Portrait de Rudi MEYER vers 1975, portant une montre Lip Galaxie référence 43764 / Source : Fond privé HAOND Clément
1975 : Rudi MEYER, la passion de la mesure
Dessinée en 1974 sous l’impulsion de Claude NEUSCHWANDER et Marie-Laure JOUSSET, respectivement Directeur Général de la CEH-LIP et Responsable de la collection 1975, la gamme Rudi MEYER est construite dans un projet plus vaste qu’une réalisation purement horlogère. Cette incursion du Design dans l’horlogerie Française s’explique par une conjonction de faits inhérents à la vie mouvementée de l’entreprise Lip, dans cette première moitié des années 1970. Après la mise en liquidation et la quasi-disparition de la marque Lip en Juin/Juillet 1973, Claude NEUSCHWANDER, second de Publicis, est chargé de relancer en 1974 la marque Lip au sein d’une toute nouvelle entité, la Compagnie Européenne d’Horlogerie LIP (CEH-Lip).
Dans le cadre de ce renouveau, la Direction de la CEH-LIP va faire appel aux talents de 7 Designers Francophones, dans le but de donner un nouveau souffle à l’image de l’entreprise centenaire. Sous la coupe d’un chef de file qui va naturellement s’imposer, Roger TALLON, un deuxième homme fort de cette collection inédite va émerger, Rudi MEYER.
Né à Bâle (Suisse) le 11 Juin 1943, Rudolf MEYER va rapidement se tourner, et acquérir une sérieuse expérience dans ce milieu, vers le Graphic-Design. Professeur associé à l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris, il a alors, en 1974 la charge d’un cours en communication visuelle. Reconnu comme un pionnier du design en France, il dispose de nombreux faits d’armes lorsqu’il est approché par la manufacture CEH-LIP. Entre autres, ces principales réalisations évoluent dans le domaine de l’art graphique et des images de marque. Ainsi, les logotypes des marques Prénatal, Ricqlès ou encore de la Banque Nationale de Paris (BNP) sont le fruit de son coup de crayon avisé.
Logo BNP Banque Nationale de Paris 1975; VANDA Cosmétique USA et Prénatal 1966 dessinés par Rudi MEYER / Source : Rudi-Meyer.com
Lorsque la CEH-LIP le contact, au début de l’année 1974, Rudi MEYER est un membre éminent de la jeune agence Design Programmes S.A., fondée en 1973 par un certain Roger TALLON, « pape » du Design en France. C’est vraisemblablement via cette agence, ou par la reconnaissance internationale dont jouit TALLON et à laquelle Claude NEUSCHWANDER ne peut-être étranger que MEYER est recruté pour reconstruire l’image de LIP, mais par la réalisation industrielle cette fois-ci, même si Roger TALLON va redéfinir le logo « Lip », marqueur de l’ère NEUSCHWANDER.
Le Graphic-Design pour une collection intemporelle
Pas moins de 14 montres Lip vont être commercialisées au cours de l’année 1975 sous le trait de Rudi MEYER. Une production prolifique pour ce graphic-designer de talent, qui se décompose nous le verrons rapidement en 2 grandes familles, les Galaxie (9 montres) et une collection de Lip Electronic carrées (6 montres).
Le Design est une discipline assez neuve en France en 1974, puisque reconnue comme art à part entière du dessin industriel ou du savoir-faire de l’ingénieur depuis les années 1960 seulement. Outre Atlantique, le Design est un domaine majeur dans l’industrie dès l’après Guerre, et c’est de cela que va s’inspirer le nouveau patron de LIP pour relancer sa marque.
La vision spécifique que développe Rudi MEYER, dans la lignée de l’approche fonctionnaliste de Roger TALLON des objets de « Design », symbolise l’idée que la montre est un objet singulier, ayant des critères de compréhension et une expressivité particulière. Ainsi, MEYER explique, au sujet des montres qu’il dessine pour la CEH-LIP au cours de l’année 1974, et qui seront commercialisées en 1975 – 1976 :
« À sa fonction propre – c’est à dire la lecture du temps, des secondes, des minutes et des heures – s’oppose avec force sa fonction signe porteur de multiples notions subjectives ».
« Elle [la montre] est le temps et la parure »
(Catalogue Lip Design 1975, interview de Rudi MEYER)
Considérée comme un objet spécifique par MEYER, la montre doit avoir une fonction, une destination, un usage. Mais elle doit également dégager quelque chose de son porteur, être un symbole, suffisamment clair pour qu’il soit approprié par l’usager, mais suffisamment vague pour qu’il soit interprété par ce dernier. Ainsi, le designer Suisse va s’attacher à combiner l’aisance de lecture qui est, en 1974, une tâche largement accomplie, à la « parure » de la montre, en somme ce qu’elle représente. Et c’est en cela que le talent du Designer entre en jeu. L’objet final n’est pas beau parce qu’esthétiquement réussi, il est beau parce qu’il est techniquement bien conçu. Il va employer les ressources du graphic-design, en les mettant au service de l’horlogerie, domaine dont il est absolument étranger en 1974.
Deux collections, pour deux odes au Design
Rudi Meyer développe ces objets de communication en plusieurs étapes, qui se concluront par la commercialisation durant l’année 1975 de 14 montres estampillées « Design Rudi MEYER ». Tout d’abord, et à l’instar des 6 autres Designers qui animent les discussions chez Lip, MEYER va se voir confier une année, 1974, pour proposer ses montres, les contraintes techniques autours de ces dernières et les moyens à mobiliser afin de les réaliser. La seule exigence de la CEH-LIP concerne le mouvement, qui doit être emprunté dans le catalogue de fournisseur d’Ébauches S.A., ou dans les calibres que LIP manufacture encore dans l’usine de Palente. MEYER portera son choix sur deux mouvements. Le premier est extrêmement technique, de très haute technologie et dont seul Lip à le secret, avec le calibre R53 Electronic transistoré (conçu, fabriqué et assemblé par Lip à Besançon). Le second est plus conventionnel, puisqu’il est mécanique à remontage automatique, issu des ateliers de la firme Allemande DUROWE.
11 des 14 références de la collection Design Lip 1975 commercialisées d’après le travail de Rudi MEYER / Source : Fond privé HAOND Clement
Rudi MEYER réalise pour Lip 3 séries de montres, réparties dans 2 familles, la première étant composée de montre à ouverture ronde, et la seconde, de montres dont les boîtiers sont carrés, à ouverture octogonale, mais également carrée.
- Sur 14 montres commercialisées en 1975, 8 font parties de la gamme GALAXIE, nom donné par le designer à une série de montres rondes et sphériques. Fer de lance de la nouvelle collection Lip pour l’année 1975, ces montres sont dotées de deux types de boîtiers, disponibles en plusieurs teintes. Les cadrans sont lisses et ornés de billes d’acier ou de creux qui indiquent les heures, mais également d’échelles de temps peintes à même le cadran. Les couleurs sont tout aussi variées que les boîtiers, avec du bleu, de l’argenté, du noir. Avec une configuration très ergonomique et une présentation inédite, les montres de la série GALAXIE vont marquer l’histoire du design horloger, malgré un succès commercial mitigé (pour plus de détail sur la Collection GALAXIE, vous trouverez ici un article dédié à ces montres).
- Les 6 autres montres usent d’un habillage totalement différent. De forme carrée, 4 sont pourvues de vis de fixation apparentes qui soulignent la technicité du produit, en sublimant la solution technique retenue par le designer pour son objet. Les 2 autres références disposent d’un boîtier carré aux bords fortement arrondis, mais toujours conçu en 2 parties qui viennent s’assembler de part et d’autre du verre. Le verre est sur ces dernières carré et plat. Il revêt un caractère spectaculaire sur les 4 autres références, avec une forme octogonale magnifiquement exécutée (pour plus de détail sur la Collection de montres carrées Electronic dessiné par R. MEYER, vous trouverez ici un article dédié).
En somme, les 14 montres qui compose la série MEYER de la collection Lip Design 1975 adoptent des matériaux ingénieux, une présentation sans équivoque sur la recherche, l’ingénierie et la technique mis en place pour Lip. Rudi MEYER écrira alors, en 1975 :
J’ai voulu faire une synthèse (non excessive) des ces 2 aspects [fonction et parure] de la montre apparemment contradictoires. C’est ainsi que j’ai fait les choix suivants :
– des matériaux authentiques, bruts, sobres, mats,
– des formes franches et nettes,
– et, au lieu de créer des pièces uniques, constituer un puzzle permettant de proposer plusieurs modèles à partir d’un nombre minimum de cadrans et de boîtiers.
L’emploi de l’aluminium pour sa légèreté, sa rigidité et la possibilité de lui appliquer des teintes, par l’anodisation, uniques est un exemple de l’atmosphère dans laquelle évolue ce projet. La pureté des lignes et la douceur des formes, ainsi que la conception de ces montres la symbolise également. Au final, la montre n’est plus un objet uniquement pour soi, mais c’est un objet qui parle aux autres, qui interroge par le design une idée « technico-sociologique » soulevée par l’œuvre de Rudi MEYER. Au delà des montres commercialisées au fil de l’année 1975, la collection MEYER va marquer l’histoire horlogère, et l’histoire du design industriel.
Ce sont aujourd’hui, avec la collection MACH 2000 et la représentation du summum du Design appliqué à l’Horlogerie, des montres très recherchées en tant qu’objets de design et non plus comme de simples montres. Collectionnées, les 14 montres dessinées par Rudi MEYER resteront dans les annales de l’Histoire comme des réalisations abouties, intelligemment construites, et surtout, comme étant la première incursion du Design pour ce qu’il est dans l’horlogerie mondiale. L’oeuvre de Rudi MEYER sera d’ailleurs internationalement reconnue lors du Forum Industrie Design de Hanovre (Pays-Bas) en 1976, lorsque la série de montre Lip Electronic carrée sera primée.
Sources :
- M-P. COUSTANS et D. GALAZZO, Lip des heures à conter, Édition Libris, 2000 et nouvelle Édition Glénat, Grenoble, 2017
- Ouvrage Collectif, Design « Le Livre » (de 1850 à nos jours l’évolution du design), Édition Florilège, Paris, 1990
- Pieter DOENSEN, History of the Modern Wristwatch, Édition Snoeck-Ducaju & Zoon, 1994
- T. GRILLET et R. TALLON, Roger TALLON, itinéraires d’un designer industriel, Édition Centre Georges Pompidou, Paris, 1993
- Fond de documentation privé sur la Manufacture Lip, HAOND Clément dont catalogue Lip pour la Collection 1975, catalogue Lip Design 1975 et catalogue Lip 1976.
- Fond de la série 5Z des Archives Municipales de la Ville de Besançon
Portrait officiel d’Ernest LIPMANN vers 1920 / Source : Bulletin Spécial Lip pour la construction de l’usine de Palente, Mars 1961, fond privé HAOND Clément
Second représentant de la famille LIPMANN en tant que personnage éminent de la vie horlogère de Besançon, Ernest David LIPMANN va prendre la succession, avec l’aide partielle de son frère, Camille et de sa sœur, Jenny, du Comptoir LIPMANN, alors encore domicilié au 14 Grande Rue (Besançon).
Artisan majeur de la dynamique expansionniste de celle qui ne s’appelle pas encore Lip, Ernest reste à jamais lié au développement de la première véritable usine de production de la marque aux 3 lettres, en faisant passer au début des années 1900 l’aventure horlogère de son père au stade d’industrie avant-gardiste.
Né le 2 Août 1869 au 30 rue d’Arènes à Besançon, en plein cœur de la nuit (00h30), Ernest David LIPMANN baigne immédiatement dans une atmosphère d’émulation horlogère, tant du côté paternel que du côté de sa mère.
Son père, Emmanuel LIPMANN, fondateur de ce qui n’est encore, en cette fin de décennie 1860, qu’un modeste Atelier de fabrication horlogère, n’est alors âgé que de 24 ans. Sa mère, Caroline Geismar, également née en 1844, apporte une caution supplémentaire à cette atmosphère, puisque sa famille est une des plus dynamiques dans le milieu de la conception de montres de qualité à Besançon. Pour preuve, l’état civil du tout jeune Ernest nous renseigne aisément sur le caractère « horloger » de sa naissance, puisque cette dernière fut reconnue en présence de :
- Gabriel GEISMAR, monteur de boîtes [de montres] âgé de 27 ans et demeurant à Besançon (proche d’Emmanuel LIPMANN et frère de Caroline GEISMAR)
- et d’Isidore SEHNERTZ, horloger âgé de 21 ans et demeurant également à Besançon (certainement un ami ou un employé d’Emmanuel LIPMANN)
Extrait du registre des naissances pour l’année 1869 à Besançon, naissance d’Ernest David LIPMANN le 2 Août 1869 Source : Archives Municipales numérisées de Besançon, memoirevive.besancon.fr, Registre des Naissances, 1869, cote 1E773, page 245, 727e naissance
Au crépuscule du XIXe siècle, Ernest va prendre de plus en plus d’importance dans la gestion de la fabrique de montres LIPMANN, en atteste la transformation du Comptoir LIPMANN, entité créée en 1867, en S.A. d’Horlogerie LIPMANN Frères en 1893, puisque Camille, né en 1872 se joint à l’affaire. L’ascension vers la tête de l’entreprise sera lente mais inexorable, le savoir-faire technique et économique d’Ernest œuvrant à la dynamique exceptionnelle de la firme LIP entre la fin du XIXe siècle et la Première Guerre Mondiale, le rôle de gestionnaire financier et administratif de Camille faisant le reste
Le chronomètre LIP à l’assaut de la France
La fin du XIXe siècle marque pour les montres frappées du logo LIP la fin de l’établissage, et les débuts de l’aventure manufacturière de l’entreprise Lip. Emmanuel LIPMANN (père) garde un regard averti sur la gestion de son entreprise, dont il semble, d’après les archives en notre possession, que la succession véritable n’intervienne qu’après la Première Guerre Mondiale. Toutefois, le rythme de l’entreprise s’accélère à partir de 1900, la mise en production du premier calibre entièrement manufacturé par LIP en 1899, le mouvement 20.3, probablement impulsé par le dynamisme et la jeunesse des 3 enfants d’Emmanuel renforçant cela.
Ernest (fils aîné) va dans ses jeunes années préparer Saint-Cyr, école militaire de prestige dispensant une formation intellectuelle loin des considérations techniques de la conception horlogère. Ceci va lui conférer, une fois au sommet de l’entreprise, une méthode de gestion innovante, en rupture absolue avec le traditionalisme horloger de l’époque.
Développant la publicité, et faisant œuvre, avant l’heure, d’un « marketing » féroce, Ernest LIPMANN, sous le joue de son Père, développe la production de montres soignées LIP, à tel point qu’il faut alors songer à déménager l’usine de production de l’étroit atelier du 14 de la Grande Rue. Principal artisan de cette évolution majeure, ou agissant officieux dans l’ombre de son Père, Ernest est toutefois la figure du passage à l’ère manufacturière de l’affaire LIPMANN.
4e de couverture d’un catalogue de fournitures Lip-Sam représentant l’usine de production Lip du quartier de la Mouillère, vers 1935 / Vue sur un atelier de l’usine Lip de la Mouillère de contrôle ou d’assemblage, photographie du Service Interne de photographie LIP, vers 1940. Sources : fond privé HAOND Clément
Dans la première moitié de l’année 1903, une usine flambant neuve voit le jour, au cœur du quartier de la Mouillère (au 14 rue des Chalets), en périphérie immédiate de l’hyper-centre de Besançon. Rapidement, la conception et la fabrication de montres de poche et de quelques montres-bracelets augmentent, parallèlement à la grande fiabilité et à la construction exemplaire des calibres qui les équipent. Sous l’impulsion des deux générations de LIPMANN, des mécaniciens, des horlogers, des ingénieurs sont embauchés, portant l’effectif à 80 salariés (contre une vingtaine en 1893). La grande qualité qu’atteint ainsi la production sortant de l’usine de la Mouillère est saluée par plusieurs certifications, dont la plus prestigieuse d’alors, celle de Chronomètre, délivré par l’Observatoire National de Besançon, l’un des 3 organismes dans le monde pouvant certifier le degrés de précision d’une montre. Cette distinction s’appose aussi bien sur des montres de gousset, plates, demie-plates ou plus épaisses que sur des montres bracelets dont le diamètre est inférieur à 22 mm.
Pendulette publicitaire « Montre Lip » des années 1920, faisant la promotion des eaux thermales dans les officines / Source : Fond privé HAOND Clément
Ernest LIPMANN s’impose à la tête de l’entreprise
En réalité, il faut attendre la Première Guerre Mondiale pour qu’Ernest LIPMANN, et plus minoritairement son frère et sa sœur, administrent l’ambitieuse entreprise. À la mort du patriarche en 1913 (Emmanuel LIPMANN), la seconde génération de LIPMANN n’a plus de barrières pour s’établir à la tête de l’entreprise, et imposer sa vision du développement économique et industriel que doit suivre la manufacture LIP.
La Guerre, déclarée en 1914, va marquer, un temps, un coup d’arrêt à l’expansionnisme d’Ernest LIPMANN, dont la société qu’il dirige compte pas moins de 150 salariés, dont environ 55 venus de Suisses. Participant ardemment à l’Effort de Guerre Français, la Manufacture LIP va alors gagner ses lettres de noblesses au cours d’un conflit long, destructeur et traumatisant. Nous pouvons ainsi retrouver la marque LIP sur des cadrans de montres d’aviation après 1917 environ, mais également aux mains des compagnies d’artilleries qui en usent pour régler leur tirs, ou encore, et c’est une nouveauté qui va accélérer la vigueur de LIP au sortir de la Guerre, aux poignets de soldats et officiers de l’Armée Française. La Grande Guerre sera ainsi un tremplin aux activités de la manufacture LIP, dont la réputation d’infaillibilité est encore renforcée.
La Guerre marque la consécration d’Ernest LIPMANN, puisque ce dernier devient Président de la Société Anonyme LIPMANN Frères en 1918, son frère Camille LIPMANN prend quant à lui le rôle de Directeur. Dispensant leur temps entre l’usine de production de Besançon et les bureaux Parisiens du Boulevard Sébastopol, l’histoire s’accélère pour la société LIP. Dès 1918, Ernest fait concevoir par son ingénieur en chef Camille JACOT le calibre à ancre LIP 26, mouvement rond moderne et perfectionné qui sera en usage jusqu’à la fin des années 1940.
S’en suit une fièvre manufacturière, rompant largement avec les décennies d’établissage du XIXe siècle. 1920 marque la naissance du calibre 43AC (19 »’ / 42.8 mm), 1921 celle de deux mouvements, le 39 et le 40 (respectivement 17 »’ / 38.3 mm et 18 »’ / 40.1 mm), 1922 fait état de la création du calibre 43 (19 »’ / 42.8 mm) et 1925 marque la mise en production du calibre 41 (18 »’ / 40.1 mm). En une génération, Ernest va être le père près de 10 mouvements (ou variantes) de montres de poche, diminuant drastiquement l’importation de mouvements étrangers, provenant notamment de Suisse.
Le Père du mouvement T18
Mais ce que l’histoire horlogère retiendra de l’oeuvre magistrale d’Ernest LIPMANN, c’est la conception par l’entreprise qu’il administre d’un mouvement révolutionnaire de montre bracelet, le T18, en 1933.
Plan technique du calibre Lip T18 (1933 – 1950) / Source : Service Histoire Lip
Il s’agit là d’un mouvement extraordinaire par son faible encombrement, seulement 18 mm de large pour 28.5 mm de long (7 »’ 3/4 x 12 »’ 1/5), sa conception intelligente fruit de l’ingénieur maison André DONAT permet une grande variété d’habillages. Mouvement d’école, puisque nombre d’Écoles d’Horlogerie formeront leurs élèves sur le mouvement T18 durant les années 1940 et 1950, c’est également un mouvement inscrit dans son temps, peut-être même en avance par sa conception réfléchie, dont l’armée va se doter pour équiper certains de ses officiers, en souvenir de la longue tradition de qualité qui unie LIP à l’Armée Française.
L’innovation se poursuit au sein de la manufacture LIP, avec la commercialisation au milieu des années 1930 de pendules électriques dont les brevets sont établis en collaboration avec la firme Suédoise ERICSSON. Ernest LIPMANN déposera, en son nom, plusieurs brevets relatifs à l’usage de l’électricité dans l’horlogerie, assurant stabilité des réglages et des performances, et absence de remontage quotidien. Jusqu’à la Seconde Guerre Mondiale, Ernest ne cessera d’innover, de pousser plus loin le degré de qualité, tant dans la conception, la fabrication, que dans le système de vente ou de garantie.
Enfant terrible du patronat horloger Français, Ernest LIPMANN va bousculer ce milieu, au sein duquel il se heurte au conservatisme de l’ancienne génération. Réactionnaire et en rupture, Ernest va, au cours des années 1910, 1920 et 1930, attaquer frontalement des notables de l’horlogerie, à l’instar du procès que ce dernier perd face à Auguste RODANET, Parisien lié aux activités de la maison Genevoise Patek Philippe et fondateur de l’École d’horlogerie de Paris, au sujet d’un affiche Lip placardée dans les rues moquant ouvertement RODANET, tout en faisant ainsi de la réclame pour la marque LIP.
1930 – 1943 : La consolidation d’une affaire horlogère Française puissante
Dans une réécriture quasi parfaite de l’Histoire, les années 1930 symbolisent l’avènement d’une nouvelle génération, la troisième, impulsée par Ernest et son frère Camille. Leurs enfants respectifs intègrent tour à tour l’entreprise à des postes clés, dans l’optique de pérenniser l’entreprise familiale, qui fête alors ses 60 années d’existence. Lionel (1902 – 1990) et Frédéric (Fred, 1905 – 1996), fils d’Ernest, se joignent ainsi à l’entreprise, tout comme James LIPMANN, fils de Camille. Le plus célèbre, et celui que retiendra l’Histoire est le second fils d’Ernest, Frédéric, plus connu sous son nom d’après Guerre, Fred LIP.
Digne successeur de son Père, Frédéric s’imposera à la tête de l’entreprise dès 1945, après avoir rejoint l’usine de la Mouillère au poste capital de Directeur Technique en 1936.
Pour en revenir à l’avènement d’Ernest LIPMANN comme puissant industriel Français et honorable passeur de réussite entrepreneuriale, notons simplement qu’Ernest sera fait Chevalier de la Légion d’Honneur au titre de l’enseignement technique le 16 Juillet 1922, puis élevé au grade de Commandeur en 1936, ce qui marque l’accomplissement d’une carrière dédiée au développement de l’industrie.
L’éclatement de la Seconde Guerre Mondiale témoigne de la puissance d’Ernest LIPMANN et de l’omnipotence de l’entreprise qu’il dirige. Son frère Camille étant en délicatesse financière dans les années 1930, va se retirer de la gestion de l’entreprise. Ernest LIPMANN est ainsi seul aux commandes de Lip. Alors que Frédéric LIPMANN organise la poursuite de la production, tant pour fournir l’Armée Française en obus et appareillages divers que pour tenter d’alimenter le réseau HBJO en montres LIP dans l’usine d’Issoudun (Indre) jusqu’en 1941 puis dans l’usine de Valence (Drôme) entre 1941 et Novembre 1942, Ernest LIPMANN reste à Besançon pour surveiller l’usine de la Mouillère, de laquelle il est progressivement écartée par les forces d’Occupation. Ernest et sa femme, Elise LIPMANN, resteront au chevet de l’usine de la rue des Chalets jusqu’en 1943.
Évacuation et pillage de l’usine de la Mouillère par l’armée Allemande en 1944 / Source : M.P. COUSTANS et D. GALAZZO, Lip des heures à conter, Glénat, page 23
Après l’intensification des contrôles de l’Occupant Allemand à Besançon, Ernest et sa femme fuient la cité Bisontine. Ils sont arrêtés à Aix-les-Bains le 5 Novembre 1943, puis conduits au camp d’internement de Drancy (Île-de-France) en qualité de prisonniers d’obédience Judaïque et d’industriel notoire Français. Le 20 Novembre, ils sont transférés par le Convoi N°62 au camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau. Séparés, Ernest (matricule N°7601) et Elisa LIPMANN (matricule N°7602) meurent en déportation le 27 Novembre 1943. Frédéric leur survivra en se réfugiant dans le Vercors, et c’est ce dernier qui poursuivra l’oeuvre de son Père en donnant à l’entreprise LIP un essor nouveau, en 1945.
Profil en Une du Journal politique Le Constitutionnel du Samedi 28 Avril 1906 d’Ernest LIPMANN
Une du Journal politique Le Constitutionnel du Samedi 28 Avril 1906
Journal d’informations politiques fondé par Joseph FOUCHÉ en 1814, ce quotidien de référence, grâce à la richesse de ses informations et à l’acuité de ses analyses, livre un portrait d’Ernest LIPMANN édifiant sur la popularité de ce dernier :
ERNEST LIPMANN
Les gens bien informés connaissent sympathiquement le nom entier : mais tout le public en sait et en répète avec admiration la première syllabe. C’est cette première syllabe en effet qui estampille les fameux chronomètres dont la suprématie s’est si vite affirmée parmi nous. Les parisiens avertis n’ignorent pas la physionomie d’Ernest Lipmann. De stature moyenne, dans toute la force de l’âge, un front vaste, des yeux d’observation réfléchie, tout un visage d’énergie qu’adoucit la barbe, il donne l’impression d’une déductivité rapide et d’une volonté qui ne veut qu’à bon escient.
Il est à la tête de la célèbre maison Lipmann frères. On sait l’heureuse fortune de sa création le chronomètre Lip.
[………]
Ernest Lipmann s’est entièrement consacré à son œuvre. Au contraire de beaucoup qui, l’effort donné, attendent le résultat prévu, lui, ne cesse pas l’effort quelle que soit la victoire. Son activité et sa vigilance sont continues; et son labeur méthodique ne s’interrompt jamais. D’ailleurs, il joint à sa suprême compétence technique le mérite d’être un économiste et un administrateur hors du pair. Il en a donné maintes preuves tant comme membre du Comité français des expositions à l’étranger. On sait qu’il a son frère comme précieux collaborateur. L’un et l’autre divisent leur temps entre Paris et Besançon, la maison de gros du boulevard Sébastopol et l’usine de la Mouillère. Mais qu’ils soient ici ou là, leur chronomètre ne peut marquer à chacun que l’heure du succès.
Anatole Mauret
28 Avril 1906
Sources :
- COUSTANS Marie-Pia et GALAZZO Daniel, Lip, des heures à conter, Édition Glénat, Grenoble, 2017
- MAUERHAN Joëlle, Horlogers et Horlogères à Besançon, 1793-1908, un passé prêt à revivre, Édition L’Harmattan, 2018
- LIP Fred, Conter mes heures, Édition Parnasse, Paris, 1973
- Fond de documentation privé sur la Manufacture Lip, HAOND Clément
- www.retronews.fr / Site de Presse de la Bibliothèque Nationale de France, mots-clés : LIPMANN Ernest 1869 à 1943.
- www.gallica.bnf.fr / Bibliothèque Numérique de la Bibliothèque Nationale de France, mots-clés : LIPMANN Ernest 1869 à 1943.
- memorialdelashoah.org / Recherches sur Ernest LIPMANN et Elisa LIPMANN
Emmanuel LIPMANN à la fin du XIXe siècle, deuxième de couverture d’un catalogue Lip sur la construction de l’Usine Lip III de Palente, 1962
Fond privé HAOND Clément
La vie d’Emmanuel LIPMANN est parsemée de flous et d’absences d’archives fiables. Seuls quelques journaux d’époque nous renseigne sur sa vie privée, autre que son rôle de fondateur et ainsi Président Directeur Général de ce qui est devenu une puissante manufacture horlogère, certainement l’une des plus importante de France lorsqu’elle aborde le XXe siècle. Entre 1867 et le début du XXe siècle, Emmanuel mène ardemment son entreprise sur les pentes du succès, non sans peine puisqu’il lui faudra toute une vie pour bâtir les bases d’un empire que ses enfants, puis petits-enfants vont pérenniser.
D’un père vendeur en fournitures ou colporteur de fournitures, en tout état de cause œuvrant dans le milieu horloger, Emmanuel LIPMANN né en 1844, dans la commune de Neuf-Brisach, dans le Haut-Rhin. Son enfance, jusqu’à son arrivée à Besançon dans les années 1860 n’est pas documentée, l’antériorité de cette documentation explique en partie ces manquements. De plus, l’Histoire ne retient que fort peu souvent la vie d’une famille dont la père fut colporteur ou fournituriste dans le domaine de l’horlogerie.
Pour des raisons probablement économiques, et n’ayant pas d’attache dans la région qui l’a vu naître, il émigre vers Besançon au cours des années 1860, disposant alors d’un bagage technique en horlogerie puisqu’il ouvre sur place un atelier d’établissage, dès 1867. Situé au 70 Grande Rue, en plein centre de la capitale du Doubs, cet « atelier » est dès ses débuts au cœur du dynamisme horloger qui marque la ville depuis l’arrivée d’horlogers Helvètes dès 1793, emmenés par Laurent MEGEVAND, et fuyant les persécutions politiques qui s’abattent en Suisse. Artère principale de la ville fortifiée, la Grande Rue de Besançon scinde la « Boucle » en 2 partie, répartissant unitairement la ville.
Quelques données permettent de mesurer l’importance, et ainsi le choix stratégique opéré par le fondateur de « dynastie » LIPMANN à Besançon, que revêt cette rue dans le paysage horloger de la ville, dans les années 1860 à 1900. L’annuaire de la fabrique d’Horlogerie de Besançon 1875 (Imprimerie et Lithographie Ve VALLUET et Fils, 23 rue des Gleres, Édition Besançon, 1875, disponible sur la plateforme GALLICA, BNF) nous renseigne admirablement sur l’effervescence horlogère de la ville à cette époque. Tout d’abord, nous apprenons que 79 corps de métiers organisent la fabrication d’une montre, des fabricants d’aiguilles aux doreurs, des polisseurs aux graveurs, des arrondisseurs aux peintres de cadran en passant par les fabricants d’outillages et les horlogers diplômés. Par une étude attentive, ce document nous apprend que sur le seule Grande Rue, lieu où se trouve l’atelier LIPMANN, 36 fabricants d’horlogerie (établisseurs ou manufacturiers) se distribuent entre le N°2 et le N°140. Ainsi, la rue principale de Besançon compte pas moins d’un fabricant d’horlogerie tous les 22 mètres, soit une boutique sur trois environ. Ceci permet d’apprécier la densité horlogère de cette rue et l’importance d’être bien représenté dans cette dernière.
Une famille va accompagner l’ascension d’Emmanuel LIPMANN, les GEISMAR. Issue de l’immigration vers Besançon, en provenance probablement de l’Est de la France, cette famille va rapidement se lier à celle d’Emmanuel, puisque ce dernier épouse le 28 octobre 1868, quelques mois après la création de son atelier, une fille GEISMAR, Caroline (1845 – Novembre 1930). Les GEISMAR suivent un parcours similaire à celui d’Emmanuel LIPMANN, quelques années auparavant. Nous pouvons, malgré le déficit d’archive à ce sujet, penser que les deux familles, œuvrant dans le milieu de l’horlogerie, vont s’épauler afin de bâtir une puissante affaire au crépuscule du XIXe siècle.
Les années 1880 à 1900 marque l’avènement du patient travail d’Emmanuel LIPMANN, et la naissance d’un souffle nouveau sur l’atelier d’établissage créé en 1867. Le déménagement du 70 au 14 de la Grande Rue, toujours à Besançon, vers 1880 marque la montée en gamme du premier des « LIP ». L’atelier du N°14 se pare d’un comptoir au rez-de-chaussée, donnant sur la rue. Les étages accueillent les Ateliers et sa quinzaine d’ouvriers, réunis sous une seule et unique entité professionnelle (ce n’est pas inédit, mais cela reste tout de même assez innovant en cette fin de siècle). En 1886, l’entreprise désormais appelée Comptoir LIPMANN emploi 40 salariés, plus du double en moins d’une décennie, une prouesse. Ceci s’accompagne des premières réalisations horlogères estampillées Lip ou Chronomètre Lip, fièrement arborer sur le cadran. Emmanuel aborde ainsi les années 1890 avec optimisme, d’autant plus que ses deux fils, Ernest (1869 – 1943) et Camille (1872 – 1947) travaillent dans l’entreprise familiale.
1893 symbolise le franchissement d’une nouvelle étape dans la construction d’une firme d’horlogerie d’exception, puisque sous l’impulsion d’Ernest et Camille LIPMANN, le Comptoir LIPMANN est transformé juridiquement en S.A. d’Horlogerie LIPMANN Frères (disposant d’un capital social de 25 salariés, réduction de près de 38% de l’effectif face à 1886). La mention de « LIPMANN Frères » indique clairement que cette date marque le passage de relais entre Emmanuel LIPMANN, alors âgé de 49 ans, et ses deux fils. Ce « sang neuf » redonne de la vigueur et des ambitions à la jeune Manufacture, ce qui se matérialise de la plus belle des manières par la création, puis la mise en production industrielle en 1899 du premier mouvement de montre entièrement manufacturé par la société LIPMANN. Cette dernière assure toutes les étapes de la fabrication, la création des boîtiers et des fournitures d’habillages, et enfin l’ajustement et l’emboîtage pour finir par la vente à l’échelle nationale, dans des boutiques d’horlogers, avec une volonté de rayonnement affirmée, et marquant les prémices d’une grande aventure industrielle Française.
L’univers Israélite du 31 Janvier 1913, décès d’Emmanuel LIPMANN (1844 – 1913)
Source : RetroNews Bibliothèque Nationale de France
Après avoir officiellement légué son entreprise en 1901, Emmanuel LIPMANN semble se retirer des affaires horlogères tout en poursuivant ses activités au sein de l’univers israélite de Besançon, dans lequel il occupe une place importante, par son statut d’entrepreneur majeur et de bienfaiteur de la ville.
Il meurt aux alentours du 20 Janvier 1913 à Besançon, à l’âge de 69 ans, en ayant forger les bases de ce qui deviendra, 3 décennies plus tard, la première Manufacture Horlogère de France, tant en volume de production qu’en qualité.
« On nous écrit de Besançon :
Mercredi 22 janvier ont eu lieu les obsèques de M. Emmanuel Lipmann, vice-président du Consistoire israélite, au milieu d’une très nombreuse assistance. Le cortège funèbre ai passé devant la synagogue, dont la façade était tendue de noir et dont les portes ouvertes laissaient voir l’intérieur entièrement illuminé. Le cortège s’est arrêté un instant. M. E. Lipmann était un de ces hommes entièrement dévoués aux choses de notre culte, et qui jouissent partout de l’universelle estime.
MM. le Grand Rabbin, le Président du Consistoire et deux amis appartenant à un autre culte que le nôtre ont rendu d’émouvants hommages à la mémoire de l’homme de bien qui disparaît. »
Sources :
- COUSTANS Marie-Pia et GALAZZO Daniel, Lip, des heures à conter, Édition Glénat, Grenoble, 2017
- MAUERHAN Joëlle, Horlogers et Horlogères à Besançon, 1793-1908, un passé prêt à revivre, Édition L’Harmattan, 2018
- LIP Fred, Conter mes heures, Édition Parnasse, Paris, 1973
- Fond de documentation privé sur la Manufacture Lip, HAOND Clément
- www.retronews.fr / Site de Presse de la Bibliothèque Nationale de France, mots-clés : LIPMANN Emmanuel 1867 à 1913.
- www.gallica.bnf.fr / Bibliothèque Numérique de la Bibliothèque Nationale de France, mots-clés : LIPMANN Emmanuel 1867 à 1913.
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