vers 1935 – 1940 / Source : Fond privé de photographies HAOND Clément

Les années folles … vues de la rue des Chalets

Plan de l'Usine de la Mouillère par Charles Piaget

Plan à main levée de l’usine de la Mouillère réalisé par Charles PIAGET / Source : Fond privé HAOND Clément

La décennie 1930 apporte également son lot d’évolutions au sein de l’usine Lip. La dynamique expansionniste se poursuit en absorbant les maisons voisines, donnant un ensemble architectural hétéroclite. Les frères LIPMANN font installer un éclairage par tubes fluorescents à vapeur de mercure afin d’offrir un poste de travail lumineux aux 350 employés qui peuplent alors l’usine, en plus des larges baies vitrées typiques des ateliers d’horlogerie. Les murs se couvrent d’une peinture verte, et afin de garantir une production toujours plus qualitative, un parquet sans joint est posé dans les ateliers d’horlogerie. Cette dernière innovation structurelle permet de limiter la formation et l’accumulation de poussière, et l’encrassement des mouvements lors de la fabrication, du réglage ou de l’assemblage. 
Un dédale de couloirs, de pièces borgnes et d’escaliers étroits rythment la journée des employés Lip. L’adjonction de bâtiments d’origines diverses rend la circulation difficile dans ce qui s’apparente dorénavant à un labyrinthe. Distribuées sur plusieurs niveaux, dont des demis niveaux, il est complexe d’instaurer un roulement, avec la matière première qui entre par un côté de l’usine, et qui ressort de l’autre côté en montres finies. Un dessin de Charles PIAGET (mécanicien dès 1946 chez Lip et figure syndicale de Lip) permet de mesurer l’importance de l’imbrication et de la disparité des départements Lip, et l’énergie dépensée dans le transfert d’une pièce entre deux étapes, au sein de deux lieux de l’usine. 

La Seconde Guerre Mondiale aux Chaprais, et la révolution Fred LIP (1939 – 1960).

Photographie actuelle de l'immeuble du SIDHOR 23 rue de la Mouillère @MuséeduTemps exposition l'Horlogerie ds ses murs

Photographie de l’immeuble du SIDHOR réalisée par le Musée du Temps à l’occasion de l’exposition « L’horlogerie dans ses murs, lieux horlogers de Besançon et du Haut-Doubs » en 2019 / Source : Collection photographique du Musée du Temps, Besançon

La manufacture Lip va poursuivre son énergique ascension entre 1939 et 1960. L’usine de la Mouillère atteint le paroxysme de son développement spatiale vers 1950, tout juste après la construction entre 1947 et 1948 de l’immeuble du SIDHOR (Société Immobilière pour le Développement de l’HORlogerie). L’éclatement de la Seconde Guerre Mondiale et l’Occupation Allemande de l’usine de la Mouillère, puis son pillage lors de la débâcle par les troupes de l’Axe va fortement freiner la modernisation de la Mouillère. Vaisseau qui émerge du quartier, l’ensemble de bâtiments va toutefois connaître un retentissant bon en avant sous l’égide de Fred LIPMANN, qui prend les commandes de l’entreprise fin 1944. En 1948 – 1949, la Mouillère est une des premières usines horlogères dans le monde qui se dote d’une chaîne de montage semi-automatisée, mise au point par le département spécialisé en machinerie de Lip. En 1951, c’est un atelier de fabrication de cadrans qui prend place dans l’étroite usine. La même année, une montre est fabriquée en 24 minutes à la Mouillère, et cela, malgré la singulière imbrication de pièces et de lieux de production. Suivant une avancée de la rue Beauregard vers la rue de la Mouillère, en direction du Doubs, l’usine Lip profite de la construction du remarquable immeuble du SIDHOR. 

SIDHOR aigle sur un rouage d'horlogerie façade de l'immeuble

Détail de la façade du SIDHOR avec l’aigle symbole des armoiries de Besançon posé sur un rouage, allégorie de l’horlogerie et le micro-mécanique / Source : racinescomtoises.net

Le SIDHOR fait parti intégrante de l’histoire de la manufacture Lip, notamment parce qu’il va abriter l’innovation majeure de Lip, l’Electronic. Réunissant en un seul lieu plusieurs fabricants en horlogerie dont Lip, Auger ressorts, Epiard, Cheval Frères, etc …, le SIDHOR offrait alors la possibilité de mutualiser des espaces lumineux et pensés pour pratiquer l’horlogerie. Construit selon les plans d’Alfred Ferraz et de Lucien Seignol, deux architectes originaires de Saint-Etienne (Loire), ce bâtiment en croix va accueillir au dernier étage (le quatrième) le laboratoire de recherche Lip. Ce dernier donne secrètement naissance à la technologie Electronic Lip, présentée en première mondiale en 1952 au stade de prototype, puis commercialisée en Décembre 1958. Il s’agit ainsi d’un haut lieu de l’histoire Lip. Se trouvant dans le prolongement de l’usine, le SIDHOR vient marquer l’angle de la rue des Chalets, communément appelée « rue Lip » puisque la quasi totalité des bâtiments s’y trouvant appartiennent à Lip S.A. d’horlogerie, et de la rue de la Mouillère (le SIDHOR se trouve au 23 de cette dernière).   

Une usine au bord de la saturation dès le milieu des années 1950.

Avec le fastueux essor de la manufacture Lip sous la coupe de Fred LIP dès les années 1950, l’usine de la Mouillère connait un étalement spatiale important. Ainsi, au milieu des années 1950, l’usine occupe une surface de 10 000 m2, ou travaille environ 900 employés qui produisent près de 200 000 montres par an, ainsi que quelques machines et des équipements électriques. La diversification des champs d’action de la manufacture Lip impose « au Fred » d’envisager une nouvelle infrastructure digne de produire les plus belles montres de France. De plus, dans sa fougue anti-conformiste et anti-traditionaliste, Fred LIP pousse son entreprise vers la modernité, vers l’avenir, et l’usine de la Mouillère, par sa conception et son absence d’ergonomie entrave son action. 

Usine Lip de la Mouillère en 1953 et immeuble du SIDHOR

Gravure de l’usine de la Mouillère et du bâtiment du SIDHOR (croix) en 1953 / Source : En tête d’une facture Lip de 1953, Fond privé HAOND Clément

Dès 1953, un terrain est acquis dans le quartier de Palente, l’entreprise Lip n’ayant plus besoin d’être proche de Besançon, sa réputation étant alors pleinement établie. Situées à proximité du château de Palente, Fred LIP rachète donc les terres du « Domaine de Palente », 90 000 m2 de verdure. Le construction de l’usine Lip III débute en Mars 1960, pour s’achever au cours de l’année 1962. 24 000 m2 sont allouée aux 3 corps de bâtiment qui composent l’usine Lip-Palente, une surface plane plus de deux fois plus vaste que l’usine de la Mouillère. Ultra-moderne, Palente va supplanter le fief historique de la Mouillère dès 1960. Le transfert des machines et de la production se fait sans discontinuité entre 1960 et 1962, chaque secteur déménageant la veille de la Mouillère, pour se trouver le lendemain à Palente au même poste. 

Photographie aérienne usine Lip III palente en 1967

Photographie aérienne de l’Usine Lip III Palente en 1967 / Source : Fond privé HAOND Clément

Les derniers services quitte l’usine de la Mouillère en 1962, la manufacture Lip se déployant pleinement dans « l’usine la plus moderne d’Europe », Palente III.  Les bâtiments de la Mouillère sont rapidement vendus par Lip S.A., les bénéfices de cette vente couvrant intégralement le coût colossal de l’usine de Palente. Un temps laissés vides, puis au fur et à mesure des années qui s’écoulent, la plupart sont réhabilités en logements ou en locaux pour de plus petites entreprises. Aujourd’hui, il s’agit de l’usine la mieux conservée de la manufacture Lip. Structurellement, les bâtiments sont tout à fait semblables à ce haut lieux de l’horlogerie que fut la rue des Chalets, seule la passerelle enjambant la rue des Chalets sera détruite.

Le déménagement de l’usine Lip II (Mouillère) vers l’usine-pilote Lip III (Palente) est le symbole de la fortune de l’affaire Lip après Guerre (post 1945). C’est également le marqueur d’une passation officielle de génération, puisque Lip I (70 puis 14 Grande Rue) fut l’aventure d’Emmanuel LIPMANN, le fondateur de la dynastie, Lip II (Mouillère) celle d’Ernest LIPMANN et de l’ère industrielle, et enfin Lip III qui sera « le petit caprice » (comme il aimait la qualifier) de Fred LIP. Chaque génération s’affirmera d’abord techniquement, mais afin de laisser une empreinte durable sur le paysage horloger Bisontin, elles s’assureront une solide pérennité par le lègue d’un monument industriel à leurs images. 

Sources :

  • COUSTANS Marie-Pia et GALAZZO Daniel, Lip, des heures à conter, Édition Glénat, Grenoble, 2017
  • MAUERHAN Joëlle, Horlogers et Horlogères à Besançon, 1793-1908, un passé prêt à revivre, Édition L’Harmattan, 2018
  • Ouvrage collectif d’exposition, L’HORLOGERIE DANS SES MURS, Lieux horlogers de Besançon et du Haut-Doubs, Édition du Musée du Temps, 2019 (livret de l’Exposition éponyme au Musée du Temps)
  • Collection Lip du Musée du Temps à Besançon
  • Fond d’archives issues des Archives Municipales de la ville de Besançon
  • Fond de documentation privé sur la Manufacture Lip, HAOND Clément
  • Fond photographique privé sur la Manufacture Lip issue du Service Photographique Interne de l’usine Lip, HAOND Clément
  • Fond numérisé de la Revue « La Fédération Horlogère Suisse » pour l’année 1903 et 1904

  • www.vivreauxchaprais.canalblog.com
  • www.racinescomtoise.net

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