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2014 – Aujourd’hui : L’aventure Lip IV – SMB ou le retour de Lip à Besançon.

2014 – Aujourd’hui : L’aventure Lip IV – SMB ou le retour de Lip à Besançon.

2014 – Aujourd’hui : L’aventure Lip IV – SMB ou le retour de Lip à Besançon.

2014 est une date importante dans l’histoire de la plus célèbre des marques horlogères Françaises, puisqu’elle est synonyme de l’étincelant retour de Lip à Besançon. Plus de 20 années après la fuite de Lip dans le département du Gers, l’avenir se dessine aujourd’hui de manière définitive à Besançon, sous le joug de la Société des Montres de Besançon (SMB). 

Atelier de fabrication Lip IV SMB Besançon @SMB-LIP (3)

Atelier de production horlogère Lip, Z.A. Valentin, Grand Besançon / Source : SMB – LIP

Dans la droite ligne de l’histoire de Lip, marquée par le développement d’un modeste atelier au 70 puis au 14 Grande Rue de Besançon dès 1867, puis par la construction de vastes usines de production avec Lip II – Mouillère et Lip III – Palente entre 1903 et les années 1970, l’ère SMB-LIP marque de son emprunte la refonte de ce qui fut la première manufacture horlogère de France (années 1960). Ce nouveau centre de production, animé par une dizaine de salariés spécialement formés aux métiers de l’horlogerie moderne, est ainsi la quatrième implantation d’usine Lip à Besançon, 38 ans après l’éviction des derniers « Lip » (employés historiques) de l’usine de Palente, en 1981.

Atelier de fabrication Lip IV SMB Besançon @SMB-LIP (1)

Atelier de production horlogère Lip, Z.A. Valentin, Grand Besançon / Source : SMB – LIP

Plus de 150 ans après l’assemblage de la première Lip au cœur de la Boucle (centre-ville de Besançon) par Emmanuel LIPMANN, des montres estampillées des 3 lettres sont à nouveau, et ce depuis 2019, assemblées au sein de l’entreprise Lip. Année de l’achat de la marque par la SMB à son précédent propriétaire (Juillet 2019), un investissement d’un demi-million d’euros a permis la construction d’un atelier de production moderne et spacieux, marqueur notoire d’une volonté de pérenniser la fabrication et l’emploi Lip à Besançon. 

Héritière d’une histoire faite de fortunes et de coups d’éclats, la marque Lip, par la constitution de cet atelier, résonne encore comme un formidable témoin de son patrimoine, ancré dans le passé, par l’histoire, mais surtout dans le présent et l’avenir par le dynamisme de la société SMB. « L’atelier » Lip IV – Valentin comme nous pourrions le nommer se place ainsi à mi-chemin entre continuité et renouveau avec ce que fut la marque Lip sous l’ère familiale (1867 – 1971), un synonyme de qualité, d’anti-conformisme et de rigueur à la Française.

Atelier usine de la Mouillère années 1940

Atelier de montage Lip de l’usine de la Mouillère, années 1940. Photographie issue du Service Photographique Lip / Source : Fond privé HAOND Clément

1957 – 1973 : Lip Dauphine, « l’heure Lip » pour tous

1957 – 1973 : Lip Dauphine, « l’heure Lip » pour tous

Publicité pub montre Besançon Palente lip dauphine de 1960

Publicité Lip Dauphine de 1960 / Source : Fond privé de documentation HAOND Clément

1957 – 1973 : Lip Dauphine, « l’heure Lip » pour tous

Dans la seconde moitié des années 1950, Fred LIP, PDG de la manufacture éponyme, souffre d’une critique qui l’agace ostensiblement, celle du tarif (élevé) de ses montres. A ses justifications faites de complexité de fabrication en interne, de production de très haute qualité et de développement Français, une partie de la clientèle semble insensible. 
Pour ce visionnaire, il fallait satisfaire l’ensemble de la population, d’autant plus que la manufacture de montres Lip connaissait un développement insatiable depuis 1945. Ainsi, en 1957, une gamme relativement confidentielle de montres abordables va être proposée par Lip, sous un nom étudié, Dauphine. 

Montre Lip Dauphine Electronic plaquée or R184 manufacturé vers 1965

Montre Lip Dauphine Electronic R184, fond transparent laissant apparaître le mouvement, trotteuse sans éclair qui n’est pas d’origine / Source : Fond privé HAOND Clément


Les montres estampillées Lip Dauphine représentent alors l’entrée de gamme de la manufacture Bisontine, correspondant au milieu de gamme de l’horlogerie Française d’alors. Cette appétence pour la distribution de l’heure Lip à l’ensemble de la population date des années 1930, lorsqu’Ernest LIPMANN lancera la gamme SAM fabrication Lip, dont le but est tout à faire identique à Dauphine.  Fred LIP, son fils, reprend à son affaire ce procédé, en lui donnant un nom taillé pour la réussite, puisqu’il est directement emprunté à la voiture à succès que la Régie Nationale des Usines Renault (RNUR) commercialise entre 1956 et 1967. 

Logotype logo Dauphine Lip en 1960 montre Besançon Fred LIPMANN

Logotype de la gamme Lip Dauphine, systématiquement apposé sur les cadrans / Source : Fond privé de documentation HAOND Clément

Le succès d’un patronyme … aimablement emprunté

Fred LIP ne va pas vouloir brouiller les cartes des gammes que Lip s’évertue à standardiser depuis l’après guerre.  Le Chronomètre bracelet Lip ne peut ainsi raisonnablement pas, pour un lancement, côtoyer l’entrée de gamme de la marque. De même, un client potentiel ayant les capacités de s’acheter une montre Lip de bonne gamme, verrait, dans la vitrine de son détaillant Lip local, d’un œil interrogateur une Lip « Dauphine » s’affichant à la moitié, voir au tiers du prix de la Lip en acier qu’il s’apprête à passer au poignet. 

Publicité voiture automobile Renault Dauphine Régie 1959

Dépliant publicitaire sur la Dauphine, véhicule économique de la Régie Renault (RNUR) sorti en 1956 / Source : Service Histoire Lip, dépliant de 1959.

C’est pour cela que « Le Fred » comme on le surnommait va aviser sa « sous-marque » d’un nom cinglant, quoi qu’emprunté au succès de la Régie Renault avec sa voiture, la Dauphine. Voiture bon marché la plus vendue en France entre 1957 et 1961, Fred LIP souhaitait ainsi le même succès à sa nouvelle marque, toutefois entachée d’un faux départ. 

Décideur irrésistible, Fred LIP va s’abroger de la nécessité de posséder le nom Dauphine pour lancer une première collection en 1957.  Sous la menace d’un procès de la part d’Henri BASQUIN, industriel de l’horlogerie et propriétaire du nom Dauphine, Fred LIP consent à lui acheter, au prix fort. Curieux pied de nez de l’histoire que d’avoir acheter à prix d’or, une marque destinée à donner l’heure pour une somme modique. Cette incartade passée, le patron de la manufacture de montres Lip va donc légalement pouvoir appeler ses montres accessibles Dauphine. 

Un lancement teinté d’une inhabituelle prudence

Retenant les leçons des échecs passés et des lancements scabreux d’innovations que les consommateurs ne comprennent pas, Fred LIP ne va pas immédiatement accoler son nom à celui de Dauphine, question de prestige. 
Ainsi, les premières Lip Dauphine ne sont estampillées que Dauphine, à l’instar d’une marque à part entière, afin de sonder le terrain et de ne pas compromettre, en cas de fiasco, l’image de marque que Fred LIP c’est évertuer à créer. Entre 1957 et 1959 environ, la marque Lip apparaît progressivement sur le cadran des montres hommes, femmes et enfants estampillées Dauphine. Tout d’abord par un discret LIP MADE sous l’index ou le chiffre qui désigne 6 heures. Puis par la suite, le logo migre sous la mention Dauphine. Fred LIP, aventurier prudent mais avisé dans cette affaire sent, à l’aube des années 1960, que Dauphine est un succès commercial dynamique. Dans ce cas, il n’est plus question que ce nom vol la vedette à la marque Lip, et c’est ainsi qu’à partir du début des années 1960, le couple LIP-DAUPHINE (et non plus Dauphine seul ou Dauphine-Lip) s’impose comme l’entrée de gamme de la manufacture Lip. 

Lip Dauphine Nautic Lip Made 1957 montre besançon usine de la mouillère

Montre Dauphine Nautic Lip made vers 1957 / Source : Fond privé HAOND Clément

La rationalisation comme dogme

Mais la gamme Dauphine, jusqu’à l’année 1973, date des dernières montres Dauphine vendues par Lip, se différencient par plusieurs éléments discrets. 
Tout d’abord, les Lip Dauphine se placent dans un niveau de prix inférieur de moitié en moyenne au prix d’une Lip classique, pour un modèle sensiblement similaire. Visuellement semblable, la Lip Dauphine se caractérise par un habillage moins travaillé, se matérialisant généralement par des placages moins épais, peu de boîtiers acier à la faveur du chrome moins coûteux. Les cadrans par exemple, sont parfois issus d’anciens stock Lip de la collection précédente qu’il fallait écouler. Globalement, les modèles sont moins travaillés, ce qui demande une étude plus courte, une production plus rapide et plus standardisée, abaissant les coûts de fabrication, et ainsi de vente, tout en conservant un très bon niveau de qualité. 

Mais le cœur de la rationalisation se cache sous le cadran, puisque la majeure partie de l’abaissement du coût de production des Lip Dauphine se caractérise par l’emploi de mouvements non manufacturés par Lip. Fred LIP va avoir recours aux puissantes entreprises Françaises puis étrangères capables de fabriquer des mouvements de montres bracelets. Des mouvements Jeambrun, Horlogerie de Savoie (H.S.) et Cupillard pour la France ou encore PUW pour l’Allemagne seront utilisés pour animer les Lip Dauphine, entre autres. 
À de rares exceptions, elles sont équipées de mouvements manufacturés par Lip, notamment de R23, R17 ou d’Electronic R148 / R184. Dans ces cas, il s’agit généralement de surstock que la première marque horlogère de France ne parvient pas à écouler par sa marque principale. 

Une gamme à l’image de la France (1957 – 1973)

Lip Dauphine mécanique boîtier Or massif 18 carats @SHL

Lip Dauphine en Or 18 carats, vers 1965 / Source : Service Histoire Lip

Dauphine fut un succès commercial sans bornes sur toute sa période d’exploitation. Succès, car Fred LIP va rapidement diversifier sa gamme, Dauphine devenant ainsi un nom à part entière au sein de la marque horlogère Lip. Succès également, parce que la manufacture Bisontine dote sa marque de modèles très disparates, qui suivent les évolutions de la mode et des goûts, à l’identique du développement d’une montre Lip traditionnelle. 
À l’instar de la Régie Nationale des Usines Renault qui va proposer plusieurs niveaux de gammes sous l’appellation Dauphine, Lip va également créer une hiérarchie dans sa collection. Ainsi, à la Renault « Dauphine » Ondine, penchant plus cossues et luxueux  du véhicule initial, Lip va répondre avec une gamme étoffée de Dauphine en Or 18 carats, dont la finition et la livrée esthétique rivalisent avec les plus belles montres de l’époque. Face à la Renault Dauphine Gordini, Fred LIP commercialisait une gamme de montre de plongée très sportive, ou de montres de ville arborant un large damier sur le pourtours du cadran, sous le nom Dauphine.

Répondant aux pratiques de l’époque, la manufacture Lip va développer, dès le lancement en 1957, des montres destinées aux communiants, aux jeunes enfants ou à tout autres célébrations dans lesquelles la montre marque un passage, et une coutume. Un mariage, l’obtention d’un diplôme, étaient autant d’occasions de ce voir offrir une montre, marquant ainsi l’heure d’un instant de réjouissance. 

Montre Lip Dauphine Dame rectangle mécanique manuel Besançon France @SHL

Montre Lip Dauphine pour Dame (24 x 14 mm) vers 1965 / Source : Service Histoire Lip

À cela, nous pouvons ajouter les Dauphine Electronic, Electric, Nautic, Cœur Vaillant, Fab. LIP, Antichoc, SWISS, Automatic, etc …

Montre Lip Dauphine Electronic plaquée or R184 manufacturé vers 1965

Montre Lip Dauphine Electronic calendrier, mouvement manufacturé Lip R184 / Source : Fond privé HAOND Clément

Une montre nous permet de mesurer la portée de la gamme Dauphine, au sein de la collection Lip courante, la Lip Dauphine Electric ou Electronic, pourvue d’un calibre manufacturé par Lip, le R148 puis le R184 (avec date). Comme une montre pédagogique, Fred LIP va se servir de sa « sous-marque » pour diffuser, et imposer plus aisément l’Electronic Lip, mouvements électriques n’ayant plus besoin d’être remontés. Pour ce faire, et à la vue du stock grandissant de calibres R148 (sans date, 1962) puis R184 (date, 1964), Lip va créer vers 1965 des montres estampillées Lip Dauphine Electric ou Electronic. Ainsi équipées de ces mouvements révolutionnaires, ces montres vont les démocratiser par des tarifs plus abordables. Réutilisant des pièces d’habillage de collections Lip antérieures, il est fabriqué dans les ateliers Lip des cadrans spécifiques, afin de doter ces montres d’une image différente de la collection Lip Electronic, sérieuse et rigide. Le fond de boîtier traditionnellement en acier inoxydable chez Lip est supprimé, au profit d’un dôme de plexiglas, qui laisse apparaître le mouvement en fonctionnement, dans un caractère pédagogique et explicatif innovant. En définitive, la collection Dauphine est, dans sa majeure partie, une gamme d’appel pour Lip. Elle permet de diversifier la marque et de toucher une plus large part de marché pour Lip, sur le territoire Français et Francophone notamment. 

Montre Lip Dauphine Electronic plaquée or R184 manufacturé vers 1965

Montre Lip Dauphine Electronic calendrier, mouvement manufacturé Lip R184 / Source : Fond privé HAOND Clément

Gamme accessible, Dauphine par Lip va être l’un des moteurs du dynamisme de la première manufacture de montres en France. La production va rapidement se développer, passant de 50 000 montres au début de l’exploitation de la marque, à plus 100 000 montres vendues par an dans les années 1960. Symbole d’une fortune populaire, la gamme Lip Dauphine va péricliter avec le Premier Conflit social Lip de 1972 – 1973. L’avènement de Claude NEUSCHWANDER à la tête de l’entreprise Lip en 1974, et sa restructuration totale vont avoir raison d’une marque inscrite dans le passé pour ce nouveau patron « social ». 
Aujourd’hui, la collection LIP-SMB Dauphine reprend les codes traditionnels de cette collection, qui ont fait la prospérité de Fred LIP dans les années 1960. 

Sources :

  • M-P. COUSTANS et D. GALAZZO, Lip des heures à conter, Édition Libris, 2000 et nouvelle Édition Glénat, Grenoble, 2017
  • Fond de documentation privé sur la Manufacture Lip, HAOND Clément
  • Fond de la série 5Z des Archives Municipales de la Ville de Besançon
1968 : Aux côtés des plus grands, Lip, chronométreur officiel des Jeux Olympiques de Grenoble

1968 : Aux côtés des plus grands, Lip, chronométreur officiel des Jeux Olympiques de Grenoble

1968 : Aux côtés des plus grands, Lip, chronométreur officiel des Jeux Olympiques de Grenoble

Jeux des Trente Glorieuses, les Xe Jeux Olympiques d’Hiver qui se tiennent à Grenoble (Isère) du 6 au 18 Février 1968 sont également les Jeux Olympiques de Lip. Aux côtés d’Omega notamment, la manufacture Lip va assurer le chronométrage Electronic de certaines épreuves sportives, mais également une propagande féroce pour la montre officielle des Jeux, la Nautic-Ski Electronic

Départ KILLY du Slalom Géant Jeux Olympiques de Grenoble 1968 chronométrage Lip @SHL

Peu après le départ de Jean-Claude KILLY sur l’épreuve du Slalom Géant aux Jeux Olympiques de Grenoble, en 1968; vue sur le dispositif LIP – OMEGA de chronométrage Electronic / Source : Service Histoire Lip

Premiers Jeux Olympiques d’Hiver attitrés à une ville, en l’occurrence Grenoble, cette épreuve sportive majeure sur le plan international devait faire briller la France du Général de Gaulle, et par la même occasion les entreprises Françaises. Proche du Général, Fred LIP va s’engouffrer dans la brèche, afin de tirer pleinement partie de cet événement.

Un chronométrage de prestige

Co-chronométreur avec la firme Suisse Omega pour les épreuves reines de Descente, de Salom Spécial et de Slalom Géant, de Luge et de Bobsleigh, Lip va mettre en œuvre l’ensemble de ses capacités de production et son savoir-faire en matière d’électronique pour proposer un chronométrage ultra performant. Une atmosphère d’émulation se saisie alors, à un an des Jeux, de l’usine ultra moderne de Palente. Le Bureau d’Études et l’Atelier de Chronométrie interne de Lip développe de nouveaux composants, des modules électroniques encore plus fiable, précis et innovants. C’est ainsi que Lip sera le témoin privilégié des 3 victoires historiques de Jean-Claude KILLY en descente, slalom spécial et slalom géant. S’appuyant sur la longue histoire Olympienne d’Omega, Fred LIP va entourer cette aventure d’une intense campagne de promotion.
La manufacture Lip va partager le devant de la scène en chronométrage avec Omega, partenaire principal avec Lip, mais également Longines, qui va chronométrer certaines épreuves comme la patinage de vitesse ou le hockey sur glace. 

Être choisi par le Comité Olympique Français pour ce chronométrage est un honneur qui rejaillit sur notre industrie, sur les horlogers détaillants, sur toutes la corporation (Lettre de Fred LIP en date du 16 Janvier 1967 / Source : Archives Municipales de Besançon). 

Vitrine et présentoir spécial Jeux Olympiques de Grenoble 1967 - 1968 hall Palente Fred Lip @HAOND Clément

Vitrine et présentoir spécial Jeux Olympiques de Grenoble, photographie dans le hall de l’usine Lip de Palente / Source : Fond privé photographique HAOND Clément

Fred LIP profite de ce formidable coup médiatique pour placer sur le devant de la scène la marque familiale qu’il représente, et par la même occasion, la montre du Centenaire de Lip (1867 – 1967), la Lip Nautic-Ski Electronic. Tout d’abord, Lip sera adoptée par la Fédération Française de Ski pour équiper la délégation Tricolore aux J.O. de Grenoble. Sur les les photographies officielles, dans les coulisses, lors de bains de foules, les sportifs arboreront une montre Lip Nautic-Ski Electronic référence 42554 (boîte ronde, cadran noir). En plus de rares exemplaires signés des anneaux olympiques offert aux meilleurs revendeurs Lip, à quelques invités et au stations techniques Lip de la région, la Nautic-Ski va devenir, dans le courant de l’année 1967, la montre officielle des Jeux Olympiques de Grenoble.
Des présentoirs spéciaux sont créés par le département décor interne de la manufacture Lip. Reprenant de manière abstraite le dessin d’une montagne, ces présentoirs seront diffusés en fin d’année 1967 à certains clients, dont ceux de la région Rhône-Alpes. Couplé à cela, une vaste campagne de publicité dans la presse s’abat sur la France, vantant encore une fois les mérites de la Lip Nautic-Ski Electronic. 

En tout état de cause, Lip va marquer l’histoire de l’olympisme, et du sport en général par sa participation aux Xe Jeux Olympiques d’hiver. Premiers Jeux retransmis en couleur et dans le monde entier par le dispositif Mondovision (1607 techniciens vont œuvrer à cela), la marque Lip va bénéficier d’un aura particulier, à la hauteur de sa puissance en France. Première manufacture horlogère de France, 7e du monde en production de montres empierrées, son Président Directeur Général Fred LIP trouve ici la consécration de sa carrière. 
Portée sur les plus hautes marches par Jean-Claude KILLY, Marielle GOITSCHEL, Annie FAMOSE, Guy PERILLAT et Isabelle MIR pour le Ski Alpin et par Patrick PERA pour le patinage artistique, la Nautic-Ski est résolument la montre officielle des Jeux Olympiques d’hiver de 1968.
Le rêve va se poursuivre pour l’espiègle patron de Lip, puisque le Ministère de la Jeunesse et des Sports, sur décision directe du Ministre François MISSOFFE, va faire équiper de Lip Nautic-Ski tous les athlètes Français aux Jeux Olympiques d’été de Mexico, qui se tiennent également en 1968.  La délégation Française va ainsi porter une montre Lip lors de la cérémonie d’inauguration des J.O. d’été, mais également tout au long de la quinzaine. 

Jean Claude KILLY podium J O de Grenoble 1968 montre Lip Nautic Ski Electronic

Victoire de Jean-Claude KILLY le 12 Février 1968, lors du Slalom Géant de Chamrousse. Ce dernier porte alors, sur le podium, une Lip Nautic-Ski Electronic, offerte par Fred LIP avant la compétition. La 2e place revient au Suisse Willy FAVRE (à gauche), et la 3e place à l’Autrichien Heinrich MESSNER (à droite) / Source : Service Histoire Lip

Par cette consécration sportive, Lip marque un peu plus l’histoire industrielle de la France de son emprunte faite de rigueur et d’exactitude. Célébrant la manufacture Lip et la grande qualité de sa production, cet événement extraordinaire symbolise également l’inexorable ascension de la firme de Fred LIP, point d’orgue d’une carrière vouée à l’horlogerie, et que la déroute financière viendra briser quelques années plus tard, en 1972 – 1973.  

Sources : 

  • Fond privé de documentation et de photographie HAOND Clément
  • Fond de photographies du Service Histoire Lip
  • Fond des Archives Municipales de la Ville de Besançon sur la participation de Lip aux Xe Jeux Olympiques d’hiver de Grenoble, du 6 au 18 Février 1968.

  • www.francebleu.fr / dossier spécial : Le cinquantenaire des Jeux Olympiques de Grenoble
  • www.olympic.org (KILLY ET SON TRIPLÉ EN OR SE HISSENT AU NIVEAU DE TONI SAILER)
  • www.espritbleu.franceolympique.com (Recherches sur les J.O. d’hiver de Grenoble et sur les J.O. d’été de Mexico / 1968)
1975 : Rudi MEYER, la passion de la mesure

1975 : Rudi MEYER, la passion de la mesure

Portrait Rudi MEYER avec montre Lip Galaxie 1975

Portrait de Rudi MEYER vers 1975, portant une montre Lip Galaxie référence 43764 / Source : Fond privé HAOND Clément

1975 : Rudi MEYER, la passion de la mesure

Dessinée en 1974 sous l’impulsion de Claude NEUSCHWANDER et Marie-Laure JOUSSET, respectivement Directeur Général de la CEH-LIP et Responsable de la collection 1975, la gamme Rudi MEYER est construite dans un projet plus vaste qu’une réalisation purement horlogère. Cette incursion du Design dans l’horlogerie Française s’explique par une conjonction de faits inhérents à la vie mouvementée de l’entreprise Lip, dans cette première moitié des années 1970. Après la mise en liquidation et la quasi-disparition de la marque Lip en Juin/Juillet 1973, Claude NEUSCHWANDER, second de Publicis, est chargé de relancer en 1974 la marque Lip au sein d’une toute nouvelle entité, la Compagnie Européenne d’Horlogerie LIP (CEH-Lip). 
Dans le cadre de ce renouveau, la Direction de la CEH-LIP va faire appel aux talents de 7 Designers Francophones, dans le but de donner un nouveau souffle à l’image de l’entreprise centenaire. Sous la coupe d’un chef de file qui va naturellement s’imposer, Roger TALLON, un deuxième homme fort de cette collection inédite va émerger, Rudi MEYER. 

Né à Bâle (Suisse) le 11 Juin 1943, Rudolf MEYER va rapidement se tourner, et acquérir une sérieuse expérience dans ce milieu, vers le Graphic-Design. Professeur associé à l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris, il a alors, en 1974 la charge d’un cours en communication visuelle. Reconnu comme un pionnier du design en France, il dispose de nombreux faits d’armes lorsqu’il est approché par la manufacture CEH-LIP. Entre autres, ces principales réalisations évoluent dans le domaine de l’art graphique et des images de marque. Ainsi, les logotypes des marques Prénatal, Ricqlès ou encore de la Banque Nationale de Paris (BNP) sont le fruit de son coup de crayon avisé. 

Logo BNP Banque Nationale de Paris 1975 VANDA Cosmétique USA et Prénatal 1966

Logo BNP Banque Nationale de Paris 1975; VANDA Cosmétique USA et Prénatal 1966 dessinés par Rudi MEYER / Source : Rudi-Meyer.com

Lorsque la CEH-LIP le contact, au début de l’année 1974, Rudi MEYER est un membre éminent de la jeune agence Design Programmes S.A., fondée en 1973 par un certain Roger TALLON, « pape » du Design en France. C’est vraisemblablement via cette agence, ou par la reconnaissance internationale dont jouit TALLON et à laquelle Claude NEUSCHWANDER ne peut-être étranger que MEYER est recruté pour reconstruire l’image de LIP, mais par la réalisation industrielle cette fois-ci, même si Roger TALLON va redéfinir le logo « Lip », marqueur de l’ère NEUSCHWANDER. 

Le Graphic-Design pour une collection intemporelle

Pas moins de 14 montres Lip vont être commercialisées au cours de l’année 1975 sous le trait de Rudi MEYER. Une production prolifique pour ce graphic-designer de talent, qui se décompose nous le verrons rapidement en 2 grandes familles, les Galaxie (9 montres) et une collection de Lip Electronic carrées (6 montres). 
Le Design est une discipline assez neuve en France en 1974, puisque reconnue comme art à part entière du dessin industriel ou du savoir-faire de l’ingénieur depuis les années 1960 seulement. Outre Atlantique, le Design est un domaine majeur dans l’industrie dès l’après Guerre, et c’est de cela que va s’inspirer le nouveau patron de LIP pour relancer sa marque.
La vision spécifique que développe Rudi MEYER, dans la lignée de l’approche fonctionnaliste de Roger TALLON des objets de « Design », symbolise l’idée que la montre est un objet singulier, ayant des critères de compréhension et une expressivité particulière. Ainsi, MEYER explique, au sujet des montres qu’il dessine pour la CEH-LIP au cours de l’année 1974, et qui seront commercialisées en 1975 – 1976 :

« À sa fonction propre – c’est à dire la lecture du temps, des secondes, des minutes et des heures – s’oppose avec force sa fonction signe porteur de multiples notions subjectives ».
« Elle [la montre] est le temps et la parure »
(Catalogue Lip Design 1975, interview de Rudi MEYER)

Considérée comme un objet spécifique par MEYER, la montre doit avoir une fonction, une destination, un usage. Mais elle doit également dégager quelque chose de son porteur, être un symbole, suffisamment clair pour qu’il soit approprié par l’usager, mais suffisamment vague pour qu’il soit interprété par ce dernier. Ainsi, le designer Suisse va s’attacher à combiner l’aisance de lecture qui est, en 1974, une tâche largement accomplie, à la « parure » de la montre, en somme ce qu’elle représente. Et c’est en cela que le talent du Designer entre en jeu. L’objet final n’est pas beau parce qu’esthétiquement réussi, il est beau parce qu’il est techniquement bien conçu. Il va employer les ressources du graphic-design, en les mettant au service de l’horlogerie, domaine dont il est absolument étranger en 1974. 

Deux collections, pour deux odes au Design

Rudi Meyer développe ces objets de communication en plusieurs étapes, qui se concluront par la commercialisation durant l’année 1975 de 14 montres estampillées « Design Rudi MEYER ». Tout d’abord, et à l’instar des 6 autres Designers qui animent les discussions chez Lip, MEYER va se voir confier une année, 1974, pour proposer ses montres, les contraintes techniques autours de ces dernières et les moyens à mobiliser afin de les réaliser. La seule exigence de la CEH-LIP concerne le mouvement, qui doit être emprunté dans le catalogue de fournisseur d’Ébauches S.A., ou dans les calibres que LIP manufacture encore dans l’usine de Palente. MEYER portera son choix sur deux mouvements. Le premier est extrêmement technique, de très haute technologie et dont seul Lip à le secret, avec le calibre R53 Electronic transistoré (conçu, fabriqué et assemblé par Lip à Besançon). Le second est plus conventionnel, puisqu’il est mécanique à remontage automatique, issu des ateliers de la firme Allemande DUROWE.

Collection Lip Rudi MEYER 1975 Galaxie Electronic

11 des 14 références de la collection Design Lip 1975 commercialisées d’après le travail de Rudi MEYER / Source : Fond privé HAOND Clement

Rudi MEYER réalise pour Lip 3 séries de montres, réparties dans 2 familles, la première étant composée de montre à ouverture ronde, et la seconde, de montres dont les boîtiers sont carrés, à ouverture octogonale, mais également carrée. 

  • Sur 14 montres commercialisées en 1975, 8 font parties de la gamme GALAXIEnom donné par le designer à une série de montres rondes et sphériques. Fer de lance de la nouvelle collection Lip pour l’année 1975, ces montres sont dotées de deux types de boîtiers, disponibles en plusieurs teintes. Les cadrans sont lisses et ornés de billes d’acier ou de creux qui indiquent les heures, mais également d’échelles de temps peintes à même le cadran. Les couleurs sont tout aussi variées que les boîtiers, avec du bleu, de l’argenté, du noir. Avec une configuration très ergonomique et une présentation inédite, les montres de la série GALAXIE vont marquer l’histoire du design horloger, malgré un succès commercial mitigé (pour plus de détail sur la Collection GALAXIE, vous trouverez ici un article dédié à ces montres). 
  • Les 6 autres montres usent d’un habillage totalement différent. De forme carrée, 4 sont pourvues de vis de fixation apparentes qui soulignent la technicité du produit, en sublimant la solution technique retenue par le designer pour son objet. Les 2 autres références disposent d’un boîtier carré aux bords fortement arrondis, mais toujours conçu en 2 parties qui viennent s’assembler de part et d’autre du verre. Le verre est sur ces dernières carré et plat. Il revêt un caractère spectaculaire sur les 4 autres références, avec une forme octogonale magnifiquement exécutée (pour plus de détail sur la Collection de montres carrées Electronic dessiné par R. MEYER, vous trouverez ici un article dédié). 

En somme, les 14 montres qui compose la série MEYER de la collection Lip Design 1975 adoptent des matériaux ingénieux, une présentation sans équivoque sur la recherche, l’ingénierie et la technique mis en place pour Lip. Rudi MEYER écrira alors, en 1975 :

J’ai voulu faire une synthèse (non excessive) des ces 2 aspects [fonction et parure] de la montre apparemment contradictoires. C’est ainsi que j’ai fait les choix suivants : 
– des matériaux authentiques, bruts, sobres, mats,
– des formes franches et nettes,
– et, au lieu de créer des pièces uniques, constituer un puzzle permettant de proposer plusieurs modèles à partir d’un nombre minimum de cadrans et de boîtiers. 

L’emploi de l’aluminium pour sa légèreté, sa rigidité et la possibilité de lui appliquer des teintes, par l’anodisation, uniques est un exemple de l’atmosphère dans laquelle évolue ce projet. La pureté des lignes et la douceur des formes, ainsi que la conception de ces montres la symbolise également. Au final, la montre n’est plus un objet uniquement pour soi, mais c’est un objet qui parle aux autres, qui interroge par le design une idée « technico-sociologique » soulevée par l’œuvre de Rudi MEYER. Au delà des montres commercialisées au fil de l’année 1975, la collection MEYER va marquer l’histoire horlogère, et l’histoire du design industriel. 

Ce sont aujourd’hui, avec la collection MACH 2000 et la représentation du summum du Design appliqué à l’Horlogerie, des montres très recherchées en tant qu’objets de design et non plus comme de simples montres. Collectionnées, les 14 montres dessinées par Rudi MEYER resteront dans les annales de l’Histoire comme des réalisations abouties, intelligemment construites, et surtout, comme étant la première incursion du Design pour ce qu’il est dans l’horlogerie mondiale. L’oeuvre de Rudi MEYER sera d’ailleurs internationalement reconnue lors du Forum Industrie Design de Hanovre (Pays-Bas) en 1976, lorsque la série de montre Lip Electronic carrée sera primée. 

Sources : 

  • M-P. COUSTANS et D. GALAZZO, Lip des heures à conter, Édition Libris, 2000 et nouvelle Édition Glénat, Grenoble, 2017
  • Ouvrage Collectif, Design « Le Livre » (de 1850 à nos jours l’évolution du design), Édition Florilège, Paris, 1990
  • Pieter DOENSEN, History of the Modern Wristwatch, Édition Snoeck-Ducaju & Zoon, 1994
  • T. GRILLET et R. TALLON, Roger TALLON, itinéraires d’un designer industriel, Édition Centre Georges Pompidou, Paris, 1993
  • Fond de documentation privé sur la Manufacture Lip, HAOND Clément dont catalogue Lip pour la Collection 1975, catalogue Lip Design 1975 et catalogue Lip 1976.
  • Fond de la série 5Z des Archives Municipales de la Ville de Besançon
1960-62 – 1981 : L’usine Lip de Palente, « le rêve de Fred LIP »

1960-62 – 1981 : L’usine Lip de Palente, « le rêve de Fred LIP »

1960-62 – 1981 : L’usine Lip de Palente, « le rêve de Fred LIP »

Photographie aérienne usine Lip III palente en 1967

Photographie aérienne de l’Usine Lip III Palente en 1967 / Source : Fond privé HAOND Clément

Majestueux édifice qui se dresse au cœur d’une forêt de verdure, en périphérie Est de la cité horlogère de Besançon, le domaine de Palente va être le décor de l’édification d’une citadelle industrielle à la gloire de son seigneur, au tournant des années 1960. Fred LIP, puisque c’est le nom de ce valeureux horloger Bisontin, en est le commanditaire dès le milieu des années 1950. La construction de son usine, selon ses plans et exigences de modernité dès 1960 marque l’apogée du fleuron de la production horlogère Française et Européenne, que la manufacture de montres Lip symbolise. 

« La nouvelle usine (Lip) de Palente est conçue pour les vingt années à venir » (Bulletin Lip de Mars 1961)

On ne fabrique pas 500 000 montres [par an] dans une usine prévue pour une cadence de 50 000, mais bien plutôt dans une une usine prévue pour un million. Cette usine, c’est LIP III (Message de Fred LIP dans le Bulletin Spécial LIP III Besançon Palente de Mars 1961)

C’est en ces quelques mots que tient l’élément fondamental de la construction d’un nouvel ensemble de production pour la décennie 1960, qui devra être marquée par l’heure Lip. Depuis le début du XXe siècle, l’affaire Lip, qui verra se succéder 3 générations de LIPMANN, est une des firmes les plus prospères de France et d’Europe. Ceci aura pour conséquence de transporter l’atelier artisanal de production du 14 de la Grande Rue à Besançon (au cœur du centre ville) à l’usine du quartier de la Mouillère (rue des Chalets) en 1903. Mais à la reprise de l’affaire familiale par Fred LIPMANN, en 1944 – 1945, l’augmentation de la production surpasse les capacités viables de l’usine de la Mouillère, et la nécessité de construire une nouvelle entité se fait, plus que jamais, pressante au milieu des années 1950. 

La notoriété de la manufacture Lip est à son paroxysme depuis la création du Comptoir LIPMANN en 1867, par Emmanuel. Sur le plan économique, la S.A. LIP, en 1960, est la 8e puissance horlogère mondiale avec 550 000 montres empierrées produites sur l’année (Omega, par exemple, se trouve en 6e position avec 750 000 montres fabriquées). L’agrégation de nouveaux départements qui viennent s’ajouter au secteur de prédilection de Lip qu’est l’horlogerie et la fabrique de montres impose également d’agrandir l’usine (un département machines-outils voit le jour, un équipements civiles et militaires également, etc …).

Bulletin Lip Spécial Usine LIP III Palente Mars 1961 usine en cours de construction en 1960

Photographie de l’usine LIP III de Palente en construction en 1960 issue du Service Photographique Interne Lip / Source : Bulletin Spécial Lip Palente de Mars 1961, Fond privé HAOND Clément

Mais au delà de ces considérations techniques et économiques, la construction d’une nouvelle usine tient en la personne de Fred LIP, qui souhaite marquer l’histoire par un édifice à son image, et quoi de plus parlant pour un industriel que de laisser à l’exaltation contemporaine puis à la postérité son usine. De plus, ce fantaisiste patron veut offrir un espace de travail sain, aéré, vivifiant et favorisant le travail bien fait et la qualité de sa production à ses salariés. Cela fait écho au tentaculaire réseau de l’usine de la Mouillère, fait de bâtiments disparates et qui occupe la quasi totalité de la rue des Chalets, à Besançon. 

Du « Domaine de Palente » à l’usine la plus moderne d’Europe.

Ainsi, dès 1953, le terrain du « Domaine de Palente » à quelques kilomètres au Nord-Est de la cité horlogère de Besançon est acheté par la société LIP S.A. d’horlogerie. Dès la fin des années 1950, Fred LIP mûrit un projet grandiose, presque pharaonique au cœur d’un havre de paix verdoyant. Histoire dans l’histoire, le « Domaine de Palente » fut l’apanage du Baron de Palente Jacques TERRIER, qui le possède de 1809 à 1849, date de sa mort. Vendu successivement, il sera acheté par Fred LIP en 1953.

Passerelles usine Mouillère et Palente

À gauche : Passerelle de l’usine Lip-II de la Mouillère, années 1950
À droite : Passerelle de l’usine Lip-III de Palente, en 1966
/ Source : Fond privé HAOND Clément

60 000 puis 90 000 m2 de terrain appartiennent alors à la manufacture Lip, en plus du château de l’ancien Baron de Palente. Sur ces 9 ha, Fred LIP et son cabinet d’architecte dirigé par Olivier POMPONNE DE BAZELAIRE lance, le 15 Mars 1960, la construction d’une usine de fabrication horlogère de 24 000 m2, deux fois plus vaste que la vieillissante usine de la Mouillère. Construite autour de 2 puis 3 corps de bâtiments reliés par une passerelle chère au cœur de Fred LIP, celle-ci lui rappelant la passerelle de l’usine de la Mouillère, il s’agit d’une des usines les plus spacieuses d’Europe.

Extérieur de l'usine montre Lip de Palente 1962 revue Usine d' Aujourd'hui

Vue extérieure de l’usine Lip III de Palente dans les années 1960 sur les ateliers de production / Source : Archive du Musée du Temps (Besançon)

Immédiatement prévue pour accueillir les 1500 employés de la manufacture Lip, cette cathédrale d’acier et de verre se démarque par sa modernité, tant dans la conception des espaces que par les équipements innovants qu’elle renferme.  Les plans sont conçus selon les demandes de chaque service, et sous la coupe de la discipline sociologique, puisque le sociologue M. FERRAND supervise et oriente la conception de la future usine (il mène une étude d’une année dès 1955 pour Lip). Dès le 8 Septembre 1960, les premiers Lip intègrent l’usine flambant neuve de Palente, dont la majeure partie est encore en construction. 
Un ravitaillement routier s’organise pour faire la jonction entre les deux usines, puisque la Mouillère reste en activité. Au fur et à mesure de l’avancement des travaux à Palente, des services complets déménagent la veille de la rue des Chalets, pour poursuivre le travail abandonné la veille à la Mouillère, le lendemain à l’usine de Palente. La production ne sera jamais stoppée, ce qui représente une prouesse pour une usine de cette envergure.

Sans totalement renier la tradition horlogère, l’usine de Palente se part de larges baies vitrées rectangulaires afin d’inonder de lumière naturelle les ateliers de production. Le plus grands des 3 bâtiments dispose d’un système d’éclairage zénithale, la lumière provenant donc du plafond, limitant les risques de réverbérations et d’éblouissement pour la partie fabrication. Le reste des locaux bénéficient d’un éclairage latéral. L’éclairage naturel fourni par le soleil est complété par un système d’éclairage artificiel. 
Architecture d’acier, de verre et de fines dalles de bétons , la disposition des bâtiments tient compte de deux facteurs : Dans un premier temps, de l’issue des études sociologiques et internes menées par Lip entre 1955 et 1957, puis, dans un seconde temps, du terrain et des prérogatives de résistances au poids des machines notamment. Initialement, un seul corps de bâtiment devait contenir l’ensemble des Groupes Lip qui animent jusqu’en 1960-1962 l’usine de la Mouillère. Le choix sera finalement porté sur un ensemble de 3 bâtiments, organisé autour du bâtiment de production (N°3 sur la photographie ci-dessous). . 

Usine montre Lip Palente vue aérienne couleur vers 1965

Vue aérienne de l’usine Lip III de Palente vers 1965 / Source : M-P. COUSTANS et D. GALAZZO, Lip des heures à conter, Glénat, 2017, page 35

Le bâtiment N°3 renferme l’Atelier de fabrication, d’où la matière première pénètre par la partie Nord, et ressort en pièces finies prêtent à être assemblées.  Se développant sur 2 niveaux, sa surface occupe 10 700 m2. À son extrémité Sud, le local N°2 concerne la centrale des fluides, reconnaissable à son toit en dents de scie différent du reste de l’usine. Dotée d’une gestion automatisée, cette section technique gère les fluides de Palente, dont les diverses huiles, l’eau, l’air comprimé et une pompe à vide pour l’outillage des horlogers. Ce développement massif, point névralgique pour la production, est enserré par 2 édifices. À sa gauche, relié par une première moitié de passerelle, se trouve les vestiaires, les douches et le vaste restaurant d’entreprise (N°1). À l’opposé, le plus petit des 3 bâtiments accueil en N°4 l’assemblage du département horlogerie, et en N°5 les locaux commerciaux, administratifs, de réceptions et de la direction, dont le bureau de Fred LIP qui se devine au premier étage, en façade, dans le prolongement de 6 baies vitrées. Développé sur 3 et 4 niveaux, il couvre une surface de 7 000 m2. 

En plus de multiplié par plus de deux la surface de l’usine, Lip III – Palente apporte un lot important d’innovations technologiques et ergonomiques dédiées aux salariés de la firme Bisontine. Dans cet esprit de « Patron-Social », qui sera l’étiquette de Claude NEUSCHWANDER lorsqu’il reprend l’affaire Lip en 1974, Fred LIP prend soin de ses employés pour se garantir leur fidélité et leur savoir-faire. Un ouvrier ne dira t-il pas lors du premier conflit Lip qui éclate en 1973 « que chez Lip, on fait parti de l’élite horlogère ». 
Le parc machines est renouvelé pour suivre le passage du 110/220 volts au 220/380 volts, et pour bénéficier des meilleures technologies. Des machines-outils Suisses, Allemandes, Françaises mais également de conception Lip grâce au concours de la Société Oranaise de Construction (S.O.C. / Propriété de Lip) sont installées à Palente. Preuve d’une modernité sans faille, l’âge moyen de l’équipement de l’usine de Palente ne dépasse par 6 années en 1962. Deux chaudières assurent la constance de la température dans l’ensemble de l’usine, le tout étant réglé automatiquement, sans intervention du personnel technique. Les planchers sont en dalles métallisées, afin de les rendre le plus anti-poussière possible. Ennemi de premier ordre dans la conception horlogère, la poussière est bannie de l’usine par un puissant système de filtration de l’air. Les services nécessitant une constance absolue de la température sont même équipés, dès le début des années 1960, de l’air climatisé, à l’instar de la métrologie ou du service de chronométrie. Enfin, le large parc qui ceinture l’usine apporte certes un cadre agréable de travail, mais la conservation de tous les arbres, y compris ceux ayant été déplacés lors de la construction de l’usine, sert également de bouclier naturel contre la poussière. 

Une usine à l’image de son patron … et célébrant son génie

Fin mai 1962, l’ensemble des activités de l’usine de la Mouillère ont été déménagé, l’usine Lip III-Palente est pleinement opérationnelle. L’usine est officiellement inaugurée le 8 Septembre 1962, en présence d’une délégation d’officiels de la région, mais également de l’échelle nationale, puisque le Ministre de l’Industrie en personne, Michel-Maurice BOKANOWSKI, fait le déplacement. D’anciens élèves de l’Ecole d’Horlogerie de Besançon, « l’Horlo », sont également conviés, tout comme le directeur de cette dernière à l’époque. Déambulant dans une usine flambant neuve, ce parterre d’invités venus célébrer Fred LIP et l’entreprise qu’il administre évoque un lieu extraordinaire dédié à la production horlogère d’élite. Par ailleurs, l’histoire retiendra la célèbre maxime de Fred LIP qui, une fois la visite ministérielle cadencée menée à son terme, déclarera « Messieurs, nous avons battu un record puisque je vais vous libérer avec 7 minutes d’avance !« . 

Fresque de Gaston GOOR Usine Lip de Palente

Fresque par Gaston GOOR réalisée à la demande de Fred LIP dans le hall de réception de l’usine Lip III de Palente en 1962 / Source : M-P. COUSTANS et D. GALAZZO, Lip des heures à conter, Glénat, 2017 et M. VIDAL-LIP, page 38-39

Mais ce qui frappe d’étonnement les visiteurs de Palente reste l’immense fresque qui orne le mur de la réception de l’usine, que surplombe le bureau de Fred LIP. « La chronologie du temps« , œuvre du peintre Gaston GOOR, est une demande spéciale du patron de la manufacture Lip qui vise à célébrer l’histoire horlogère, mais surtout à magnifier l’histoire horlogère de Lip, et de Fred LIP. Ce dernier est évidemment représenté, au centre et en habit du XVIe siècle, discourant avec Galilée. Son père Ernest devise sur la droite avec Einstein, tandis qu’un flot d’inventions Lip traverse la scène, suspendues dans le ciel par une force enchanteresse. Des muses, des anges et deux calendriers zodiacaux complètes la scénographie, sur fond de vallée céleste, empruntée aux plus belles descriptions du Paradis. Ayant eu la faveur de faire éditer des poèmes en 1960, Fred LIP est passionné de sciences mais également de littérature et de faits intellectuels, allégoriques, ce qui explique cette mise en scène stupéfiante dans le hall de son usine. Palente est à l’image de ce que Fred LIP est, une source de génie intarissable, mais au caractère fantasque. Le sérieux se mêle à l’espièglerie, tant dans le bâtiment que dans la psychologie du personnage qui l’administre. 

Usine de Palente Lip 1967 bustes Ernest Emmanuel LIPMANN direction Fred Lip

Bustes en bronze d’Emmanuel LIPMANN, fondateur de l’entreprise Lip en 1867 et emplacement des deux statues, en 1967 / Source : Fond privé photographique HAOND Clément

Comble de l’éloge que Fred LIP livre à son patronyme, et à ceux de sa famille l’ayant porté avec lui dans sa version originelle de LIPMANN, il fait réaliser deux bustes à la gloire de son père, dont il était un grand admirateur, et à celle de son grand-père, fondateur de la dynastie horlogère des LIP(MANN). La passion pour l’Art chez Fred LIP n’a pas de limite, d’autant plus lorsqu’il commémore sa réussite, et accessoirement celle de ses prédécesseurs. Ces deux bustes en bronze regardant avec admiration l’usine et le bureau de Fred LIP sont solidement fixés sur un piédestal à fût droit couvert de marbre. Accueillant les visiteurs de l’usine de Palente, ils sont astucieusement placés en avant de par et d’autre des portes à ouverture automatique qui sépare le hall d’entrée de la direction du parc du « Domaine de Palente ». Pour l’anecdote, lors du premier conflit Lip qui ébranle l’entreprise, ces deux bustes seront utilisés comme projectiles lors d’une charge de C.R.S., au cours de l’été 1973. 

Du sommet à la ruine

Toute la période des années 1960 est assez faste chez Lip, puisque la manufacture Bisontine enregistre un record de production en 1962, avec 600 000 montres fabriquées. La grande innovation de l’ère « Palente » sera la seconde génération de montres Electronic, avec les mouvements R148 et R184, qui équiperont entre autre la Nautic-Ski Electronic, montre de plongée emblématique que Lip produira de 1967 à 1981. L’automatisation est encore accélérée et l’assemblage des montres est quasi exclusivement réalisé par des chaines de montage automatiques, permettant à Lip de réduire encore les coûts de production de ses mouvements, et de proposer des montres à un prix de vente deux à trois fois inférieur à celui des marques Suisses concurrentes. De plus, la fin des années 1960 marque les premières recherches sur le Quartz Lip, menées dans le laboratoire de développement de l’usine de Palente. 

Au delà de l’horlogerie, le formidable outil de production modernisé et à la pointe de la technologie du complexe de Palente permet à Lip de travailler pour la Défense Nationale via son département Armement, ou encore pour le Commissariat à l’Énergie Atomique (C.E.A.), auquel le département Industrie qui fournis des bras manipulateurs à commandes magnétiques via son service « Haute Précision », afin de manipuler en toute sécurité des matériaux radioactifs par exemple. 

Mais le déclin de l’horlogerie Française face à ses concurrents étrangers est déjà amorcé. À la fin des années 1960, la manufacture Lip accuse une progression moindre des ventes. L’immense vaisseau d’acier du quartier de Palente apparaît comme surdimensionné, la demande n’étant pas proportionnelle à la capacité de production. La nécessité d’ouvrir le capital pour renflouer l’entreprise se fait pressante. En 1967, l’actionnaire Suisse Ébauches S.A. (E.S.A.) rachète 33% des actions de la firme Lip, quelques années après, elle aura la majorité au Conseil d’Administration. Obligeant Lip à acheter de plus en plus d’ébauches chez les sous-traitants Allemands d’E.S.A., condamnant la production manufacturière de Lip. Cela conduit Lip à un premier conflit social, à la suite de l’annonce d’un vaste plan de licenciement en 1972. Fred LIP qui se rêvait en capitaine d’un navire industriel flamboyant ne va pas résister à la tempête économique qui secoue son entreprise, et il est remercié en février 1971, prié de quitter la direction active de la manufacture Lip. Il ne sera plus au premier plan pour voir sombrer son usine, dans une affaire qui portera désormais son nom, « l’Affaire Lip ». 

1972 – 1973 / 1975 – 1976 : Une usine au rythme des premiers conflits sociaux d’envergure en France

CRS devant l'usine de palente, conflit Lip journal du 15 Aout 1973

C.R.S. surveillant l’entrée de l’usine Lip de Palente en Août 1973 / Source : Fond privé HAOND Clément, article de presse

1972 – 1973, près d’une année de conflit va secouer l’usine de Palente, théâtre d’un affrontement entre des ouvriers qui veulent conserver leur travail, et une direction étrangère qui souhaite au mieux assainir une entreprise en délicatesse financière, ou tout simplement éradiquer un concurrent important. Les bâtiments servent de refuge aux employés en grève, qui poursuivent la production de montres et en assurent la vente, afin de procéder aux paiements de tous les salaires. 

1974 : Après la signature des accords de Dole, le travail reprend à Palente, sous la direction de Claude NEUSCHWANDER, ancien de Publicis, débauché en sauveur d’une entreprise en crise. Palente permet la création, par son outillage de pointe et le savoir-faire des employés, de la célèbre collection Design 1975, avec entre autre l’intemporelle gamme Mach 2000 dessinée par Roger TALLON, pape du Design en France. Mais l’extravagance de la construction de Palente, ce palais horloger complexe à rendre rentable tue dans l’œuf ce formidable projet de reprise. La Compagnie Européenne d’Horlogerie LIP s’écroule en 1976, emportant dans la tourmente l’usine si chère à Fred LIP. Certainement trop en avance sur son temps, et trop vaste pour un marché presque exclusivement Français, l’usine condamnait la pérennité de l’entreprise, tout en célébrant sa splendeur et sa vitalité. 

La marque est reprise dès 1976 – 1977 par certains ouvriers et employés Lip, dans une légalité relative, la liquidation judiciaire et le traitement administratif de cette dernière n’étant pas totalement actés. Régularisant leur situation, et souhaitant relancer la première marque horlogère de France, les anciens Lip se structurent en SCOP, montage innovant qui ne sera accepté qu’à une seule condition, qu’ils quittent définitivement l’usine de Palente. Progressivement abandonnée, ce fleuron de l’industrie Française, usine la plus moderne d’Europe à son inauguration en 1962 n’est plus qu’une coque vide, inanimée. Dans les années 1980, l’usine est pillée, marquée des stigmates des violents affrontements de la fin des années 1970, lorsqu’il fallait alors réprimer la relance de l’entreprise, pour museler une dernière fois une affaire aux abois. Délabré, ce vaste domaine sera reconverti, après plusieurs années et la destruction d’une large partie des bâtiments, en pépinière d’entreprise. 

À partir de 1981, des ventes judiciaires sont organisées afin de liquider le restant de matériel encore présent dans l’usine, en vue de vendre les bâtiments et le parc de l’ancien « Domaine de Palente ». Plus globalement, cette période du début des années 1980 symbolise la fin progressive du bastion industriel horloger et de la micro-mécanique qu’était alors la région de Besançon, et plus largement du département de la Franche-Comté. En février 1985, la dernière liquidation judiciaire acte la vente, après plusieurs baisses de prix et des mois de tractations, de l’usine et du terrain sur lequel elle est érigée, contre la somme de 4.5 millions de Francs. Un partenariat entre la chambre de commerce de la région et la ville de Besançon se porte acquéreur, en proposant un plan de réhabilitation totale de ce complexe alors en friche. 

La totalité du restaurant et des vestiaires a été détruite au milieu des années 1980, pour laisser place à de nouveaux locaux. Le château de Palente, transformé en 1962 en centre médico-social et une large partie de la passerelle, emblème avec la cheminée de Palente ornée d’un monumental « LIP » sont voués à la destruction, une page se tourne et l’ère Fred LIP est définitivement révolue. Aujourd’hui, une partie des bâtiments demeure toujours similaire à ceux imaginés par Fred LIP dans les années 1950 et 1960. Malgré la disparition de la marque horlogère Lip pendant plus de 30 ans de Besançon, et son récent retour dans la région Bisontine (2014), les 3 générations de LIPMANN auront réussi à marquer la ville de leurs empruntes respectives. L’Atelier du 14 de la Grande Rue existe toujours (Centre Commercial, 1867 – 1903, Emmanuel), l’usine de la Mouillère, œuvre d’Ernest LIPMANN est quasiment intact (rue des Chalets, 1903 – 1960/62) et, nous l’avons vu, l’usine de Palente, rêve « du Fred » comme il se faisait appeler dans les couloirs de l’usine; est, malgré sa refonte, encore là aujourd’hui, derniers témoins visibles d’un passé industriel horloger vigoureux à Besançon. 

Sources : 

  • COUSTANS Marie-Pia et GALAZZO Daniel, Lip, des heures à conter, Édition Glénat, Grenoble, 2017
  • Fred LIP, Bulletin Spécial LIP III – Besançon Palente de Mars 1961, Édition Aljanvic, 1961
  • Ouvrage collectif d’exposition, L’HORLOGERIE DANS SES MURS, Lieux horlogers de Besançon et du Haut-Doubs, Édition du Musée du Temps, 2019 (livret de l’Exposition éponyme au Musée du Temps)
  • Collection Lip du Musée du Temps à Besançon
  • Fond d’archives issues des Archives Municipales de la ville de Besançon
  • Fond de documentation privé sur la Manufacture Lip, HAOND Clément
  • Fond d’archives télévisuelles de l’INA sur Lip entre 1960 et 1984
  • Fond photographique privé sur la Manufacture Lip issue du Service Photographique Interne de l’usine Lip, HAOND Clément
1903 – 1960/62 : L’usine moderne de la Mouillère de la S.A. d’Horlogerie LIPMANN Frères, rue des Chalets.

1903 – 1960/62 : L’usine moderne de la Mouillère de la S.A. d’Horlogerie LIPMANN Frères, rue des Chalets.

1903 – 1960/62 : L’usine moderne de la Mouillère de la S.A. d’Horlogerie LIPMANN Frères.

Œuvre majeure de la seconde génération horlogère de la famille LIPMANN, emmenée alors par Ernest, la construction ex-nihilo de l’usine Lip au sein du quartier de la Mouillère à Besançon symbolise l’avènement de l’ère industrielle pour la fabrique de montres et d’équipements mécaniques. Suivant inlassablement le cours de l’histoire, chaque génération de LIPMANN va transformer l’entreprise, en lui offrant les dernières innovations des époques successives qu’elle traverse. 

Le XXe siècle permet à Ernest LIPMANN, fils du fondateur de l’affaire horlogère en 1867, de moderniser la production de montres et chronomètres estampillés Lip. L’évolution incessante des procédés industrielles dès la fin du XIXe siècle peut garantir un dynamisme exceptionnel au paysage horloger de Besançon, à condition que la vieille avant-garde d’horlogers et de sous-traitants s’y plie, et dans cette branche traditionaliste et conservatrice, rien n’est moins sûr. 

Usine montre Lip de la Mouillère rue des chalets en 1953 + immeuble du SIDHOR en tête facture vidée des autres habitations

Gravure de l’usine de la Mouillère et du bâtiment du SIDHOR (croix) en 1953 (la rue est vidée des autres habitations et usines à proximité) / Source : En tête d’une facture Lip de 1953, Fond privé HAOND Clément

La fin de l’établissage, pour l’essor de la manufacture.

La rupture avec l’établissage s’opère lors de la passation de pouvoir entre Emmanuel et ses fils, Ernest et Camille LIPMANN. Ces derniers, prenant officiellement les rênes de l’entreprise en Janvier 1901, vont, notamment sous la férule d’Ernest, profondément modifier le Comptoir LIPMANN, en lançant la construction dès le début du XXe siècle, d’une usine de production entièrement neuve et pensée pour l’horlogerie. À la faveur du déclassement de la zone militaire ceinturant la Boucle (quartier historique de Besançon), les zones marécageuses du quartier de la Mouillère deviennent constructibles. Les entreprises notamment horlogères ou dépendantes de l’horlogerie se ruent alors sur ces terres inexploitées, vides d’industries. 

Massée au sein de la Boucle et dans la rue Battant, la fabrication de montres à Besançon manque d’oxygène. La contrainte spatiale du méandre que décrit le Doubs, et des fortifications de la ville ne permettent pas à cette activité de se développer à sa convenance, et d’assouvir les ambitions d’industrialisation de la nouvelle génération d’horlogers. L’ouverture de nouveaux terrains, qui plus est vierges, crée une atmosphère d’émulation, d’effervescence à Besançon, alors capitale de l’Horlogerie Française, et principal concurrent de la Suisse. Les frères LIPMANN n’échappent pas à cela, d’autant plus que l’atelier obsolète fondé par leur père au 14 de la Grande Rue (Besançon) ne permet de concevoir qu’un nombre restreint de montres manufacturées, une grande majorité de la production étant faite d’assemblage de pièces achetées à l’extérieur et fabriquées sur place. L’imagination des LIPMANN ne pouvait se borner à ces opérations fastidieuses, et c’est sur ce terrain fertile que la décision, début 1900, est prise de construire l’usine de la Mouillère, 4 rue des Chalets. 

L’usine de la Mouillère.

Édifiée sur deux étages à l’Est de Besançon, l’usine Lip est décrite par la réclame en 1904 comme une « Manufacture d’horlogerie soignée par procédés mécaniques, avec outillage perfectionné » (Source : La Fédération Horlogère Suisse du Jeudi 2 Juin 1904). Initialement cantonnée à quelques bâtiments, l’usine de la Mouillère va se développer au gré du dynamisme de l’entreprise. Absorbant au fur et à mesure les constructions jouxtant l’édifice principal, l’usine Lip se développe à la manière d’un arbre dont les rameaux occuperaient petit à petit l’espace disponible, sans véritable unité architecturale. 

Atelier de polissage des boîtiers et cuvette - Entrée de l'usine Lip de la Mouillère 1908 @Enquête de la France Horlogère - MAUERHAN

Atelier de polissage et Entrée de l’usine Lip de la Mouillère, dans une enquête de la France Horlogère datée de 1908, in MAUERHAN Joëlle, Horlogers et horlogères à Besançon 1793-1908, un passé prêt à revivre, L’Harmattan, 2019.

Tentaculaire lieu de production dans lequel s’anime, dès 1903, 80 salariés. La plupart s’attellent à la fabrication de la quasi totalité des éléments constitutifs d’un mouvement d’horlogerie, le reste des ouvriers est chargé d’assembler les fournitures ou les ébauches que la S.A. LIPMANN Frères achètent auprès de fournisseurs Français ou Suisses. Volontairement prévue trop vaste afin d’absorber l’optimiste développement de l’usine prévu pour les décennies à venir, des sous-traitants de Lip s’installent dans un premier temps rue des Chalets (galvanoplastie, finisseurs, etc …) afin de rentabiliser l’espace. Rapidement, l’usine emploie 110 personnes, dont des horlogers, des mécaniciens, des outilleurs qui fabriquent les outils et des éléments de machines-outils ou des employés commerciaux et administratifs.

Grande rue du village de Broût-Vernet (Allier), vue sur une affiche Lip vers 1910 @SHL

Vue sur une affiche Lip vers 1910, grande rue de la commune de Broût-Vernet (Allier) / Source : Service Histoire Lip

Pensée dès les plans comme une usine horlogère moderne, les bâtiments de la rue des Chalets qu’occupent Lip sont spacieux, dotés de l’électricité et du chauffage central, deux révolutions d’une grande modernité. Dès 1910, une intense et innovante campagne de promotion de la marque Lip voit le jour. Les trois lettres sont reportées sur de grandes affiches qui tapissent les villes et les villages de France, tout comme les pages des journaux en vogue, l’Illustration en tête. Ainsi, la demande augmente fortement et près de 200 employés s’activent dans l’usine de la Mouillère, dont 55 horlogers Suisses, avant la Grande Guerre. L’emploi d’horlogers Suisses indique aisément la considérable notoriété dont bénéficie la fabrique LIPMANN. 
La Mouillère est agrandie une première fois en 1911 face à cette augmentation nécessaire de production, et ce, malgré la construction volontairement surdimensionnée de 1903. 

Les années 1920 sont synonymes de succès pour Lip, la marque ayant admirablement survécu à la Grande Guerre. Ernest LIPMANN est alors au commande de l’usine, qu’il veut à l’avant-garde. L’usine est alors à pleine capacité, et en publicitaire averti, Ernest décide d’ouvrir les portes de la Mouillère aux clients et journalistes. Un journaliste de la revue Horlogerie-Bijouterie va publier, dans le N° 235 en date de Juin 1922 un éloge panégyrique de l’usine Lip de la rue des Chalets : 

J’ai tenu à visiter les Usines Lip. J’en reviens émerveillé. Dès l’entrée, vous êtes frappés par le standard téléphonique dernier modèle et ses charmantes téléphonistes vêtues à la dernière mode de Paris.  Tout est clair, spacieux, aéré. Les ateliers ronronnent du murmure des machines-outils. Les ouvriers se déplacent à travers une forêt de cables, poulies, courroies, qui vous suggèrent les derniers films de Tarzan que l’on peut voir au Cinématographe. 
[…] En somme, chez Lip, nous avons une vision du monde de demain.

Cette extrait que nous retrouvons à la page 16 de l’ouvrage Lip de référence, Lip des heures à conter de M-P COUSTANS et D. GALAZZO (2017, Glénat) nous renseigne sur l’atmosphère de modernité qui règne alors chez Lip. 

Vues sur les Ateliers de l'usine Lip de la Mouillère photographies du Services Photographiques Interne Lip années 1935 - 1940

Vues sur les Ateliers de l’usine Lip de la Mouillère photographies du Services Photographiques Interne Lip vers 1935 – 1940 / Source : Fond privé de photographies HAOND Clément

Les années folles … vues de la rue des Chalets

Plan de l'Usine de la Mouillère par Charles Piaget

Plan à main levée de l’usine de la Mouillère réalisé par Charles PIAGET / Source : Fond privé HAOND Clément

La décennie 1930 apporte également son lot d’évolutions au sein de l’usine Lip. La dynamique expansionniste se poursuit en absorbant les maisons voisines, donnant un ensemble architectural hétéroclite. Les frères LIPMANN font installer un éclairage par tubes fluorescents à vapeur de mercure afin d’offrir un poste de travail lumineux aux 350 employés qui peuplent alors l’usine, en plus des larges baies vitrées typiques des ateliers d’horlogerie. Les murs se couvrent d’une peinture verte, et afin de garantir une production toujours plus qualitative, un parquet sans joint est posé dans les ateliers d’horlogerie. Cette dernière innovation structurelle permet de limiter la formation et l’accumulation de poussière, et l’encrassement des mouvements lors de la fabrication, du réglage ou de l’assemblage. 
Un dédale de couloirs, de pièces borgnes et d’escaliers étroits rythment la journée des employés Lip. L’adjonction de bâtiments d’origines diverses rend la circulation difficile dans ce qui s’apparente dorénavant à un labyrinthe. Distribuées sur plusieurs niveaux, dont des demis niveaux, il est complexe d’instaurer un roulement, avec la matière première qui entre par un côté de l’usine, et qui ressort de l’autre côté en montres finies. Un dessin de Charles PIAGET (mécanicien dès 1946 chez Lip et figure syndicale de Lip) permet de mesurer l’importance de l’imbrication et de la disparité des départements Lip, et l’énergie dépensée dans le transfert d’une pièce entre deux étapes, au sein de deux lieux de l’usine. 

La Seconde Guerre Mondiale aux Chaprais, et la révolution Fred LIP (1939 – 1960).

Photographie actuelle de l'immeuble du SIDHOR 23 rue de la Mouillère @MuséeduTemps exposition l'Horlogerie ds ses murs

Photographie de l’immeuble du SIDHOR réalisée par le Musée du Temps à l’occasion de l’exposition « L’horlogerie dans ses murs, lieux horlogers de Besançon et du Haut-Doubs » en 2019 / Source : Collection photographique du Musée du Temps, Besançon

La manufacture Lip va poursuivre son énergique ascension entre 1939 et 1960. L’usine de la Mouillère atteint le paroxysme de son développement spatiale vers 1950, tout juste après la construction entre 1947 et 1948 de l’immeuble du SIDHOR (Société Immobilière pour le Développement de l’HORlogerie). L’éclatement de la Seconde Guerre Mondiale et l’Occupation Allemande de l’usine de la Mouillère, puis son pillage lors de la débâcle par les troupes de l’Axe va fortement freiner la modernisation de la Mouillère. Vaisseau qui émerge du quartier, l’ensemble de bâtiments va toutefois connaître un retentissant bon en avant sous l’égide de Fred LIPMANN, qui prend les commandes de l’entreprise fin 1944. En 1948 – 1949, la Mouillère est une des premières usines horlogères dans le monde qui se dote d’une chaîne de montage semi-automatisée, mise au point par le département spécialisé en machinerie de Lip. En 1951, c’est un atelier de fabrication de cadrans qui prend place dans l’étroite usine. La même année, une montre est fabriquée en 24 minutes à la Mouillère, et cela, malgré la singulière imbrication de pièces et de lieux de production. Suivant une avancée de la rue Beauregard vers la rue de la Mouillère, en direction du Doubs, l’usine Lip profite de la construction du remarquable immeuble du SIDHOR. 

SIDHOR aigle sur un rouage d'horlogerie façade de l'immeuble

Détail de la façade du SIDHOR avec l’aigle symbole des armoiries de Besançon posé sur un rouage, allégorie de l’horlogerie et le micro-mécanique / Source : racinescomtoises.net

Le SIDHOR fait parti intégrante de l’histoire de la manufacture Lip, notamment parce qu’il va abriter l’innovation majeure de Lip, l’Electronic. Réunissant en un seul lieu plusieurs fabricants en horlogerie dont Lip, Auger ressorts, Epiard, Cheval Frères, etc …, le SIDHOR offrait alors la possibilité de mutualiser des espaces lumineux et pensés pour pratiquer l’horlogerie. Construit selon les plans d’Alfred Ferraz et de Lucien Seignol, deux architectes originaires de Saint-Etienne (Loire), ce bâtiment en croix va accueillir au dernier étage (le quatrième) le laboratoire de recherche Lip. Ce dernier donne secrètement naissance à la technologie Electronic Lip, présentée en première mondiale en 1952 au stade de prototype, puis commercialisée en Décembre 1958. Il s’agit ainsi d’un haut lieu de l’histoire Lip. Se trouvant dans le prolongement de l’usine, le SIDHOR vient marquer l’angle de la rue des Chalets, communément appelée « rue Lip » puisque la quasi totalité des bâtiments s’y trouvant appartiennent à Lip S.A. d’horlogerie, et de la rue de la Mouillère (le SIDHOR se trouve au 23 de cette dernière).   

Une usine au bord de la saturation dès le milieu des années 1950.

Avec le fastueux essor de la manufacture Lip sous la coupe de Fred LIP dès les années 1950, l’usine de la Mouillère connait un étalement spatiale important. Ainsi, au milieu des années 1950, l’usine occupe une surface de 10 000 m2, ou travaille environ 900 employés qui produisent près de 200 000 montres par an, ainsi que quelques machines et des équipements électriques. La diversification des champs d’action de la manufacture Lip impose « au Fred » d’envisager une nouvelle infrastructure digne de produire les plus belles montres de France. De plus, dans sa fougue anti-conformiste et anti-traditionaliste, Fred LIP pousse son entreprise vers la modernité, vers l’avenir, et l’usine de la Mouillère, par sa conception et son absence d’ergonomie entrave son action. 

Usine Lip de la Mouillère en 1953 et immeuble du SIDHOR

Gravure de l’usine de la Mouillère et du bâtiment du SIDHOR (croix) en 1953 / Source : En tête d’une facture Lip de 1953, Fond privé HAOND Clément

Dès 1953, un terrain est acquis dans le quartier de Palente, l’entreprise Lip n’ayant plus besoin d’être proche de Besançon, sa réputation étant alors pleinement établie. Situées à proximité du château de Palente, Fred LIP rachète donc les terres du « Domaine de Palente », 90 000 m2 de verdure. Le construction de l’usine Lip III débute en Mars 1960, pour s’achever au cours de l’année 1962. 24 000 m2 sont allouée aux 3 corps de bâtiment qui composent l’usine Lip-Palente, une surface plane plus de deux fois plus vaste que l’usine de la Mouillère. Ultra-moderne, Palente va supplanter le fief historique de la Mouillère dès 1960. Le transfert des machines et de la production se fait sans discontinuité entre 1960 et 1962, chaque secteur déménageant la veille de la Mouillère, pour se trouver le lendemain à Palente au même poste. 

Photographie aérienne usine Lip III palente en 1967

Photographie aérienne de l’Usine Lip III Palente en 1967 / Source : Fond privé HAOND Clément

Les derniers services quitte l’usine de la Mouillère en 1962, la manufacture Lip se déployant pleinement dans « l’usine la plus moderne d’Europe », Palente III.  Les bâtiments de la Mouillère sont rapidement vendus par Lip S.A., les bénéfices de cette vente couvrant intégralement le coût colossal de l’usine de Palente. Un temps laissés vides, puis au fur et à mesure des années qui s’écoulent, la plupart sont réhabilités en logements ou en locaux pour de plus petites entreprises. Aujourd’hui, il s’agit de l’usine la mieux conservée de la manufacture Lip. Structurellement, les bâtiments sont tout à fait semblables à ce haut lieux de l’horlogerie que fut la rue des Chalets, seule la passerelle enjambant la rue des Chalets sera détruite.

Le déménagement de l’usine Lip II (Mouillère) vers l’usine-pilote Lip III (Palente) est le symbole de la fortune de l’affaire Lip après Guerre (post 1945). C’est également le marqueur d’une passation officielle de génération, puisque Lip I (70 puis 14 Grande Rue) fut l’aventure d’Emmanuel LIPMANN, le fondateur de la dynastie, Lip II (Mouillère) celle d’Ernest LIPMANN et de l’ère industrielle, et enfin Lip III qui sera « le petit caprice » (comme il aimait la qualifier) de Fred LIP. Chaque génération s’affirmera d’abord techniquement, mais afin de laisser une empreinte durable sur le paysage horloger Bisontin, elles s’assureront une solide pérennité par le lègue d’un monument industriel à leurs images. 

Sources :

  • COUSTANS Marie-Pia et GALAZZO Daniel, Lip, des heures à conter, Édition Glénat, Grenoble, 2017
  • MAUERHAN Joëlle, Horlogers et Horlogères à Besançon, 1793-1908, un passé prêt à revivre, Édition L’Harmattan, 2018
  • Ouvrage collectif d’exposition, L’HORLOGERIE DANS SES MURS, Lieux horlogers de Besançon et du Haut-Doubs, Édition du Musée du Temps, 2019 (livret de l’Exposition éponyme au Musée du Temps)
  • Collection Lip du Musée du Temps à Besançon
  • Fond d’archives issues des Archives Municipales de la ville de Besançon
  • Fond de documentation privé sur la Manufacture Lip, HAOND Clément
  • Fond photographique privé sur la Manufacture Lip issue du Service Photographique Interne de l’usine Lip, HAOND Clément
  • Fond numérisé de la Revue « La Fédération Horlogère Suisse » pour l’année 1903 et 1904

  • www.vivreauxchaprais.canalblog.com
  • www.racinescomtoise.net