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1914 – 1918 : L’affaire LIPMANN au cœur de la Première Guerre Mondiale

1914 – 1918 : L’affaire LIPMANN au cœur de la Première Guerre Mondiale

1914 – 1918 : L’affaire LIPMANN au cœur de la Première Guerre Mondiale

Comme nombre de fabricants d’horlogerie de l’époque, Français mais également Suisses ou Allemands, la Guerre va être une épreuve, un juge de « paix » évaluant les entreprises suffisamment puissantes pour résister, voir briller durant le conflit, et les firmes brisées par les restrictions imposées, par le manque ou l’impossibilité d’investissement, ou simplement parce qu’elles n’ont pu s’adapter aux virages technologiques successifs imposés par l’effort de Guerre.

Par la grande notoriété acquise entre 1867 et les premières années du XXe siècle, la manufacture d’Horlogerie LIPMANN Frères va être en bonne place, à l’orée du déclenchement du premier conflit intercontinental, pour triompher d’un affrontement inédit. 

Facture Lip 12 Décembre 1939 en tête Usine Lip de la Mouillère

Usine de la Mouillère en en-tête d’une facture Lip.
Source : Collection privée HAOND Clément

Administrée alors par la seconde génération de LIPMANN, Ernest et Camille (et dans une moindre mesure la seule fille de la fratrie, Jenny), la Société Anonyme LIPMANN Frères se développe, forte d’une usine de production très récente dans le quartier de la Mouillère (Besançon, 1903), dont elle prendra le nom. Par la fabrication du premier calibre de montre de poche de l’histoire de Lip, le 39 AC (17 »’ soit 38.3 mm) en 1910, et la mise en place d’un réseau de distributeurs nationaux couplés à une intense campagne publicitaire, la marque Lip s’impose en France comme leader incontestable de l’horlogerie de qualité, que ce soit en montre de poche ou en montre bracelet. 

Ainsi, lorsque l’Archiduc François-Ferdinand d’Autriche (1863 – 1914) est assassiné le 28 Juin 1914 à Sarajevo, un mécanisme d’alliances met le feu aux poudres, et embrase l’Europe, puis assez rapidement, par extension coloniale, le monde. L’empire Russe, la France et la Grande-Bretagne (Alliés) sont ainsi confrontés aux forces des Empires Centraux, dont nous trouvons en tête l’Empire Allemand, l’Empire Austro-Hongrois et l’Empire Ottoman.

Produire, y compris en temps de Guerre (1914 – 1918)

La manufacture LIPMANN se retrouve ainsi, au cours de la première moitié du XXe siècle, au cœur d’un conflit majeur, duquel elle doit se sublimer.
Le déroulement de la Guerre va être « favorable » à la marque Lip, qui va, par son implication dans l’approvisionnement de l’Armée et de la Marine Française, et dans la livraison de montres pour le marché civile, tirer une notoriété encore rehaussée à l’issue de la Première Guerre Mondiale. 

Réclame pub pour montres Lip publicité 1917 armée française artillerie Chronomètre Lip Gousset

Réclame pour « LA MONTRE DE LA VICTOIRE », la montre Lip datée de 1917 Source : Didier DAENINCKX, La pub est déclarée ! 1914-1918 , éditions Hoëbeke, Paris, 2013

La marque Lip va orner les tableaux de bord d’une aviation Alliées balbutiante, mais également les montres de poche des Artilleurs Français ou encore, et c’est une nouveauté de taille, les poignets d’officiers puis de soldats, avec la généralisation du port de la montre bracelet, pour une notion essentiellement pratique et fonctionnaliste.

Comme nous l’enseigne l’étude de la publicité Lip, qui se poursuit y compris durant la Guerre, la production ne cesse pas à l’usine de la Mouillère. 
200 salariés, dont 55 horlogers venus de Suisse participent à l’effort de Guerre dès 1914. Ils produisent alors majoritairement des dispositifs d’horlogerie pour l’Armée Française et les Armées Alliées (des montres diverses, des chronomètres, des télémètres pour l’artillerie), mais également des têtes d’obus, des déclencheurs de mines et d’autres fournitures à usage uniquement militaire. La production s’organise différemment, en marquant les débuts de la collaboration entre les différents services de l’Armée et Lip. Ainsi, l’avancement technologique dont fait état l’entreprise Bisontine en 1914, et qui évolue durant la guerre, et sans commune mesure face au terne dynamisme de l’industrie de l’armement d’alors.

« Grâce à Lip, l’armée Française se sert progressivement de pièces d’artillerie modernes ressemblant à celles allemandes équipées par Junghans. [Au début de la Première Guerre Mondiale], les premiers obus Français sont encore équipés de mèches à poudre quasiment identiques à celles utilisées durant les batailles Napoléoniennes. » (in M-P. COUSTANS et D. GALAZZO, Lip, des heures à conter, Glénat, Grenoble, 2017, page 16

Mais le véritable tour de force d’Ernest LIPMANN sera de proposer, fort d’une expérience acquise depuis le début du XXe siècle avec le calibre 20.3, premier mouvement Lip, une gamme de montres bracelets. Durant la Guerre, Lip va poursuivre la fabrication et la vente, aux horlogers des zones Françaises épargnées par les combats, de montres estampillées de la marque aux 3 lettres. La collection sera vraisemblablement réduite, centrée autour de montres utilitaires, que nous nommerons à posteriori « Montres de Poilus », en référence à leurs porteurs, valeureux soldats Français mobilisés pour défendre leur patrie. 

Lip Homme 8 janvier 1916 1ere Guerre Mondiale de poilu l'Illustration montre bracelet Lipmann

Publicité Lip pour « le nouveau Bracelet-Montre LIP » parue dans l’Illustration, 1916 Source : HAOND Clément, collection privée

Cette expérience va s’accompagner de diverses innovations et améliorations. Les mouvements, devant alors subir des conditions d’emplois très rudes au front sont renforcés, leur précision est accrue par l’usage de balanciers bimétalliques compensés, moins sensibles aux variations de températures. Les verres sont plus solides, et peuvent, pour les montres militaires, recevoir une grille de protection. 
Aux traditionnels boîtiers en laiton chromé, ou nickel, s’ajoute des boîtiers en argentan (mélange de nickel et de cuivre ou zinc) et des boîtes en acier inoxydable, matériau extrêmement résistant au choc et à la corrosion, mais d’une grande complexité à usiner (l’outillage nécessaire doit être renforcé).

 

 

Montre Lip type Courant de poilu militaire de la première guerre mondiale 1914 1918 aiguille radium (1)

Montre Lip Type Courant des années 1910, du type « Montre-bracelet de Poilu » en usage durant la Première Guerre Mondiale, option aiguilles luminescentes. Source : Collection privée, HAOND Clément

Les cadrans deviennent en option radioluminescent grâce à une découverte de 1898 des époux Curie, le radium (88 Ra). Par un procédé industriel, ce métal radioactif est combiné à du sulfure de zinc afin de produire du sel de radium, appliqué ensuite à l’instar d’une peinture tantôt sur les aiguilles, sur les chiffres en reprenant leurs formes ou par l’intermédiaire de points marquants les heures. Ainsi, l’heure est lisible dans l’obscurité, mais également radioactive (cette matière sera utilisée jusqu’aux années 1950 – 1960, remplacée ensuite par le tritium). La S.A. LIPMANN Frères va employer cette innovation dès 1904, en la généralisant pendant et après la Guerre. 

L’heure de la Victoire : 1918

Survivant avec panache à la Guerre, la manufacture LIPMANN devient une des entreprises horlogères les plus puissantes et sérieuses des années 1920. Forts de la Victoire des Armées Alliées (dont l’Armée Française), les Frères LIPMANN, Ernest et Camille, se retrouvent officiellement à la tête de l’entreprise fondée par leur père, Emmanuel, mort en 1913.
Respectivement Président de LIP (Ernest, Technique) et Directeur (Camille, Financier et Administratif), la Guerre va préparer l’avènement d’une nouvelle génération de LIPMANN, ainsi que l’affirmation de la ferme résolution d’orienter la Société Anonyme LIPMANN Frères vers un avenir manufacturier.

En abaissant progressivement la part de pièces, fournitures, mouvements et machines importés, l’entreprise Lip va promouvoir, durant l’ensemble de l’entre-deux-guerres, la production interne de l’ensemble des éléments nécessaires à la fabrication de montres « LIP », en passant de la conception des machines-outils à celle des mouvements, boîtiers ou cadrans par exemple, ou encore, en étudiant attentivement les méthodes de production, afin de les rendre plus rigoureuses, dans un soucis toujours plus poussé de qualité et de productivité.
Au delà de cela, nous l’avons vu, la Manufacture LIPMANN s’inscrit dans son époque, s’adaptant aux demandes tant civiles que militaires, en démontrant ainsi la réactivité de son savoir-faire. Ernest LIPMANN, alors Président de l’affaire, est dans la bonne voie pour imposer sa vision, celle de créer les meilleures montres de France. La fin de la Grande Guerre est le symbole de cette ardeur, avec le développement et la mise en production, dès 1918, du Calibre 26 mécanique à remontage manuel. Ce mouvement de construction moderne, conçu par C. JACOT et A. DONAT, les deux ingénieurs majeurs du laboratoire de recherche Lip, rue des Chalets, marque l’incroyable développement de l’entreprise LIP. La manufacture Bisontine compte, au sortir de la Guerre, une centaine de salariés, dont des horlogers, des tourneurs, des ingénieurs, etc … gage des compétences internes de l’entreprise mises en place durant les années de conflit.

Sources :

  • COUSTANS Marie-Pia et GALAZZO Daniel, Lip, des heures à conter, Édition Glénat, Grenoble, 2017
  • MAUERHAN Joëlle, Horlogers et Horlogères à Besançon, 1793-1908, un passé prêt à revivre, Édition L’Harmattan, 2018
  • Fond de documentation privé sur la Manufacture Lip, HAOND Clément

  • www.museedelaguerre.ca (pour l’Histoire de la Première Guerre Mondiale)
  • www.defense.gouv.fr rubrique Le Saviez-Vous? /Quand la montre-bracelet détrôna la montre à gousset…
1899 : L’ESSENCE D’UNE MANUFACTURE HORLOGÈRE / Le Calibre Lip 20.3

1899 : L’ESSENCE D’UNE MANUFACTURE HORLOGÈRE / Le Calibre Lip 20.3

1899 : L’ESSENCE D’UNE MANUFACTURE HORLOGÈRE / Le Calibre Lip 20.3

Calibre Lip 20.3 montre bracelet LIPMANN 1899 mouvement manufacture

Calibre Lip 20.3 créé en 1899, premier mouvement manufacturé par la Société LIPMANN Frères à Besançon, dans son atelier au 14 Grande Rue / Source : Fond privé HAOND Clément

L’âme de la modernisation industrielle plane en cette fin de siècle (XIXe) sur la Société Anonyme Lipmann Frères. Convertie en S.A. en 1893 par la participation des deux fils d’Emmanuel LIPMANN (et dans une moindre mesure de sa fille, Jenny), Ernest (1869 – 1943) et Camille (1872 – 1947) vont répondre à une demande tout à fait récente en 1899, celle de porter sa montre solidement arrimée au poignet par une lanière de cuir ou de tissu, via l’essor de la montre-bracelet moderne, telle que nous la connaissons aujourd’hui. À cette époque, la montre de poche ou gousset est encore la norme, notamment parce que la miniaturisation des mouvements est un art complexe, non industrialisé et ainsi, réservé à une clientèle fortunée.
Avec une quarantaine de salarié après 1896, la Manufacture Lip aborde donc le XXe siècle par le développement d’un mouvement ancré dans son époque, le calibre Lip 20.3. D’un diamètre de 20 mm, ce mouvement est spécifiquement développé pour équiper des montres-bracelets de faible encombrement, contenu à une trentaine de millimètres de diamètre pour la montre finie. Initialement proposé en deux aiguilles marquant les heures et les minutes, ce mouvement sera, dès 1901, enrichi de l’affichage des secondes par un sous-cadran disposé à 6 heures, afin de toujours mieux ce soustraire aux évolutions de la mode. Fait marquant pour cette Manufacture qui s’affirme sur la scène Nationale, ce mouvement, premier du genre montre-bracelet entièrement développé par Lip, est dès 1899 certifié Chronomètre par l’Observatoire Chronométrique de Besançon, organe officiel et indépendant reconnu internationalement pour ses mesures de précisions en horlogerie.

Atelier montre Lip Lipmann Emmanuel horlogerie 14 grande rue Besançon

Atelier Lip situé au 14 Grande Rue de Besançon
Source : Fond d’archives du Musée du Temps, Ville de Besançon

Au delà de cela, il s’agit d’un mouvement historiquement fort pour la société LIPMANN Frères, puisqu’il signe l’avènement de la Manufacture Lip, car il s’agit du premier calibre entièrement conçu, de l’ébauche aux composants, au sein de l’entreprise Lip, au 14 de la Grande Rue de Besançon. Ce mouvement fait entrer Lip dans une nouvelle dynamique, puisque dorénavant, l’avenir sera marqué par une part croissante de mouvements Lip développés, fabriqués et assemblés en interne à Besançon. Ainsi, 32 années après l’installation d’un atelier d’établissage au 70 Grande Rue à Besançon, Emmanuel, père de cette affaire familiale mais surtout Ernest et Camille LIPMANN, artisans de la dynamique « manufacturière » imprimée à Lip au tournant du XIXe siècle, peuvent admirer le triomphe d’un nom, qui va durablement marquer l’histoire horlogère.

Le calibre 20.3 manufacturé par la S.A. LIPMANN Frères symbolise également l’avènement des deux fils d’Emmanuel comme repreneurs de l’affaire familiale, lui impulsant un nouveau souffle, afin d’affronter avec sérénité le XXe siècle qui se profile. À partir de 1899, une dynamique manufacturière va ainsi s’emparer des frères LIPMANN, Ernest et Camille, qui vont s’entourer d’ingénieurs, de prototypistes, de dessinateurs, afin de poursuivre cette quête vers la rigueur, la qualité et l’exactitude.

Techniquement parlant, ce mouvement est tout à fait remarquable pour son époque. Tout d’abord, son diamètre est contenu à 8 »’ 1/2, soit 19.2 mm, nécessitant une indéniable excellence du parc machines et une précision sans faille dans l’assemblage. L’empierrage est généreux, puisque ce mouvement est doté de 15 rubis synthétique offrant une usure largement amoindrie des pivots. Ce nombre de rubis, tout comme la compacité générale du mouvement, indique qu’il s’agit là d’une montre de qualité, comme le confirme l’échappement à ancre, réservé alors aux montres les plus prestigieuses et précises.

Calibre 20.3 Lip 1er mouvement montre bracelet manufacturé par LIPMANN en 1899

Vue sur le balancier bimétallique et sur une partie de l’ancre du Calibre Lip 20.3 Source : Collection privée HAOND Clément

Le balancier bénéficie d’un grand soin, puisqu’il est en acier spécial à vis compensatrices. D’un diamètre de 8 mm, il est couplé à un spiral à courbe Breguet bleui, qui procure au mouvement des performances de régularité exceptionnelles au début des années 1900. Pour parfaire encore l’efficacité de son premier mouvement manufacturé, les Frères LIPMANN vont l’équiper d’un balancier bimétallique à serge ouverte. Enfin, une finition exemplaire, dans l’ADN Lip car cette dernière est axée sur l’aspect fonctionnel du mouvement, et non pas sur le rendu esthétique, vient compléter le tout. Lip, par la mise en production en interne d’un mouvement de montre-bracelet, le Calibre 20.3, s’affirme ici comme une puissante entreprise de l’industrie horlogère mondiale en devenir. 

Par une constante amélioration des procédés techniques de fabrication et une finition globale exemplaire, le calibre Lip 20.3 est le premier mouvement à ancre de 20 mm à recevoir le titre de Chronomètre de l’Histoire de l’Observatoire de Besançon, dont le service chronométrique voit le jour le 5 Août 1885. Si ce mouvement devait encore provoquer des réticences, , voici une donnée qui marque définitivement la grande qualité de celui-ci. Lip ne pouvait, en 1899, pas mieux lancer sa grande histoire manufacturière (1899 à 1976).

Calibre 20.3 Lip 1er mouvement manufacturé par LIPMANN en 1899 montre bracelet bulletin réglage chronométrique vers 1912

Mouvement Lip 20.3 Source : Collection privée HAOND Clément

Sources :

  • COUSTANS Marie-Pia et GALAZZO Daniel, Lip, des heures à conter, Édition Glénat, Grenoble, 2017
  • Collection Lip du Musée du Temps à Besançon
  • Fondation de la Haute Horlogerie.org
  • Fond de documentation privé sur la Manufacture Lip, HAOND Clément
1867 : LA GENÈSE D’UNE ÉPOPÉE INDUSTRIELLE FAMILIALE

1867 : LA GENÈSE D’UNE ÉPOPÉE INDUSTRIELLE FAMILIALE

Plan de la ville de Besançon par L ROUZET Atelier horlogerie et de montre gousset Lip Lipmann au 70 puis 14 Grande rue

Plan de Besançon et son territoire par L. ROUZET (ingénieur voyer), dressé en 1883. Source : Archives Municipales de la Ville de Besançon.

1867 en France :

– L’Empire Français est régie par Louis-Napoléon BONAPARTE depuis 1852.


– Une certaine prospérité économique touche le pays, notamment par la stabilité offerte par le régime politique.

– À Besançon, l’assimilation de la diaspora horlogère Suisse est terminée dans cette seconde moitié du XIXe siècle.

– Il est intéressant de noter que la ville de Besançon compte plus de 200 Ateliers liés à la production horlogère dans les années 1860. Ces derniers produisent environ 300 000 montres par an, soit 95 % de la production nationale.

1867 : LA GENÈSE D’UNE ÉPOPÉE INDUSTRIELLE FAMILIALE

Installé au 14 Grande Rue, niché au sein de « la Boucle » Bisontine, un atelier d’horlogerie proto-industriel voit le jour en cette seconde moitié du XIXe siècle. Face à l’approche tout à fait artisanale des métiers de l’horlogerie qui animent le centre-ville de Besançon à l’époque, Emmanuel LIPMANN va ouvrir un atelier, atteignant rapidement une quinzaine d’employés, afin de produire des montres de poche et quelques luxueuses montres-bracelets produites sur place, assemblées à partir de pièces issues des micro-ateliers spécialisés environnant (de la région Bisontine dont le Haut-Doubs ainsi que des pièces Suisses).

Installé au 70 puis au 14 de la Grande Rue de Besançon, Emmanuel LIPMANN (1844-1913) va être un des premiers artisans de l’industrialisation de la fabrique de montres en France. Initialement établisseur, le premier de la saga LIPMANN va faire passer son affaire d’assemblage de montres dont les pièces proviennent du travail d’ouvriers spécialisés à domicile à un balbutiement de Manufacture horlogère. Une quinzaine d’ouvriers investissent le 14 Grande Rue, offrant à Emmanuel la possibilité de produire ses propres montres, qu’il vend ensuite sur place, par le biais d’un comptoir, bientôt nommé Comptoir Lipmann.

Mais revenons-en au début de l’affaire. Emmanuel, « fils d’un colporteur ou d’un fournituriste » Alsacien émigre vers Besançon avec le statut d’établisseur dans les années 1860. Besançon est en plein développement, l’épanouissement du milieu horloger est alors à son apogée, offrant un milieu favorable à l’édification d’un atelier d’horlogerie. La cité horlogère est ainsi parsemée d’une foultitude d’ouvriers très spécialisés, chacun travaillant sur un type de fournitures, une finition de boîtier, etc … Parfois indépendant, une grande partie de ces ouvriers œuvrent pour le compte d’un établisseur, qui administre tous ces corps de métiers afin de concevoir ensuite dans un atelier final l’assemblage et le montage des mouvements dans un écrin de laiton chromé, d’acier, d’or ou de platine par exemple. C’est dans ce contexte qu’Emmanuel LIPMANN va créer dès 1867 son entreprise d’établissage, usant de fournitures Suisses et Bisontines qu’il assemble avec probablement une petite équipe et dont il assure la vente du produit fini, la montre. Ainsi va naître l’aventure familiale LIPMANN, dans une atmosphère d’émulation horlogère et de prospérité qu’offre le Second Empire, administré d’une main de maître par Louis-Napoléon BONAPARTE.

Emmanuel LIPMANN photographie fin du XIXe 19 e siècle montre Lip Besançon

Emmanuel LIPMANN à la fin du XIXe siècle, deuxième de couverture d’un catalogue Lip sur la construction de l’Usine Lip III de Palente, 1962
Fond privé HAOND Clément

Au fil de la progression de l’affaire d’Emmanuel dans le XIXe siècle, le dynamisme et la notoriété que va obtenir le nom LIPMANN vont progressivement faire basculer ce statut d’établisseur vers celui de manufacturier. Ce passage est assez inédit à l’époque, puisqu’il témoigne de la volonté d’un homme de tendre vers l’aboutissement de toutes fabriques d’horlogerie, la production d’une grande partie des pièces sous l’égide d’une seule et unique entité, généralement au sein d’un même lieu. Cela semble s’opérer alors qu’Emmanuel LIPMANN déménage son affaire au 14 Grande Rue, toujours au centre de Besançon (après 1875). Ceci permet de produire des montres sur place (l’approvisionnement provient parfois, et officieusement de Suisse par exemple), par l’intermédiaire d’une quinzaine d’ouvriers donc. Emmanuel se hisse ainsi dans un cercle très fermé, celui des manufacturiers Bisontins à l’aube du XXe siècle. La clientèle se presse ainsi au Comptoir Lipmann du 14 Grande Rue, afin d’acquérir une montre de poche (ou gousset) soignée, précise et conçue sur place, dans les Ateliers ce trouvant à l’étage de la battisse en pierre, tandis que le rez-de-chaussé accueil le point de vente direct.

En cette fin de siècle, Emmanuel LIPMANN va donc réussir un véritable tour de force, par une vitalité sans faille et grâce à un entourage heureux (ce dernier se lie avec une puissante famille horlogère émigrée à Besançon, les GEISMAR, dont il épouse Caroline en 1868), à faire prospérer son entreprise, à laquelle ses 3 enfants vont apporter, au début des années 1900, un élan nouveau. Il aura fallu le travail d’une génération de LIPMANN pour asseoir la marque LIP, alors réclamée nationalement aux portes du XXe siècle.

Ainsi, comme signe d’aboutissement d’une vie consacrée à l’horlogerie, la fabrique de montres E. LIPMANN va successivement passer de 25 salariés en 1893, pour 1 500 montres produites durant l’année à plus de 2 500 montres de poches conçues au cours de l’année 1895, avec un effectif de 40 salariés. En signe d’accomplissement de cette fabuleuse aventure, les cadrans de certaines montres produites par ce qui est devenu une manufacture horlogère de renom portent la prestigieuse mention « Chronomètre Lip » en cette fin de siècle, une consécration pour le « premier des LIPMANN ».

Facture Emmanuel LIPMANN Lip fabricant horlogerie montre gousset 24 Janvier 1900 Besançon

Documentation administrative de la Fabrique d’Horlogerie LIPMANN en date du 24 Janvier 1900.
Fond privé HAOND Clément


Sources :

  • COUSTANS Marie-Pia et GALAZZO Daniel, Lip, des heures à conter, Édition Glénat, Grenoble, 2017
  • MAUERHAN Joëlle, Horlogers et Horlogères à Besançon, 1793-1908, un passé prêt à revivre, Édition L’Harmattan, 2018
  • Fond photographique du Musée du Temps, Besançon
  • Divers fonds des Archives Municipales de la ville de Besançon
  • Fond de documentation privé sur la Manufacture Lip, HAOND Clément