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1957 – 1973 : Lip Dauphine, « l’heure Lip » pour tous

1957 – 1973 : Lip Dauphine, « l’heure Lip » pour tous

Publicité pub montre Besançon Palente lip dauphine de 1960

Publicité Lip Dauphine de 1960 / Source : Fond privé de documentation HAOND Clément

1957 – 1973 : Lip Dauphine, « l’heure Lip » pour tous

Dans la seconde moitié des années 1950, Fred LIP, PDG de la manufacture éponyme, souffre d’une critique qui l’agace ostensiblement, celle du tarif (élevé) de ses montres. A ses justifications faites de complexité de fabrication en interne, de production de très haute qualité et de développement Français, une partie de la clientèle semble insensible. 
Pour ce visionnaire, il fallait satisfaire l’ensemble de la population, d’autant plus que la manufacture de montres Lip connaissait un développement insatiable depuis 1945. Ainsi, en 1957, une gamme relativement confidentielle de montres abordables va être proposée par Lip, sous un nom étudié, Dauphine. 

Montre Lip Dauphine Electronic plaquée or R184 manufacturé vers 1965

Montre Lip Dauphine Electronic R184, fond transparent laissant apparaître le mouvement, trotteuse sans éclair qui n’est pas d’origine / Source : Fond privé HAOND Clément


Les montres estampillées Lip Dauphine représentent alors l’entrée de gamme de la manufacture Bisontine, correspondant au milieu de gamme de l’horlogerie Française d’alors. Cette appétence pour la distribution de l’heure Lip à l’ensemble de la population date des années 1930, lorsqu’Ernest LIPMANN lancera la gamme SAM fabrication Lip, dont le but est tout à faire identique à Dauphine.  Fred LIP, son fils, reprend à son affaire ce procédé, en lui donnant un nom taillé pour la réussite, puisqu’il est directement emprunté à la voiture à succès que la Régie Nationale des Usines Renault (RNUR) commercialise entre 1956 et 1967. 

Logotype logo Dauphine Lip en 1960 montre Besançon Fred LIPMANN

Logotype de la gamme Lip Dauphine, systématiquement apposé sur les cadrans / Source : Fond privé de documentation HAOND Clément

Le succès d’un patronyme … aimablement emprunté

Fred LIP ne va pas vouloir brouiller les cartes des gammes que Lip s’évertue à standardiser depuis l’après guerre.  Le Chronomètre bracelet Lip ne peut ainsi raisonnablement pas, pour un lancement, côtoyer l’entrée de gamme de la marque. De même, un client potentiel ayant les capacités de s’acheter une montre Lip de bonne gamme, verrait, dans la vitrine de son détaillant Lip local, d’un œil interrogateur une Lip « Dauphine » s’affichant à la moitié, voir au tiers du prix de la Lip en acier qu’il s’apprête à passer au poignet. 

Publicité voiture automobile Renault Dauphine Régie 1959

Dépliant publicitaire sur la Dauphine, véhicule économique de la Régie Renault (RNUR) sorti en 1956 / Source : Service Histoire Lip, dépliant de 1959.

C’est pour cela que « Le Fred » comme on le surnommait va aviser sa « sous-marque » d’un nom cinglant, quoi qu’emprunté au succès de la Régie Renault avec sa voiture, la Dauphine. Voiture bon marché la plus vendue en France entre 1957 et 1961, Fred LIP souhaitait ainsi le même succès à sa nouvelle marque, toutefois entachée d’un faux départ. 

Décideur irrésistible, Fred LIP va s’abroger de la nécessité de posséder le nom Dauphine pour lancer une première collection en 1957.  Sous la menace d’un procès de la part d’Henri BASQUIN, industriel de l’horlogerie et propriétaire du nom Dauphine, Fred LIP consent à lui acheter, au prix fort. Curieux pied de nez de l’histoire que d’avoir acheter à prix d’or, une marque destinée à donner l’heure pour une somme modique. Cette incartade passée, le patron de la manufacture de montres Lip va donc légalement pouvoir appeler ses montres accessibles Dauphine. 

Un lancement teinté d’une inhabituelle prudence

Retenant les leçons des échecs passés et des lancements scabreux d’innovations que les consommateurs ne comprennent pas, Fred LIP ne va pas immédiatement accoler son nom à celui de Dauphine, question de prestige. 
Ainsi, les premières Lip Dauphine ne sont estampillées que Dauphine, à l’instar d’une marque à part entière, afin de sonder le terrain et de ne pas compromettre, en cas de fiasco, l’image de marque que Fred LIP c’est évertuer à créer. Entre 1957 et 1959 environ, la marque Lip apparaît progressivement sur le cadran des montres hommes, femmes et enfants estampillées Dauphine. Tout d’abord par un discret LIP MADE sous l’index ou le chiffre qui désigne 6 heures. Puis par la suite, le logo migre sous la mention Dauphine. Fred LIP, aventurier prudent mais avisé dans cette affaire sent, à l’aube des années 1960, que Dauphine est un succès commercial dynamique. Dans ce cas, il n’est plus question que ce nom vol la vedette à la marque Lip, et c’est ainsi qu’à partir du début des années 1960, le couple LIP-DAUPHINE (et non plus Dauphine seul ou Dauphine-Lip) s’impose comme l’entrée de gamme de la manufacture Lip. 

Lip Dauphine Nautic Lip Made 1957 montre besançon usine de la mouillère

Montre Dauphine Nautic Lip made vers 1957 / Source : Fond privé HAOND Clément

La rationalisation comme dogme

Mais la gamme Dauphine, jusqu’à l’année 1973, date des dernières montres Dauphine vendues par Lip, se différencient par plusieurs éléments discrets. 
Tout d’abord, les Lip Dauphine se placent dans un niveau de prix inférieur de moitié en moyenne au prix d’une Lip classique, pour un modèle sensiblement similaire. Visuellement semblable, la Lip Dauphine se caractérise par un habillage moins travaillé, se matérialisant généralement par des placages moins épais, peu de boîtiers acier à la faveur du chrome moins coûteux. Les cadrans par exemple, sont parfois issus d’anciens stock Lip de la collection précédente qu’il fallait écouler. Globalement, les modèles sont moins travaillés, ce qui demande une étude plus courte, une production plus rapide et plus standardisée, abaissant les coûts de fabrication, et ainsi de vente, tout en conservant un très bon niveau de qualité. 

Mais le cœur de la rationalisation se cache sous le cadran, puisque la majeure partie de l’abaissement du coût de production des Lip Dauphine se caractérise par l’emploi de mouvements non manufacturés par Lip. Fred LIP va avoir recours aux puissantes entreprises Françaises puis étrangères capables de fabriquer des mouvements de montres bracelets. Des mouvements Jeambrun, Horlogerie de Savoie (H.S.) et Cupillard pour la France ou encore PUW pour l’Allemagne seront utilisés pour animer les Lip Dauphine, entre autres. 
À de rares exceptions, elles sont équipées de mouvements manufacturés par Lip, notamment de R23, R17 ou d’Electronic R148 / R184. Dans ces cas, il s’agit généralement de surstock que la première marque horlogère de France ne parvient pas à écouler par sa marque principale. 

Une gamme à l’image de la France (1957 – 1973)

Lip Dauphine mécanique boîtier Or massif 18 carats @SHL

Lip Dauphine en Or 18 carats, vers 1965 / Source : Service Histoire Lip

Dauphine fut un succès commercial sans bornes sur toute sa période d’exploitation. Succès, car Fred LIP va rapidement diversifier sa gamme, Dauphine devenant ainsi un nom à part entière au sein de la marque horlogère Lip. Succès également, parce que la manufacture Bisontine dote sa marque de modèles très disparates, qui suivent les évolutions de la mode et des goûts, à l’identique du développement d’une montre Lip traditionnelle. 
À l’instar de la Régie Nationale des Usines Renault qui va proposer plusieurs niveaux de gammes sous l’appellation Dauphine, Lip va également créer une hiérarchie dans sa collection. Ainsi, à la Renault « Dauphine » Ondine, penchant plus cossues et luxueux  du véhicule initial, Lip va répondre avec une gamme étoffée de Dauphine en Or 18 carats, dont la finition et la livrée esthétique rivalisent avec les plus belles montres de l’époque. Face à la Renault Dauphine Gordini, Fred LIP commercialisait une gamme de montre de plongée très sportive, ou de montres de ville arborant un large damier sur le pourtours du cadran, sous le nom Dauphine.

Répondant aux pratiques de l’époque, la manufacture Lip va développer, dès le lancement en 1957, des montres destinées aux communiants, aux jeunes enfants ou à tout autres célébrations dans lesquelles la montre marque un passage, et une coutume. Un mariage, l’obtention d’un diplôme, étaient autant d’occasions de ce voir offrir une montre, marquant ainsi l’heure d’un instant de réjouissance. 

Montre Lip Dauphine Dame rectangle mécanique manuel Besançon France @SHL

Montre Lip Dauphine pour Dame (24 x 14 mm) vers 1965 / Source : Service Histoire Lip

À cela, nous pouvons ajouter les Dauphine Electronic, Electric, Nautic, Cœur Vaillant, Fab. LIP, Antichoc, SWISS, Automatic, etc …

Montre Lip Dauphine Electronic plaquée or R184 manufacturé vers 1965

Montre Lip Dauphine Electronic calendrier, mouvement manufacturé Lip R184 / Source : Fond privé HAOND Clément

Une montre nous permet de mesurer la portée de la gamme Dauphine, au sein de la collection Lip courante, la Lip Dauphine Electric ou Electronic, pourvue d’un calibre manufacturé par Lip, le R148 puis le R184 (avec date). Comme une montre pédagogique, Fred LIP va se servir de sa « sous-marque » pour diffuser, et imposer plus aisément l’Electronic Lip, mouvements électriques n’ayant plus besoin d’être remontés. Pour ce faire, et à la vue du stock grandissant de calibres R148 (sans date, 1962) puis R184 (date, 1964), Lip va créer vers 1965 des montres estampillées Lip Dauphine Electric ou Electronic. Ainsi équipées de ces mouvements révolutionnaires, ces montres vont les démocratiser par des tarifs plus abordables. Réutilisant des pièces d’habillage de collections Lip antérieures, il est fabriqué dans les ateliers Lip des cadrans spécifiques, afin de doter ces montres d’une image différente de la collection Lip Electronic, sérieuse et rigide. Le fond de boîtier traditionnellement en acier inoxydable chez Lip est supprimé, au profit d’un dôme de plexiglas, qui laisse apparaître le mouvement en fonctionnement, dans un caractère pédagogique et explicatif innovant. En définitive, la collection Dauphine est, dans sa majeure partie, une gamme d’appel pour Lip. Elle permet de diversifier la marque et de toucher une plus large part de marché pour Lip, sur le territoire Français et Francophone notamment. 

Montre Lip Dauphine Electronic plaquée or R184 manufacturé vers 1965

Montre Lip Dauphine Electronic calendrier, mouvement manufacturé Lip R184 / Source : Fond privé HAOND Clément

Gamme accessible, Dauphine par Lip va être l’un des moteurs du dynamisme de la première manufacture de montres en France. La production va rapidement se développer, passant de 50 000 montres au début de l’exploitation de la marque, à plus 100 000 montres vendues par an dans les années 1960. Symbole d’une fortune populaire, la gamme Lip Dauphine va péricliter avec le Premier Conflit social Lip de 1972 – 1973. L’avènement de Claude NEUSCHWANDER à la tête de l’entreprise Lip en 1974, et sa restructuration totale vont avoir raison d’une marque inscrite dans le passé pour ce nouveau patron « social ». 
Aujourd’hui, la collection LIP-SMB Dauphine reprend les codes traditionnels de cette collection, qui ont fait la prospérité de Fred LIP dans les années 1960. 

Sources :

  • M-P. COUSTANS et D. GALAZZO, Lip des heures à conter, Édition Libris, 2000 et nouvelle Édition Glénat, Grenoble, 2017
  • Fond de documentation privé sur la Manufacture Lip, HAOND Clément
  • Fond de la série 5Z des Archives Municipales de la Ville de Besançon
1974 – 1976 : Collection Lip Design; la ligne GALAXIE par Rudi MEYER

1974 – 1976 : Collection Lip Design; la ligne GALAXIE par Rudi MEYER

1974 – 1976 : Collection Lip Design; la ligne GALAXIE

La première gamme présentée par Lip dont le Design est imputable à Rudi MEYER est la collection Galaxie. Série de 9 montres aux boîtiers circulaires, elle est le fer de lance de la nouvelle image de la CEH-LIP. Une image de modernité, presque d’avenir s’exprime par cette collection. Toutes les références de la gamme Galaxie sont équipées d’un mouvement à remontage automatique manufacturé par la firme Allemande DUROWE, et porte la référence 7525/2 (R573 chez Lip). 

Lip Galaxie ronde catalogue Design 1975 Lip automatique

Extrait catalogue Lip Design 1975, ligne Galaxie / Source : Fond privé de documentation HAOND Clément

Commercialisée dès 1975, et officiellement jusqu’au début d’année 1976 (des Galaxie seront vendues jusqu’en 1977 / 1978 pour les employés en grèves), cette collection de montres inédites symbolise l’avènement d’une pratique moderne du Design en France, et dans le monde. Rudi MEYER (Suisse), avec un groupe de 6 Designers Français, va investir la collection de la manufacture de montres CEH-LIP en 1974 pour impulser un nouveau souffle à l’entreprise. Sous la coupe de Claude NEUSCHWANDER, ancien de Publicis et désormais patron (1974) de ce qui fut la première entreprise horlogère de France des années 1940 à 1970, cette équipe renouvelle l’image de Lip, et révolutionne la pratique du Design Industriel. 
En proie à de graves difficultés financières qui se manifestent en 1972 par une mise en liquidation judiciaire, la manufacture historique (depuis 1867) de la famille LIPMANN va se relancer, en rupture avec le passé, offrant un lieu d’expression jamais étudié par des Designers. 

Le Graphic-Design pour une collection intemporelle

Le designer Suisse, installé à Paris depuis 1964 va dessiner une première série de montre, celles de la collection Galaxie, dès 1974. Graphic-Designer de renom, professeur à l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris depuis 1967, Rudi MEYER va développer une vision singulière de l’objet montre, pour lequel il va livrer une synthèse encore aujourd’hui saluée.
Dans un métier assez neuf en France que celui de designer, qui ne s’éveille qu’au début des années 1960, Rudi MEYER développe une approche fonctionnaliste du produit industriel sur lequel il travail. Répondant aux notions de praticité, de lisibilité et d’ergonomie, les montres de la série Galaxie vont marquer l’histoire horlogère. 

Contrairement à la plus grande partie des produits de consommation industriels dont s’occupe le designer, la montre prend à mon sens une place particulière. 
A sa fonction propre – c’est à dire la lecture du temps, des secondes, des minutes et des heures – s’oppose avec force sa fonction de signe porteur de multiples notions subjectives. 
[…]
Pour la montre, chose personnelle et affective, je ne peux me limiter dans la création à ce seul aspect rationnel. 
Puisqu’elle est non seulement le temps mais aussi la parure et que c’est principalement en raison de sa fonction-signe qu’elle est, en définitive, choisie. (R. MEYER, Catalogue Lip Design 1975).

Lip Rudi MEYER galaxie référence 43899 anodisé marron mouvement Durowe 7525 - 2 Lip R573 Duromat

Mouvement Duromat à remontage automatique par DUROWE (Allemagne), référence 7525/2 ou Lip R573 / Source : Collection privée L.G.

Les 9 montres de la collection Galaxie seront commercialisées pour une partie dès le début d’année 1975, puis au cours de l’année pour des références additionnelles comme le modèle anodisé marron. Partant d’un boîtier d’environ 39 mm  de diamètre, accueillant un mouvement à remontage automatique d’origine Allemande, MEYER va dessiner 2 types de boîtiers aisément reconnaissables. Référence 7525/2 du catalogue du manufacturier DUROWE (Lip R573), le mouvement est la seule contrainte dressée face au bouillonnement des 7 Designers. De conception très robuste, ce calibre est exécuté en 25 rubis, pour une dimension classique de 11 »’ 1/2, soit 25.6 mm environ. Doté d’une fréquence de 21 600 alternances par heure, ce mouvement conventionnel bénéficie d’une bonne précision, d’un savoir-faire qui échappe à Lip (puisque Lip fabrique des mouvements Electronic ou mécaniques manuel), et d’un approvisionnement facilité. 

De l’horloge de gare à la montre bracelet

  • Un premier boîtier, de forme sphérique lisse, sans angles ni relief est mis en production. Très innovant, il use de l’aluminium, chose inédite pour un boîtier de montre-bracelet. Très rigide, ce matériaux devient rapidement un frein au développement des modèles qui en sont équipés. Le faible rendement des sous-traitants, et leur réticence à accélérer les cadences car Lip reste une affaire chancelante oblige la CEH à investir dans des machines capables d’usiner l’aluminium. Équipant 5 références sur 9, ce boîtier en alliage anticorodal dispose de lignes d’une grande pureté, favorisant l’ergonomie par la très faible masse de ce métal, et le confort par la découpe biseauté et adoucie du boîtier. Innovation dans l’innovation, Rudi MEYER va recourir à un traitement de surface moderne, que lui permet l’aluminium. En effet, par un procédé dénommé anodisation (bain électrolytique et anode), il dispose d’une palette de couleur inédite pour ses créations. Ainsi, il couvre ses boîtiers de noir, de bleu ou de marron, des teintes jusqu’alors jamais employées en horlogerie. Ce boîtier est utilisé sur les références 43 766, 43 767, 43 815, 43 899 et 43 900. 
    Lip Galaxie Rudi MEYER 43 766 815 899 767 900 automatic ronde boîtier aluminium anodisé

    Boîtier sphérique lisse, respectivement référence 43 766 / 43 815 / 43 899 / 43 767 / 43 900 / Source : MP. COUSTANS et D. GALAZZO, Lip des heures à conter, Glénat, 2017

  • Un second type de boîtier est dessiné pour les 4 références restantes. Plus anguleux et uniquement disponible en finition chromé, cette boîte n’utilise pas l’aluminium mais le laiton, matériaux on ne peut plus courant dans la montre-bracelet. Le décolletage du laiton étant un savoir-faire que Lip maîtrise depuis plus d’un siècle en 1975, les formes de ces 4 références sont alors plus saillantes, faites de creusures, d’arêtes ou de parties planes qui se développent harmonieusement. Peut-être moins audacieux sur le plan technique que le boîtier précédent, il revêt un caractère osé lorsqu’il s’agit de sa finition. Certes, le boîtier est chromé, mais par un traitement breveté par Lip, le rendu est mat. La finition du boîtier est ainsi « quasi lunaire », lisse d’aspect, mais rugueuse, grainée dans le détail. Il équipe alors les références 43 763, 43 764, 43 814 et 43 825.
    Lip Galaxie Rudi MEYER 43 763 825 764 814 automatic ronde boîtier laiton chromé mat

    Boîtier sphérique anguleux, respectivement référence 43 763 / 43 825 / 43 764 / 43 814 / Source : MP. COUSTANS et D. GALAZZO, Lip des heures à conter, Glénat, 2017

En tout état de cause, ces montres ne sont pas qu’un objet pour soi, elles sont également, à travers l’ensemble de la réflexion qui anime cette collection Design, des objets qui interloquent, qui parlent aux autres et qui définissent une idée de modernité, d’avant-gardisme. 

Rudi MEYER va puiser son inspiration dans les objets utilitaires qui l’entourent, à l’instar des horloges de gares qui distillent l’heure avec une efficacité inégalée, qu’importe la distance qui sépare l’usager de ces dernières.

La lecture de l’heure est un problème qui semble être résolu quand on pense aux cadrans d’horloges de gare qui, dans la simplicité de leur dessin, sont intelligibles et lisibles de loin, répondant ainsi à ce qu’on leur demande, communiquer l’heure avec efficacité.
(Catalogue Lip Design 1975, interview de Rudi MEYER)

Ainsi, 4 variantes de cadrans s’affrontent, tout en étant pensées pour s’interchanger aisément.  Selon le père de la gamme Galaxie, l’idée de ce projet et de faire « un puzzle » à s’approprier, et non pas des pièces uniques qui définiraient arbitrairement les futurs clients. 

  • Un premier type de cadran, le plus représenté dans la gamme présente 2 variantes. La première dispose de billes d’acier qui font offices d’indexs, sur la seconde, les billes d’acier sont absentes et laissent visibles les creux qui les accueillaient, et qui font alors office d’indexs. Disponibles en finition brossée ou lisse, les cadrans sont généralement assortis aux boîtiers, dont ils reprennent les couleurs, noir profond, gris rhodié ou encore bleu par exemple (Références 43 763, 43 764, 43 825, 43 766, 43 815, 43 899 et 43 767).
    Cadran billes acier et creux Lip Galaxie rudi Meyer @SHL

    Cadran à billes d’acier (gauche) et cadran en creux (droite) de la collection Lip Galaxie par R. MEYER / Source : Service Histoire Lip

  • Un second type de cadran, unique à la référence 43900 est commercialisé. Plus chargé, il offre une précision largement accrue de la lisibilité du cadran, à la minute et à la seconde près. Disposant d’un fond noir et d’une échelle d’indexs blanche, Rudi MEYER explore une autre branche de l’ergonomie visuelle dont doit faire oeuvre la montre qu’il propose.
    Cadran noir chiffres peints référence 43900 Lip Galaxie rudi Meyer @SHL

    Cadran noir à chiffres peints en blanc, Lip Galaxie R. MEYER référence 43 900 / Source : Service Histoire Lip

  • Enfin, un troisième type de cadran est proposé par la CEH-LIP à ses clients, dans une sorte de synthèse des visuels précédemment cités. Uniquement disponible sur la référence 43814, il use d’un fond gris rhodié classique. MEYER réemploi l’échelle de temps peinte sur le cadran, mais utilise la couleur noire afin de mieux contraster avec le gris. Cette référence abandonne toutefois l’affichage des chiffres afin d’épurer le cadran, en offrant un mixage technique et esthétique de l’ensemble des références de Lip Galaxie. 
    Cadran brossé gris peint noir Lip Galaxie rudi Meyer référence 43814 @SHL

    Cadran brossé finition argenté et indexs peints en noir, Lip Galaxie par R. MEYER, référence 43 814 / Source : Service Histoire Lip

Un ensemble cohérent et complexe, pour une Galaxie d’usages.

En tout état de cause, ces montres ne sont pas qu’un objet pour soi, elles sont également, à travers l’ensemble de la réflexion qui anime cette collection Design, des objets qui interloquent, qui parlent aux autres et qui définissent une idée de modernité, d’avant-gardisme. 

Lip Rudi MEYER galaxie référence 43899 anodisé marron

Lip Galaxie référence 43 899 / Source : Collection privée L.G.

« Une GALAXIE est un ensemble d’étoiles, de poussières et de gaz interstellaires dont la cohésion est assurée par la gravitation » (Futura-sciences.com)

Ainsi, l’idée de légèreté, de cohésion et d’accomplissement d’un astre fait de nombreuses pièces complexes, en rotation, qui s’épousent et forment un ensemble cohérent que nous retrouvons dans la définition scientifique d’une galaxie se retrouve dans la collection éponyme que propose Rudi MEYER en 1974 à LIP, et qui sera commercialisée en 1975 et 1976. Ainsi, une multitude d’astres par les divers modèles de montres composent ensemble une galaxie, un ensemble de matériaux agrégés. Chose voulue par Rudi MEYER, il existe une grande diversité dans les modèles que la CEH-LIP et l’équipe de C. NEUSCHWANDER commercialisent en 1975. Le designer Suisse évoquera d’ailleurs à ce sujet : 

au lieu de créer des pièces uniques, [Rudi MEYER veut] constituer un puzzle permettant de proposer plusieurs modèles à partir d’un nombre minimum de cadrans et de boîtiers. (Catalogue Lip Design 1975).

L’usage de « matériaux authentiques, bruts, sobres mats [et de] formes franches et nettes » plaident dans cette dynamique de ne pas « imposer pour autant une idée trop précise de la montre » (catalogue Lip 1975, R. MEYER). Ainsi, le symbole de précision et d’exactitude qu’est un mouvement d’horlogerie se heurte au paradoxe, celui de se trouver enserré dans un boîtier ou sous un cadran à la définition floue et volontairement mouvante. Tout ceci permet de parfaire la « fonction-signe » de la montre, puisque cette dernière est le temps, sa fonction, mais également la parure, son esthétique. La collection Rudi MEYER dénommée GALAXIE se place à l’intersection d’une notion de signe pour soi, qui se trouve également tournée vers les autres. 

Sources : 

  • M-P. COUSTANS et D. GALAZZO, Lip des heures à conter, Édition Libris, 2000 et nouvelle Édition Glénat, Grenoble, 2017
  • Ouvrage Collectif, Design « Le Livre » (de 1850 à nos jours l’évolution du design), Édition Florilège, Paris, 1990
  • Pieter DOENSEN, History of the Modern Wristwatch, Édition Snoeck-Ducaju & Zoon, 1994
  • T. GRILLET et R. TALLON, Roger TALLON, itinéraires d’un designer industriel, Édition Centre Georges Pompidou, Paris, 1993
  • Fond de documentation privé sur la Manufacture Lip, HAOND Clément dont catalogue Lip pour la Collection 1975, catalogue Lip Design 1975 et catalogue Lip 1976.
  • Fond de la série 5Z des Archives Municipales de la Ville de Besançon
1974 – 1976 : Collection Lip Design; l’Electronic vue par Rudi MEYER

1974 – 1976 : Collection Lip Design; l’Electronic vue par Rudi MEYER

1974 – 1976 : Collection Lip Design; l’Electronic vue par Rudi MEYER

Lip Rudi MEYER eclatée des pièces du boîtier carrée Electronic référence 43850 plaquée or

Montre Lip Rudi MEYER référence 43850 plaquée or mat Electronic (Lip R53) / Source : Service Histoire Lip

Photographie photo Claude NEUSCHWANDER Publicis CEH LIP vers 1975

Claude NEUSCHWANDER présentant la nouvelle Collection Lip pour l’année 1975 / Source : Fond privé de photographies HAOND Clément

Dès la seconde moitié de l’année 1975, la manufacture CEH-LIP va proposer une augmentation de la collection en lançant plusieurs nouveaux modèles, dont des montres inédites de la collection Lip Design 1975. Rudi MEYER, graphic-designer Suisse ayant commit pour Lip une première série de montres rondes, les GALAXIE, commercialisées dès le lancement de la collection 1975, est chargé de plancher à une nouvelle gamme. 
L’icone de cette augmentation de collection est la série de 4 montres carrées Electronic qu’il dessine pour Lip. Ces dernières reprennent astucieusement les éléments techniques de l’ingénieur, tout en sublimant l’ergonomie et le fonctionnalisme de ces montres, fruit du designer. 

Après une remise en route difficile mais volontariste de l’usine de Palente, à la suite de l’intense conflit social qui secoue la manufacture Lip en 1972 et 1973, Claude NEUSCHWANDER, nouveau patron « social » de la Compagnie Européenne d’Horlogerie LIP (CEH-LIP) dynamise l’entreprise, sous un jour nouveau. La relance, en 1975, est effective depuis près d’une année. Le nombre d’employés réembauchés augmente progressivement, parallèlement à la production grandissante. Dès le redémarrage, NEUSCHWANDER va réfléchir à l’image qu’il souhaite imprimer à la jeune entreprise par l’esprit qu’il dirige (la manufacture Lip, en 1974, est alors plus que centenaire). Son passé de N°2 chez Publicis, et ses relations internationales vont rapidement l’orienter vers un domaine jusqu’alors peu exploré par Fred LIP, celui du Design et des Designers. 
Pour la collection 1975, NEUSCHWANDER va vouloir frapper fort, afin d’ancrer solidement la reprise d’activité de Lip dans le présent, puis dans le futur. Le futur justement, ce sera une collection innovante, inédite, moderne, jamais vu en horlogerie. Même dans la tourmente et dans la complexité de la relance, Lip va garder son âme de manufacture créative. Cette Collection, ce sera la Collection Lip Design 1975, à laquelle la CEH-LIP consacre un catalogue explicatif, le Design étant une affaire surpassant la seule beauté esthétique d’un objet. Ainsi, 7 Designers travaillent indépendamment pour livrer leurs visions de la montre, n’ayant que pour seule contrainte l’utilisation de mouvements issus du catalogue Lip (manufacturés ou non par Lip). TALLON, HELD, HEBEY, etc … autant de nom que l’Histoire du Design retiendra pour leurs réalisations, dont les montres qu’ils vont dessiner pour Lip.

L’affrontement de la rondeur face à la géométrie

Dans l’optique de « ne pas imposer une vision trop précise de la montre » (R. MEYER, Lip Design 1975), le Designer Suisse va parallèlement dessiner, puis mettre en production sur les machines-outils de l’usine de Palente une collection de 6 montres carrées, elles-mêmes décomposées en 2 variantes de boîtiers. Dépourvues de nom, ces 6 références semblent être proposées au milieu de l’année 1975. Symbole du « puzzle » cher à MEYER, cette série matérialise le comble de l’interchangeabilité, de l’appropriation d’un objet et ainsi, l’essence même du Design Industriel.
Tout d’abord, l’œuvre de Rudi MEYER va s’exprimer dans la forme, ou plutôt dans les formes qu’il donne aux boîtiers. Immédiatement après avoir vu la photo ci-dessous, nous pouvons remarquer que cette gamme se divise en deux séries, caractérisées par des carrures différentes.

6 références de montre Lip Rudi MEYER Electronic R53 aluminium @M-P. COUSTANS page 198

Collection complète des montres de forme dessinées par Rudi MEYER pour la CEH-LIP en 1974 – 1975 / Source : M-p. COUSTANS et D. GALAZZO, Lip des heures à conter, Glénat, 2017, page 198

  • Comparaison Lip Meyer et Lip rectangulaire lecture de l'heure et des minutes @MP COUSTANS

    Comparaison d’une ouverture ronde et d’une ouverture rectangulaire, mettant en lumière la lisibilité augmentée du modèles MEYER (haut) / Source : MP COUSTANS, Lip, des heures à conter, Glénat, 2017

    Commençons tout d’abord par la série la moins largement diffusée, composée des deux montres les plus à gauche, qui portent respectivement la référence 43847 pour le modèle à boîtier noir, et la référence 43846 pour la montre grise. Plus consensuelles que le reste de la gamme MEYER, ces deux montres usent d’une architecture identique, seul les coloris diffères. Toutefois remarquables par l’imbrication de formes géométriques dans un volume aussi contenu, ces deux références, à l’instar de toute la collection Lip Design 1975, favorisent une nouvelle lisibilité et une innovante lecture du temps. Ainsi, dans un boîtier carré dont les angles sont considérablement bombés, le designer inclut un verre plat carré, qui s’ouvre sur un cadran parfaitement rond. Orientant le regard de l’usager vers le cadran, ce passage du carré au rond permet de lire aisément toutes les heures, à l’inverse d’une montre dont l’ouverture est carrée. Ainsi, les aiguilles, qui décrivent un cercle se trouvent toujours en face d’un index, ce qui permet d’avoir l’heure avec précision, tout en conservant un cadran, et une montre épuré. De plus, dans un parallèle emprunté au monde de l’architecture, les facettes noires du verre permettant le passage du plan carré au plan circulaire se développent de la même manière qu’une coupole à pendentifs, ce qui ajoute une profondeur inédite, dans laquelle se plonge le regard de l’usager. 

  • Éclaté Montre Lip Rudi MEYER référence 43850 R53 @SHL

    Éclaté d’une montre Lip Rudi MEYER référence 43850 / Source : Service Histoire Lip

    Mais celles que l’histoire retiendra, ce sont les références 43846, 43850, 43841 et 43840, de gauche à droite sur la photographie ci-dessus. Outre leur esthétique qui se démarque des deux Lip MEYER étudiées juste avant, cette gamme de 4 montres va marquer l’histoire du Design par le fait qu’elles symbolisent à elles seules le travail que va mener, en amont pour proposer une gamme commercialisable, Rudi MEYER. Ensemble de 4 références carrées, aux angles légèrement adoucis, elles sont caractérisées par un verre octogonal et la présence de 4 vis à chaque coin du boîtier. « Puzzle » de haute précision, ces 4 montres disposent de boîtiers, d’aiguilles, de cadrans, de lunettes, de bracelets, etc … rigoureusement identiques et interchangeables. En réalité, seul les couleurs diffères d’un modèle à l’autre. Par cette unique modèle décliné, Rudi MEYER nous livre la version finale et aboutie de ce qu’est une montre de forme pour un « Graphic-Designer Industriel ». 
    Tout d’abord, une chose interpelle le regard, les 4 vis de fixation qui ornent les coins du boîtier. Loin d’être un élément esthétique, ces vis de reliure maintiennent le boîtier, en deux parties. Elles soulignent ainsi une fonction primordiale, celle de maintenir le verre plaqué entre le boîtier et la plaque de maintient et d’en assurer l’étanchéité. Taillées dans un bloc d’aluminium, ces deux pièces accueillent un verre octogonal biseauté à jupe. Ainsi maintenu en pression contre un joint rond incrusté dans le boîtier, l’étanchéité à l’eau et à la poussière est parfaitement assurée. Défis technique d’importance, les montres de formes (carrées, rectangulaires, asymétriques, …) ne sont souvent pas étanches, ce qui dégradait sérieusement le fonctionnement du mouvement dans le temps par encrassement ou oxydation. Rudi MEYER va ainsi souligner son procédé technique, en l’incluant dans le rendu esthétique de sa montre. Au creux de ce boîtier « sandwich », nous retrouvons un cadran rond très épuré, sur lequel figure simplement le nouveau logo de la marque Lip, retravaillé par R. TALLON, le logo de l’Electronic Lip et un discret France. Dans les faits, la lecture de l’heure se fait sur la périphérie extérieur du cadran, par le biais d’une lunette interne fixe sur laquelle figure l’indication des heures, par de larges traits, et des minutes, par des traits plus fins. Encore une fois, le regard de l’usager n’est pas distrait par des artifices esthétiques, seule prime la lecture aisée de l’heure, fonction primaire de la montre.
    Les aiguilles complètent cette présentation. Elles contrastent avec la cadran, favorisant ainsi le confort et l’ergonomie de lecture. Filiformes, elles se couvrent de blanc ou de noir, voir de matière luminescente pour la référence 43846. La trotteuse, complication du mouvement Electronic Lip qui équipe ces montres, se pare de rouge, de jaune, de blanc ou de noir au gré des références. 

Par une pensée fonctionnaliste et technique, le design, en rendant la lecture de l’heure aisée et agréable par une simplification générale du produit, Rudi MEYER sublime et révolutionne la montre, pour Lip. Dans une réflexion profonde sur l’usage de l’objet « montre », le graphic-designer va synthétiser, par cette gamme de 6 montres, la montre de forme idéale. 

Une conception aboutie, pour un mouvement d’avant-garde

Comme nous l’avons vu, la manufacture CEH-LIP va imposer un seul élément aux 7 Designers qui composent une partie de la nouvelle collection Lip pour l’année 1975, le mouvement. Rudi MEYER va utiliser un mouvement manufacturé par Lip pour sa collection de 6 montres carrées, le R53 Electronic. Technologie unique à Lip, ce mouvement entièrement développé au sein de l’usine de Palente se démarque par son absence de remontage, puisqu’il emploi une pile électrique en lieu et place du traditionnel ressort de barillet.

Éclaté mouvement R50 Electronic Lip manufacture montre Besançon REX 50

Éclaté du mouvement Lip R50 Electronic, fascicule technique destiné aux horlogers-rhabilleurs Lip / Source : Fond privé HAOND Clement

Condensée du savoir-faire acquis depuis une vingtaine d’années par Lip, le calibre R53 Electronic est une évolution du mouvement Dame R50 Electronic que la manufacture Lip commercialise en 1970. Mouvement de la troisième génération d’Electronic Lip, il surclasse le R27 (1958 – 1962) et améliore grandement les calibres R148/R184 (1962/1964 – 1981) de seconde génération. Le principe de fonctionnement de cette technologie est assez simple; les oscillations du balancier sont entretenues par des impulsions électromagnétiques fournies par une pile, via une bobine. Pour savoir à quel moment l’impulsion doit se déclencher, les anciennes générations d’Electronic Lip utilisent un contact mécanique, deux fils d’or de quelques microns de diamètre qui viennent fermer le circuit, ce qui libère une impulsion. Le R50 révolutionne cela en tirant le meilleur parti des avancées en électronique de la fin des années 1960. Un circuit imprimé commande les décharges électromagnétiques, résolvant ainsi l’un des derniers points de faiblesse de la technologie Electronic brevetée par Lip, les contacts. Techniquement parlant, l’exécution de ce mouvement est remarquable, bien que tardive lorsqu’on se place quelques années plus tard, avec une crise du Quartz Japonais mal anticipée. De dimensions contenues quoi qu’atypiques, 7 »’ 3/4 (17 mm) de diamètre pour 6.7 mm d’épaisseur, le balancier du R50, et des deux variantes qui suivront dispose d’une fréquence de 21 600 alternances, assurant une très bonne précision et une usure amoindrie du mouvement.

Mouvement Electronic R53 manufacturé par Lip; montre Rudi MEYER pour Lip référence 43841

Mouvement Electronic R53 manufacturé par Lip; montre Rudi MEYER pour Lip référence 43841 / Source : Fond privé HAOND Clément

Commercialisé dès 1970 (après environ 3 années de recherche et de développement, avec la collaboration de la Thomson-CSF), le calibre R50 subit deux évolutions, en 1973 et en 1975. La première, développée pendant le conflit Lip 1972 – 1973, ajoute un dateur. La deuxième, sous l’ère NEUSCHWANDER, marque l’apparition d’une trotteuse, en plus du quantième, rythmant la journée à la seconde près. C’est cette dernière évolution qui est employée par Rudi MEYER, ajoutant un degré supplémentaire de technicité à ses réalisations horlogères. 

Un objet de Design, aujourd’hui collectionné

À l’époque de la commercialisation de la collection Lip Design 1975, l’engouement est assez important pour la société Lip. Preuve en est cette augmentation de collection qui survient au cours de l’année 1975, avec l’apparition des montres carrées Electronic signées Rudi MEYER. Assez rapidement, les ventes progressent, malgré la complexité inattendue entraînée par la fabrication des composants spécifiques à la collection Design. L’esthétique unique, et le caractère très agréable au porté de ces montres, et notamment celles issues du coup de crayon de R. TALLON et de R. MEYER touchent une clientèle en quête d’innovations (le prix moyen de 450 Francs de 1975 indique une montre de bon niveau de gamme pour Lip). 
Par ailleurs, la série de 4 montres carrées Electronic (à vis apparentes) références 43846, 43850, 43841 et 43840 sera primée en 1976 par le « Industrie Forum Design » de Hanovre (Allemagne), salon annuel du Design Industriel. Des Musées vont exposer, et expose toujours ces objets de Design dans le cadre de grandes présentations internationales. 

Toutefois, la crise financière de la manufacture Lip, dont les premiers soubresauts animaient les années 1972 et 1973, allait rattraper la SEHEM (Société Européenne d’Horlogerie et d’Equipements Mécaniques), entité qui détient la CEH-LIP. Le retrait d’actionnaires, la méfiance des fonds d’investissements et l’envie politique probable d’en finir avec l’agonie « théâtrale » d’une grande entreprise Française vont avoir raison de Claude NEUSCHWANDER en Février 1976, puis de l’entreprise la même année. Avec la mise en liquidation de la société Lip, la gamme Designer est officiellement stoppée, après 1 années et quelques mois de commercialisation, parfois moins de 6 mois pour les premières montres Quartz développées par Lip. Officiellement seulement, car la production par les ouvriers en grève se poursuit. Ainsi, une partie de la collection TALLON, MEYER ou encore BOYER va devenir un outil de lutte sociale, en étant proposée à un prix inférieur d’environ 50%, afin de financer la lutte des employés Lip. 

« NOS NOUVELLES LIP SONT ELECTRONIQUES.
MAINTENANT, NOUS POUVONS PARLER AVENIR »
(Publicité Lip de 1975)

Publicité montre Lip Electronic TALLON MEYER 1975 CEH NEUSCHWANDER

Publicité CEH-LIP de 1975 / Source : Fond privé HAOND Clément

Sources : 

  • M-P. COUSTANS et D. GALAZZO, Lip des heures à conter, Édition Libris, 2000 et nouvelle Édition Glénat, Grenoble, 2017
  • Ouvrage Collectif, Design « Le Livre » (de 1850 à nos jours l’évolution du design), Édition Florilège, Paris, 1990
  • Pieter DOENSEN, History of the Modern Wristwatch, Édition Snoeck-Ducaju & Zoon, 1994
  • T. GRILLET et R. TALLON, Roger TALLON, itinéraires d’un designer industriel, Édition Centre Georges Pompidou, Paris, 1993
  • Fond de documentation privé sur la Manufacture Lip, HAOND Clément dont catalogue Lip pour la Collection 1975, catalogue Lip Design 1975 et catalogue Lip 1976.
  • Fond de la série 5Z des Archives Municipales de la Ville de Besançon
1969 : La MiniLip, « Ce n’est pas une montre pour minus »

1969 : La MiniLip, « Ce n’est pas une montre pour minus »

1969 : La MiniLip, « Ce n’est pas une montre pour minus »

« Elle est grosse (7mm) elle est large (31mm). Elle est lourde, elle a trois cadrans. Ce n’est pas une montre pour minus ». C’est en ces phrases que la Minilip est lancée en 1969, par une publicité qui ne manque pas de malice. 

Montre Minilip pédagogique 1969 @Loris Granado

Montre Minilip pédagogique 1969 / Source : Collection privé L. G.

Invention dont l’origine semble se perdre dans les méandres de la liberté « artistique » qu’offre la fin des années 1960, la Minilip fait entrer la manufacture Lip dans le monde de la montre pédagogique spécialement conçue pour l’apprentissage de l’heure. Marché de niche, puisqu’il concerne les enfants ayant entre 6 et 8 ans environ, il concerne tout de même pour l’année 1969, près d’1.5 million de poignets potentiels pouvant se couvrir d’une montre (statistiques Insee). 
La manufacture Lip, forte de plus de 100 ans d’expérience à Besançon, va s’engouffrer dans cette voie dès la fin des années 1960, en réfléchissant à une montre favorisant la lecture de l’heure, en adoptant le « leitmotiv » Lip d’alors, une montre abordable, mais de grande qualité. Face aux géants de la production de masse, à l’instar de Kelton, de Kiplé, de Timex ou encore de Maty qui produisent au même moment des montres pédagogiques, Fred LIP va penser autrement, en perfectionnant le principe de lecture, et en proposant « une vraie montre suisse à rubis » (publicité sur la Minilip, 1969). 

Une montre subtilement technique

Dans une France frappée  à la fin des années 1960 par un manque de vitalité religieuse, la montre de communion, première belle montre que recevait généralement filles et garçons aux alentours de 7 ou 8 ans, ne fait plus recette. Quelques modèles de petit diamètre, généralement contenu à 30 mm (lorsqu’une montre homme en fait en moyenne 35 mm) émergent dans les années 1950 et 1960, à l’instar de la Lip Junior. Mais il manque à Lip une montre pour les 6 – 8 ans, afin de convaincre, dès le plus jeune âge, qu’une montre de qualité, c’est une montre Lip.  

L’histoire de Lip est parsemée d’innovations, de victoires et d’infortunes car le développement, pour la première manufacture horlogère de France relevait du devoir. La Minilip n’échappe pas à cette règle, puisqu’elle tire sa technicité de l’intelligence qui caractérise son fonctionnement et sa lecture. Disponible en deux versions, plaquée or (5 microns d’épaisseur) ou chromée, la Minilip s’habille d’un boîtier moderne aux arrêtes saillantes, lui donnant un caractère sportif affirmé. 
Par son mouvement, c’est une montre qui symbolise parfaitement la période complexe que traverse la manufacture Lip en cette fin de décennie. Emprunté au fabricant Suisse Ébauches Bettlach, le mouvement, référence EB 8800, comporte 1 rubis et se caractérise par une très grande fiabilité, tirée de sa simplicité de fonctionnement. Au delà de sa solidité et de son faible coût, il est intéressant puisqu’Ébauches Bettlach, au delà de fabriquer des ébauches, est une filiale du groupe Ébauches S.A., qui dès 1967 possède une part non négligeable d’actions Lip. Nous pouvons certainement remarquer dans ce choix la tentative de gagner des parts de marché pour Fred LIP, mais sous le joug de l’actionnaire Suisse qui causera sa perte quelques années plus tard. 

Cercle concentrique Minilip pédagogique indication heure minute cadran 1969

Eclaté du cadran en cercles concentriques de la montre Lip Minilip pédagogique, indication des heures de l’après-midi, des heures du matin, 1969 @Fond privé HAOND Clément

En tout état de cause, ce qui nous intéresse sur cette montre pédagogique demeure être son cadran, animé par un astucieux jeu d’aiguilles.
Divisé en 3 parties distinctes, le cadran de la Minilip se différencie par son approche très didactique. Chaque cercle concentrique permet de lire, du plus étroit au plus large, les minutes, les heures du matin et les heures de l’après midi.

  • Ainsi, le cercle noir en périphérie du cadran marque, par des nombres blancs les heures de l’après-midi. Gradué de 13 heures à 24 heures, ce cercle permet aux enfants de lire aisément l’heure, d’autant plus que la couleur noir est généralement synonyme de nuit, le lien entre ce cercle et l’après-midi ou la soirée est donc logique. 
  • Le cercle intermédiaire doré regroupe les heures de la matinée, entre 1 heure et 12 heures. Les chiffres et nombres sont peints de rouge afin de ressortir et d’être parfaitement lisibles. 
  • Le troisième et dernier cercle, le plus étroit, offre aux enfants la lecture facilité de grands ensembles de minutes, par saut de 5 minutes. Sur fond blanc, se détache des inscriptions noires qui marquent les minutes. Ainsi « C’est pour que tu puisses bien lire et bien dire les minutes. Sur une montre normale, quand la grande aiguille est sur le 1, ça veut dire 5 mn; sur la tienne, c’est plus facile, c’est marqué 5. » (Publicité Lip Minilip 1969). Fred LIP fait ici fi des codes traditionnels, puisqu’il fait écrire, en positif et en négatif, les minutes telles qu’elles sont prononcées. 

Enfin, les 2 aiguilles, puisque l’affichage des secondes n’est dans l’optique du public visé pas opportun, servent également la lecture de l’heure. L’aiguille des minutes, la plus longue est soit dorée, pour une montre plaquée or, soit en acier pour les Minilip à boîtier chromé. Afin d’habituer ses jeunes clients à lire l’heure, l’aiguille des minutes est volontairement laissée trop longue, puisque sur une montre d’adulte, l’affichage des minutes se fait sur le bord extérieur du cadran. L’aiguille des heures quant à elle se pare de rouge, qu’importe la référence de Minilip. Cette dernière vient effleurer le cercle doré des heures du matin, dont les chiffres sont également rouges, « Comme ça, tu ne peux pas te tromper » scande la publicité Lip Minilip en 1969. 
La prédominance de l’affichage des heures est au final logiquement traité, puisque la journée d’un enfant de 6 ou 7 ans n’est rythmée que par les heures : « 7 heures pour le levé, 10 heures pour la récréation, 12 heures pour le repas ou encore 17 heures pour le goûter ». 
En bref, la manufacture Lip livre ici une vraie montre, pensée pour résister à la vie trépidante des jeunes enfants à qui elle se destine. Par son mouvement, sa présentation qualitative et sa lecture facilitée, cette lip pédagogique dispose de tous les traits caractéristiques d’une Lip d’adulte, pour le tiers du prix. 

Un dispositif pédagogique innovant

Au delà de la montre, l’ensemble de la sphère dans laquelle évolue la Minilip est étudiée par la manufacture Lip. Les bracelets en tissu de type « Perlon » portent des couleurs et des motifs inédit chez Lip. Ces fines bandes d’étoffe rapidement interchangeables se glissent sous la montre, afin d’adapter aux humeurs du jours le bracelet de sa première montre. Du bleu, du jaune, du rouge, des bandes, unis ou encore à fleurs, les bracelets sont ingénieux et pensés pour les enfants. 

Montre Minilip pédagogique 1969 + fascicule Minilip

Montres Minilip pédagogiques de 1969 avec bracelet d’origine et fascicule Minilip / Source Collection privé L. G. et J-C. J.

Enfin, pour parachever sa réalisation, Fred LIP accompagne la Minilip d’une vaste campagne de propagande, en faisant distribuer des carnets Minilip (photographie ci-dessus) ou encore, en produisant des présentoirs en plastique moulé blanc dédiés à cette montre. Par ce dernier, nous touchons du doigt l’innovation majeur, témoin du déclin de Lip à la fin des années 1960 et au début des années 1970. Comme le démontre l’absence totale de référence à la manufacture de montres Lip sur la publicité vantant la Minilip, hormis le suffixe Lip, celle-ci était vendu dans un circuit inexpérimenté pour la firme de Besançon. La Minilip se trouve ainsi en bonne place dans les librairies, dans les papeteries, dans les bars, etc … sur un présentoirs dont la mode était l’apanage de Kelton ou de Timex. Vendues sans écrin et hors des traditionnels H.B.J.O. dont Lip prenait soins en leur accordant l’exclusivité de la marque aux 3 lettres, la Minilip est le symbole de la nécessaire diversification de la manufacture familiale. Dans une atmosphère de crise financière qui couve, Fred LIP se résout, non sans animosité et véhémence comme le montre ses échanges écrits avec les responsables de la communication et de la vente sur le projet Minilip en 1969, à vendre des montres dans ces lieux atypiques pour l’horlogerie.
Malgré un prix très intéressant de 59.90 Francs, la diffusion de la Minilip sera assez restreinte, notamment à cause du retard pris dans la fabrication des présentoirs, indispensables pour présenter et vendre les montres. Hantise de Fred LIP, qui dans une lettre confidentielle aux Horlogers Lip alertait la profession du danger des montres « jetables, vendues en bureaux de tabac et qui finiront au fond d’une poubelle » (Timex et Kelton sont ici visés), la Minilip, par son infortune témoigne de l’échec de Fred LIP à re-dynamiser sa société, avec les suites que nous connaissons aujourd’hui, un puis deux conflits sociaux dans les années 1970, et une liquidation définitive en 1976.

Publicité Lip pour la montre Minilip pédagogique de 1969

Publicité de 1969 pour la commercialisation de la montre pédagogique par Lip, la MINILIP / Source : Fond privé HAOND Clément

Sources : 

  • M-P. COUSTANS et D. GALAZZO, Lip des heures à conter, Édition Glénat, Grenoble, 2017
  • Fond de la série 5Z des Archives Municipales de la Ville de Besançon, et notamment les fonds 5Z163 et 5Z164 rellatifs à la Publicités Lip entre 1962 et 1973.
  • Fond de documentation privé sur la Manufacture Lip, HAOND Clément
  • Fond d’archives du Musée du Temps, Besançon
  • Fond d’archives privées de la famille JACOTTOT
  • Montres issues d’une collection privée, L. G.
1966 – 1981 : Nautic-Ski Electronic, « Lip est toujours en avance d’une montre »

1966 – 1981 : Nautic-Ski Electronic, « Lip est toujours en avance d’une montre »

Dépliant publicitaire pub montre sur la Lip Nautic-Ski Electronic 1967 @Musée du Temps

Dépliant publicitaire pour présenter la nouvelle montre Lip Nautic-Ski Electronic étanche en 1967 / Source : Collection du Musée du Temps (Besançon)

Montre officielle des XeJeux Olympiques d’Hiver de Grenoble en 1968, dont Lip est chronométreur en partenariat avec Omega (Manufacture Suisse), la Lip Nautic-Ski Electronic est une référence du catalogue Lip de la fin des années 1960 à 1981. Également montre célébrant le centenaire de Lip (1867 – 1967), elle est présentée comme fer de lance d’une production dont la fiabilité et la qualité ne sont plus à démontrer.
Montre de plongée au tempérament d’aventurière, la Nautic-Ski est le fruit d’un long processus de développement, usant des meilleurs composants et solutions technologiques de l’époque.

Première montre de plongée Française étanche à 200 mètres de profondeur, elle use d’un boîtier Supercompressor très technique à deux couronnes directement issu de la manufacture E.P.S.A., ainsi que d’un mouvement unique, propre à la fabrique de montres Lip, l’Electronic R184 Dato. Telle que le scandait la publicité promouvant la Lip Nautic-Ski Electronic en 1967 : 

« Lip est toujours en avance d’une monte »

Un écrin d’acier pour un mouvement Lip inédit, l’Electronic R184

Montre Besançon Lip Nautic Ski Electronic grise 1969 et noire 1967

Montres Lip Nautic-Ski Electronic référence 42.605 (cadran gris, en haut) de 1969 et Lip Nautic-Ski Electronic référence 42.554 (cadran noir, en bas) de 1967 / Source : Fond privé HAOND Clément

La raison d’être principale de la Nautic-Ski Electronic tient dans une partie de son patronyme, « Electronic ». Sous un anglicisme déroutant pour une manufacture Française, se cache une technologie exceptionnelle, fruit de près de 15 années de recherches Lip. Ni totalement mécanique, ni totalement électronique comme peut l’être un mouvement Quartz, l’Electronic Lip se caractérise par l’usage d’une pile en lieu et place du ressort de barillet, annulant ainsi la fastidieuse tâche du remontage quotidien d’une montre mécanique conventionnelle. 

Évolution du Calibre R148 breveté par Lip, le R184 en est la variante Dato, dénomination commerciale du système de calendrier sur un mouvement d’horlogerie chez Lip. Le R148, commercialisé dès la fin d’année 1962 succède immédiatement au trop novateur Calibre R27, premier mouvement électromécanique d’Europe, et second au monde. Ce dernier, bien qu’étant d’une conception technique jusqu’ici jamais vue en horlogerie, va souffrir de son lancement précipité, et d’une fiabilité aléatoire, le cruel sort de ce qui est en avance sur son temps. Mais Lip redresse la barre, emmenée par un patron, Fred LIP,  aventurier et fantasque. Ainsi, 4 ans après la commercialisation du R27, le R148 lui succède. Plus performant, plus compact, ne nécessitant qu’une seule pile et d’une fiabilité largement accrue, ce mouvement va faire la richesse économique et technologique de la manufacture Lip, en relançant l’usage de l’électricité en horlogerie.

Comparaison Lip Electronic R148 184 mouvement Lip R23 mécanique @SHL

À gauche : Mouvement Electronic Lip R148 / R184
À droite : Mouvement mécanique à remontage manuel Lip R23
/ Source : Service Histoire Lip

Pour simplifier le principe de fonctionnement de ces mouvements, nous pouvons tout d’abord partir du fait qu’une pile électrique remplace le traditionnel ressort de barillet, lame d’acier spiralée qui, une fois comprimée, fournie la force motrice du mouvement en se détendant progressivement.
Cette pile délivre du courant à une bobine, cette dernière emmagasine alors de l’énergie, puis la communique au balancier à un instant T, sous forme d’impulsions électromagnétiques. À la manière d’un électro-aimant,  le cycle s’auto-entretient pendant plus d’une année, avec une régularité inédite pour l’époque. Un échappement direct « compte » ces oscillations, puis il les transmet à un train de rouages classiques qui affiche l’heure par un jeu de trois aiguilles sur le cadran. 

Fascicule technique mouvement de montre Lip Electronic R148 R184 dato 1962

Principe de fonctionnement des mouvements Electronic Lip R148 et R184 issu d’un fascicule technique destiné aux horlogers réparateurs Lip / Source : Fond de documentation privé HAOND Clément

L’emploi d’une micro-pile comme organe moteur du mouvement, et de la force electro-magnétique comme organe régulateur est unique à ce niveau de commercialisation et d’automatisation. Ne croyant pas en l’avenir du remontage automatique d’un mouvement mécanique, Fred LIP et son bureau d’étude horlogère vont œuvrer à la conception, puis à la fiabilisation de la technologie Electronic Lip dans les années 1950 et 1960. La manufacture bisontine est seule, dans le paysage horloger mondial, à développer commercialement l’électro-mécanique entre 1945 et 1980. Solution technique plus complexe, mais plus efficiente que le remontage automatique, l’Electronic Lip offre une stabilité de réglage et de fonctionnement inédite, y compris lorsque la montre n’est pas portée. Le savoir-faire technique des services internes Lip de l’usine de Palente, l’expérience plus que décennale concernant la standardisation des coûts et la facilité d’exécution acquise par Lip font le reste, en propulsant les mouvements R148 (1962) puis R184 (1964) au panthéon des innovations horlogères. 

Ainsi, au milieu des années 1960, Fred LIP possédait un mouvement révolutionnaire, innovation majeure qui marque la maîtrise technique complète de la marque phare de Besançon. Cette technologie symbolise l’affrontement entre la technique Française, et plus précisément celle de Lip avec l’Electronic, et la technologie Suisse, basée sur l’usage du remontage automatique. Lip se devait de démontrer la prééminence de l’Electronic par une montre singulière, aussi technique que l’est le mouvement R184 qui l’anime, symbole de 100 ans d’avant-garde Lip. C’est dans cette atmosphère que prend racine le projet Nautic-Ski Electronic, au milieu des années 1960. 

Super-Compressor, pour une montre « Super-étanche »

Publicité Ervin Piquerez SA EPSA fabrique de boîtier 1964

Publicité E.P.S.A. de 1964 / Source : Service Histoire Lip

Un mouvement anime la montre, mais il lui manque une carrure. Le boîtier sera rapidement trouvé auprès de la manufacture de boîtes Suisse E.P.S.A., acronyme d’Ervin PIQUEREZ Sociéte Anonyme. Pièce d’acier inoxydable « super-étanche » comme le vantait les publicités Lip de l’époque, la Nautic-Ski va être pourvue du meilleur de ce qui se faisait à l’époque en matière de boîtier de montre de plongée. Le « Super-Compressor », marque et modèle déposé par E.P.S.A. dans les années 1950 se distingue par plusieurs systèmes brevetés spécifiques à la pratique de la « plongée sous-marine de type professionnel ». 

  • Principale caractéristique du boîtier Super Compressor EPSA, sa lunette interne, et par extension, les deux couronnes à 2h et 4h. La couronne située à 2h permet de contrôler la rotation de la lunette interne, celle qui se trouve à 4h permet, dans le cas du mouvement Electronic Lip R184, de régler l’heure à la manière d’une couronne de remontage traditionnelle. Surdimensionnées et épaisses, elles sont faciles à manipuler en immersion, y compris avec des gants par exemple. La résistance qu’opposent les joints toriques qui assurent l’étanchéité du boîtier sur cette partie exposée de la carrure permet de limiter les manipulations involontaires lors de la plongée. Nous y reviendrons par la suite, mais les couronnes sont initialement, et sur une courte période signées du logo Lip. Après 1967, elles seront systématiquement striées sur les modèles à boîtiers rond et sur les Super Nautic-Ski, sur les Lip Nautic-Ski à boîtier coussin, les 2 couronnes sont lisses.
    C’est également pour une plus grande sécurité que la lunette chronographique se trouve sous le verre. Ainsi protégée par un épais dôme de verre minéral (ce dernier doit résister à une pression de plus de 20 bars aux alentours de 200 mètres de profondeur, soit une force verticale de plus de 20kg par cm2), la lunette ne peut donc pas, par maladresse, être manipulée. Cette lunette joue un rôle vitale pour les plongeurs dans les années 1960. Le zéro de celle-ci (matérialisé par un triangle de matière luminescente type Tritium) est aligné au début de la plongée sur l’aiguille proéminente des minutes. Au cours du déroulé de la plongée, l’aiguille des minutes poursuit son défilement. Il suffit ensuite de noter ses temps de plongée parallèlement aux profondeurs lues sur le profondimètre que porte tous les plongeurs en bouteille. Ensuite, un rapide calcul via une table de plongée, et le plongeur connaissait ainsi les temps de paliers nécessaires pour sa remontée vers la surface, sans risque d’accidents de décompression.
    Brevet boîtier Super Compressor EPSA Lip Nautic Ski Eletcronic

    Brevet boîtier Super Compressor EPSA Lip Nautic Ski Eletcronic / Source : Service Histoire Lip

  • Seconde caractéristique du boîtier Super Compressor du manufacturier E.P.S.A., son fond spécifiquement pensé pour la plongée sous-marine. Problématique majeure qui s’oppose à l’étanchéité d’une montre, la pression qu’exerce la colonne d’eau au dessus du plongeur va être utilisée par E.P.S.A. pour renforcer l’imperméabilité de son boîtier. Ainsi, le fond vissé monobloc en acier inoxydable (signé du blason de la manufacture Lip à l’extérieur, et du scaphandre de la manufacture Piquerez) repose sur un ressort. Le fond ne comprime donc pas totalement le joint torique de boîtier. Ce stratagème permet d’une part une contrainte moindre du joint, mais surtout, le fond dispose d’une toute petite part de mobilité. Ainsi, l’augmentation proportionnelle du couple pression/profondeur exerce sur le fond de boîtier une force de plus en plus grande, qui comprime à son tour le joint. Le système EPSA offre une étanchéité à 200 mètres uniquement lorsque l’usage le nécessite.

Un nom légendaire pour une grande montre

S’adaptant aux demandes stylistiques changeantes, la manufacture Lip va employer 3 boîtiers différents en provenance directe des ateliers d’E.P.S.A.. Le boîtier rond classique va cohabiter avec un boîtier massif qui recouvre les couronnes, pour augmenter le degrés de sécurité en plongée. Un troisième boîtier va être employé à partir des années 1970, ce dernier se trouvant à mis chemin des deux précédents avec une forme coussin, les couronnes se trouvant à moitié encastrées dans la carrure. 

3 variantes de boîtiers montres Lip Nautic Ski et Super Nautic Ski @Service Histoire Lip

3 variantes de boîtiers montres Lip Nautic Ski et Super Nautic Ski / Source : Service Histoire Lip

Afin de parachever sa réalisation, Fred LIP va affubler sa montre d’un nom mythique, qui vient surplomber la technologie Electronic sur les divers cadrans permis par 14 années de production. Nautic-Ski, deux termes accolés qui ne sont pas dénués de sens, l’illustre patron de la manufacture Lip étant un homme plein de ressources. L’affiliation à Nautic est assez limpide, puisque la vocation primaire de la Nautic-Ski Electronic est la plongée sous-marine, et plus globalement le milieu aquatique. Certainement dans une logique d’internationalisation, et pour suivre l’exemple de l’Electronic, la mention Nautic use alors d’un anglicisme. 
Pour ce qui est du suffixe Ski, il faut en chercher la raison dans la passion que partage Fred LIP et sa fille, Muriel, celle du Ski Alpin qu’ils pratiquent à haut niveau. Cette dernière étant par ailleurs membre de l’Equipe de France de Ski Alpin dans les années 1950, il n’en fallait pas plus pour donner un nom à la montre du centenaire Lip (1967). Également désignée comme montre officielle des Xe Jeux Olympiques d’hiver de Grenoble en 1968, le dénomination Nautic-Ski trouvait là toutes ses lettres de noblesse. 

Du poignet de plus grands … au déclin de la première manufacture horlogère de France

Dès sa promotion officielle en 1968, la Lip Nautic-Ski, puisqu’à cette période il n’existe qu’une seule variante, la référence 42.554 (boîtier rond, cadran noir), et en astucieux publicitaire qu’est alors Fred LIP, va s’afficher aux poignets de stars d’alors. Personnalités du sport notamment, la Lip Nautic-Ski est la partenaire de Jean-Claude KILLY, ou encore des sœurs GOITSCHEL pour les Jeux Olympiques de Grenoble, début 1968. D’ailleurs, elle équipera l’ensemble de la délégation Française à Grenoble. Il en sera de même pour les XIXe Jeux Olympiques d’Été de Mexico, qui se tiennent la même année, où, sur décision du Ministère de la Jeunesse et des Sports, la totalité des athlètes recevra une Nautic-Ski. Il est toutefois intéressant de noter qu’une Lip Nautic-Ski spéciale, gravée des anneaux Olympiques est offerte fin 1967 aux meilleurs horlogers dépositaires de la marque Lip et à certains horlogers Lip de la région Grenobloise, lors d’une entrevue inédite de Fred LIP. 

Symbole du degré d’exigence absolu dont Lip S.A. d’horlogerie va faire preuve, la Nautic-Ski va rythmer les harassantes journées de mer du grand navigateur Français Eric TABARLY. Pourvu d’une « N-S » référence 42.554 à boîtier rond et cadran noir, le skipper hors-pair, vainqueur de nombreuses courses à bord des novateurs « Pen Duick » de sa conception va couvrir de gloire, à l’instar des Himalaya des années 1950, sa montre Lip. Parfaitement étanche jusqu’à 200 mètres de profondeur, munie d’une lunette permettant le calcul de temps de navigation et invariablement précise grâce à son mouvement Electronic, elle est la montre d’excellence pour le navigateur. Ainsi, quoi de plus exigeant qu’un skipper en compétition pour démontrer l’infaillibilité de la Lip Nautic-Ski, quelque soit les conditions qu’elle affronte. 

Au delà de célébrités, la Nautic-Ski est la « tool-watch » idéal pour nombre de corps de métier ou de passion. Majoritairement achetées dans le marché civil, les Nautic-Ski vont servir aux pompiers, aux plongeurs-secouristes, aux amateurs d’apnée, aux sportifs accomplis pratiquants le ski, la natation, le sport automobile, et autres sports d’actions. Ajoutons à cela les scientifiques travaillant en milieu humide, à l’instar de certains équipiers de missions Cousteau dans les années 1960 et 1970.
Anecdote personnelle au cœur du récit, la montre Lip Nautic-Ski Electronic référence 42.605 à cadran gris et bracelet Tropic Star (manufacture Suisse de bracelet en caoutchouc vulcanisé) d’origine présentée plus haut a servie son premier et unique propriétaire, Monsieur P., lorsqu’il était, à la toute fin des années 1960 et durant les années 1970, successivement maître nageur, pompier puis sapeur-pompier plongeur et entraîneur d’une grande équipe de Kayakistes. Pour toutes ses activités liées au milieu aquatique, et nécessitant de pouvoir calculer rapidement des temps, la Lip Nautic-Ski, lorsqu’il la vu chez l’horloger de son village, c’est immédiatement imposée. Et ce fut son cadeau pour l’année 1969.

Aboutissement technologique de l’ingénierie Lip par son mouvement unique et son design, primauté du savoir-faire horloger avec un boîtier Suisse techniquement remarquable, la Nautic-Ski, telle que la citait la publicité en 1967 est :

… la dernière audace de 100 ans d’avant garde chez Lip

Photographies publicités montre Lip Nautic Ski Electronic

Publicités montre Lip Nautic Ski Electronic / Source : Fond privé HAOND Clément

La Lip Nautic-Ski en 6 points :

  • Boîtier EPSA Swiss Made Super Compressor breveté et étanche à 200 mètres de profondeur. Singulier par sa lunette interne bidirectionnelle et ses doubles couronnes. Le tout, réalisé dans un bloc d’Acier Inoxydable de haute qualité, fond vissé à empreinte polygonale. 3 variantes vont se côtoyer, un boîtier rond classique, un boîtier coussin et un boîtier rond massif.  

  • Mouvement Electronic Lip R184 entièrement conçu, dessiné, testé et manufacturé par Lip S.A. d’horlogerie à Besançon, au cœur de l’usine de Palente. Révolutionnaire car il ne se remonte pas, assure un fonctionnement et une excellente précision durant plus d’une année, le R184 est réalisé sur base du Lip R148 dont il est la version à quantième (DatoLip) :

      • Seconde centrale directe
        Calendrier à guichet
        Ø 26 mm
        Épaisseur : 6.750 mm
        Exécuté en 14 rubis
        Laiton spécial horlogerie

  • Cadrans : systématiquement à larges indexs recouvert de Tritium. 4 configurations d’indexs vont s’échelonner au fil des années : type référence 42.554 / type référence 42.608 / type référence 42.685 / type référence 42.827.
    13 variantes de couleurs vont se côtoyer, pour livrer 20 modèles de Nautic-Ski ou Super Nautic-Ski différents.

  • Verre fortement bombé et très épais, réalisé en matière minéral, spécifique au boîtier Super Compressor, une creusure permet de laisser libre la lunette interne (certains verre actuel ne se montent pas, ou bloque la lunette par l’absence de cette creusure).

  • Bracelets : D’origine, quasiment toutes les Lip Nautic-Ski et Super Nautic-Ski étaient équipées de bracelets Tropic fabriqués en Suisse. De type imputrescible, ils étaient assortis à la couleur du cadran de la montre (noir, bleu, gris, vert, orange, les combinaisons sont presque infinies). Lip va utiliser des Tropic classiques quadrillés et des Tropic Sport (grands trous) en monte d’origine sur les Nautic-Ski et Super Nautic-Ski. Nous pouvons toutefois noter une exception, puisque la Super Nautic-Ski sera proposée entre 1970 et 1973 avec un bracelet métallique d’origine, sous la référence 42.657 (un Tropic Sport bleu reste disponible, 42.684).

  • Production entre la fin Août 1966 et 1981, commercialisation entre 1967 et 1981.

Sources :

  • M-P. COUSTANS et D. GALAZZO, Lip des heures à conter, Édition Libris, 2000 et nouvelle Édition Glénat, Grenoble, 2017
  • Fond de documentation privé sur la Manufacture Lip, HAOND Clément
  • Fond de la série 5Z des Archives Municipales de la Ville de Besançon, dont notamment un fond sur la publicité Lip par Publicis pour l’année 1967.