1914 – 1918 : L’affaire LIPMANN au cœur de la Première Guerre Mondiale
1914 – 1918 : L’affaire LIPMANN au cœur de la Première Guerre Mondiale
Comme nombre de fabricants d’horlogerie de l’époque, Français mais également Suisses ou Allemands, la Guerre va être une épreuve, un juge de « paix » évaluant les entreprises suffisamment puissantes pour résister, voir briller durant le conflit, et les firmes brisées par les restrictions imposées, par le manque ou l’impossibilité d’investissement, ou simplement parce qu’elles n’ont pu s’adapter aux virages technologiques successifs imposés par l’effort de Guerre.
Par la grande notoriété acquise entre 1867 et les premières années du XXe siècle, la manufacture d’Horlogerie LIPMANN Frères va être en bonne place, à l’orée du déclenchement du premier conflit intercontinental, pour triompher d’un affrontement inédit.
Administrée alors par la seconde génération de LIPMANN, Ernest et Camille (et dans une moindre mesure la seule fille de la fratrie, Jenny), la Société Anonyme LIPMANN Frères se développe, forte d’une usine de production très récente dans le quartier de la Mouillère (Besançon, 1903), dont elle prendra le nom. Par la fabrication du premier calibre de montre de poche de l’histoire de Lip, le 39 AC (17 »’ soit 38.3 mm) en 1910, et la mise en place d’un réseau de distributeurs nationaux couplés à une intense campagne publicitaire, la marque Lip s’impose en France comme leader incontestable de l’horlogerie de qualité, que ce soit en montre de poche ou en montre bracelet.
Ainsi, lorsque l’Archiduc François-Ferdinand d’Autriche (1863 – 1914) est assassiné le 28 Juin 1914 à Sarajevo, un mécanisme d’alliances met le feu aux poudres, et embrase l’Europe, puis assez rapidement, par extension coloniale, le monde. L’empire Russe, la France et la Grande-Bretagne (Alliés) sont ainsi confrontés aux forces des Empires Centraux, dont nous trouvons en tête l’Empire Allemand, l’Empire Austro-Hongrois et l’Empire Ottoman.
Produire, y compris en temps de Guerre (1914 – 1918)
La manufacture LIPMANN se retrouve ainsi, au cours de la première moitié du XXe siècle, au cœur d’un conflit majeur, duquel elle doit se sublimer.
Le déroulement de la Guerre va être « favorable » à la marque Lip, qui va, par son implication dans l’approvisionnement de l’Armée et de la Marine Française, et dans la livraison de montres pour le marché civile, tirer une notoriété encore rehaussée à l’issue de la Première Guerre Mondiale.
La marque Lip va orner les tableaux de bord d’une aviation Alliées balbutiante, mais également les montres de poche des Artilleurs Français ou encore, et c’est une nouveauté de taille, les poignets d’officiers puis de soldats, avec la généralisation du port de la montre bracelet, pour une notion essentiellement pratique et fonctionnaliste.
Comme nous l’enseigne l’étude de la publicité Lip, qui se poursuit y compris durant la Guerre, la production ne cesse pas à l’usine de la Mouillère.
200 salariés, dont 55 horlogers venus de Suisse participent à l’effort de Guerre dès 1914. Ils produisent alors majoritairement des dispositifs d’horlogerie pour l’Armée Française et les Armées Alliées (des montres diverses, des chronomètres, des télémètres pour l’artillerie), mais également des têtes d’obus, des déclencheurs de mines et d’autres fournitures à usage uniquement militaire. La production s’organise différemment, en marquant les débuts de la collaboration entre les différents services de l’Armée et Lip. Ainsi, l’avancement technologique dont fait état l’entreprise Bisontine en 1914, et qui évolue durant la guerre, et sans commune mesure face au terne dynamisme de l’industrie de l’armement d’alors.
« Grâce à Lip, l’armée Française se sert progressivement de pièces d’artillerie modernes ressemblant à celles allemandes équipées par Junghans. [Au début de la Première Guerre Mondiale], les premiers obus Français sont encore équipés de mèches à poudre quasiment identiques à celles utilisées durant les batailles Napoléoniennes. » (in M-P. COUSTANS et D. GALAZZO, Lip, des heures à conter, Glénat, Grenoble, 2017, page 16
Mais le véritable tour de force d’Ernest LIPMANN sera de proposer, fort d’une expérience acquise depuis le début du XXe siècle avec le calibre 20.3, premier mouvement Lip, une gamme de montres bracelets. Durant la Guerre, Lip va poursuivre la fabrication et la vente, aux horlogers des zones Françaises épargnées par les combats, de montres estampillées de la marque aux 3 lettres. La collection sera vraisemblablement réduite, centrée autour de montres utilitaires, que nous nommerons à posteriori « Montres de Poilus », en référence à leurs porteurs, valeureux soldats Français mobilisés pour défendre leur patrie.
Cette expérience va s’accompagner de diverses innovations et améliorations. Les mouvements, devant alors subir des conditions d’emplois très rudes au front sont renforcés, leur précision est accrue par l’usage de balanciers bimétalliques compensés, moins sensibles aux variations de températures. Les verres sont plus solides, et peuvent, pour les montres militaires, recevoir une grille de protection.
Aux traditionnels boîtiers en laiton chromé, ou nickel, s’ajoute des boîtiers en argentan (mélange de nickel et de cuivre ou zinc) et des boîtes en acier inoxydable, matériau extrêmement résistant au choc et à la corrosion, mais d’une grande complexité à usiner (l’outillage nécessaire doit être renforcé).
Les cadrans deviennent en option radioluminescent grâce à une découverte de 1898 des époux Curie, le radium (88 Ra). Par un procédé industriel, ce métal radioactif est combiné à du sulfure de zinc afin de produire du sel de radium, appliqué ensuite à l’instar d’une peinture tantôt sur les aiguilles, sur les chiffres en reprenant leurs formes ou par l’intermédiaire de points marquants les heures. Ainsi, l’heure est lisible dans l’obscurité, mais également radioactive (cette matière sera utilisée jusqu’aux années 1950 – 1960, remplacée ensuite par le tritium). La S.A. LIPMANN Frères va employer cette innovation dès 1904, en la généralisant pendant et après la Guerre.
L’heure de la Victoire : 1918
Survivant avec panache à la Guerre, la manufacture LIPMANN devient une des entreprises horlogères les plus puissantes et sérieuses des années 1920. Forts de la Victoire des Armées Alliées (dont l’Armée Française), les Frères LIPMANN, Ernest et Camille, se retrouvent officiellement à la tête de l’entreprise fondée par leur père, Emmanuel, mort en 1913.
Respectivement Président de LIP (Ernest, Technique) et Directeur (Camille, Financier et Administratif), la Guerre va préparer l’avènement d’une nouvelle génération de LIPMANN, ainsi que l’affirmation de la ferme résolution d’orienter la Société Anonyme LIPMANN Frères vers un avenir manufacturier.
En abaissant progressivement la part de pièces, fournitures, mouvements et machines importés, l’entreprise Lip va promouvoir, durant l’ensemble de l’entre-deux-guerres, la production interne de l’ensemble des éléments nécessaires à la fabrication de montres « LIP », en passant de la conception des machines-outils à celle des mouvements, boîtiers ou cadrans par exemple, ou encore, en étudiant attentivement les méthodes de production, afin de les rendre plus rigoureuses, dans un soucis toujours plus poussé de qualité et de productivité.
Au delà de cela, nous l’avons vu, la Manufacture LIPMANN s’inscrit dans son époque, s’adaptant aux demandes tant civiles que militaires, en démontrant ainsi la réactivité de son savoir-faire. Ernest LIPMANN, alors Président de l’affaire, est dans la bonne voie pour imposer sa vision, celle de créer les meilleures montres de France. La fin de la Grande Guerre est le symbole de cette ardeur, avec le développement et la mise en production, dès 1918, du Calibre 26 mécanique à remontage manuel. Ce mouvement de construction moderne, conçu par C. JACOT et A. DONAT, les deux ingénieurs majeurs du laboratoire de recherche Lip, rue des Chalets, marque l’incroyable développement de l’entreprise LIP. La manufacture Bisontine compte, au sortir de la Guerre, une centaine de salariés, dont des horlogers, des tourneurs, des ingénieurs, etc … gage des compétences internes de l’entreprise mises en place durant les années de conflit.
Sources :
- COUSTANS Marie-Pia et GALAZZO Daniel, Lip, des heures à conter, Édition Glénat, Grenoble, 2017
- MAUERHAN Joëlle, Horlogers et Horlogères à Besançon, 1793-1908, un passé prêt à revivre, Édition L’Harmattan, 2018
- Fond de documentation privé sur la Manufacture Lip, HAOND Clément
- www.museedelaguerre.ca (pour l’Histoire de la Première Guerre Mondiale)
- www.defense.gouv.fr rubrique Le Saviez-Vous? /Quand la montre-bracelet détrôna la montre à gousset…
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