En 1955, la manufacture Lip S.A. produit 300 000 montres par an, avec un effectif de plus de 1000 salariés. Le mouvement R25 (Rond, 25 mm de diamètre) est le fer de lance de la production, symbole de la relance de Lip après la Seconde Guerre Mondiale, et œuvre majeure jusqu’alors du nouveau Président de l’affaire familiale, Frédéric LIP (en poste depuis 1945).
Mais il fallait, 10 ans après la guerre, innover, coller à une mode nouvelle qui touche les années 1950, celle de la montre ronde à affichage centrale des secondes, dite à trotteuse centrale, et celle de l’affichage de la date. Le mouvement R25, malgré ses modifications, ne correspond plus au rythme de renouvellement qu’impose Fred LIP à l’entreprise qu’il administre. Il demande ainsi, au début des années 1950 aux ingénieurs Lip de l’usine de la Mouillère, de plancher sur un mouvement de manufacture entièrement repensé pour la nouvelle ère Lip qui s’ouvre.
Mouvement mécanique manuel manufacturé par Lip type R23 G vers 1963 / Source : Service Histoire Lip
Un succès immédiat
Inscrit dans l’ADN Lip par son absence de remontage automatique (dès la fin des années 1940, un laboratoire secret de Lip travail sur la technologie Electronic), ce calibre de 10 »’ 1/2, soit 23.3 mm environ (qui donnera son nom au mouvement, Rond et 23 mm de diamètre) va très vite s’imposer auprès des clients de la firme Bisontine. Pourvu d’une trotteuse centrale directe, il se pare quelques années après son lancement d’un système de quantième qui manquait cruellement au mouvement Lip R25 qu’il remplace progressivement. Caractéristique par son pont de rouages triangulaire, le mouvement R23 va accompagner la progression industrielle de Lip jusqu’au rang de première manufacture horlogère de France.
Décliné en 8 versions successives, c’est un mouvement qui va suivre la voie traditionnelle du développement d’un calibre chez Lip. Ainsi, une première version est conçue, puis commercialisée. Par la suite, le département recherches horlogères du laboratoire Lip œuvre à l’évolution quotidienne du mouvement de base, afin d’en livrer, au fur et à mesure des années, le plus imperfectible des calibres manufacturés. Reconnaissables par un marquage, au creux du balancier, les évolutions du mouvement se distinguent par l’ajout d’une lettre à la suite de la référence du mouvement, R23. Ainsi, la toute première version n’est signée que du nom du mouvement, R23. Par la suite, les 7 évolutions qui s’échelonnent jusqu’au milieu des années 1960 sont frappées de lettres, B pour la seconde évolution à H pour la dernière, diffusée vers 1965.
Publicité Lip Himalaya R23 C Dato vers 1959 / Source : Fond privé HAOND Clément
Seul mouvement mécanique moderne proposé par Lip sur la période 1950 et 1960 (le R25 reste au catalogue jusqu’en 1963), ce dernier connaîtra un succès important, avec plusieurs centaines de milliers de montres vendues sur la dizaine d’années de production.
Il équipera entre autre toute la gamme Lip Himalaya entre 1955 et 1962, montres sportives et tête de proue des collections Lip. Vainqueur de nombreux sommets au poignet de l’alpiniste Lionel TERRAY, la Lip Himalaya R23 va marquer son époque, gage de robustesse à toute épreuve, pour une précision toujours améliorée. Au froid intense des sommets montagneux, le R23 se confrontera triomphalement aux sévères exigences de l’Observatoire Chronométrique de Besançon, se parant de la prestigieuse appellation de Chronomètre officiellement certifié, se hissant au rang des meilleurs manufactures mondiales.
Montre Lip R23 C Dato vers 1960 / Source : Fond privé HAOND Clément
Une ingénierie irréprochable
Techniquement parlant, le mouvement R23 est une évolution importante, antériorisant tous les mouvements conçus par Lip avant la Seconde Guerre Mondiale, sur lesquels la manufacture menée par Fred LIP (nommé ainsi depuis 1948) fait table rase afin d’aborder l’avenir avec sérénité. « Le Fred », après « Sa » création qu’est le R25, souhaite poursuivre la dynamique positive de la manufacture Lip avec un mouvement encore plus performant, plus compact et plus robuste que jamais.
Caractéristiques techniques :
Calibre 10 »’ 1/2 (23.3 mm) de dimensions courantes pour l’époque
4.45 mm d’épaisseur sur la vis de couronne. 6.10 mm de hauteur à l’axe de l’aiguille des secondes, ce qui fait du R23 « un bon calibre plat ». Ceci permet également l’emploi de boîtiers étanches, en conservant une épaisseur totale satisfaisante.
Exécuté en 17 rubis, qui assurent une réduction drastique de l’usure des pivots et un fonctionnement plus efficient.
Balancier de diamètre important (9.7 mm), pourvu de vis compensatrices sur la version R23 et R23B, balancier normal de la version C à H.
Spiral à courbe Breguet jusqu’au R23 C, puis spiral plat autocompensateur.
Amortisseur de choc Incabloc sur les pivots de l’axe de balancier,
Trotteuse centrale directe
Système dateur disponible à partir de la Version C en option, dit « Dato » ou « Calendrier »
Anglages spécifiques des ponts et de la platine qui permet l’emploi de boîtes galbées et fines. Degré de finition exemplaire.
48 heures de réserve de marche, assurant une excellente précision sur 24 heures.
Période de production : 1955 à 1965.
Mouvement Lip R23 (1955 – 1965) / Source : Service Histoire Lip
Sources :
COUSTANS Marie-Pia et GALAZZO Daniel, Lip, des heures à conter, Édition Glénat, Grenoble, 2017
Fond de documentation privé sur la Manufacture Lip, HAOND Clément dont fascicules techniques Lip sur la présentation du R23 en 1955, des extraits de catalogues des années 1955 à 1963 ainsi que des documents internes de la manufacture Lip.
Divers fonds de documentations des Archives Municipales de Besançon
Fond d’archives du Musée du Temps (Besançon)
www.ranfft.de / Lip R23 dans la base de données de mouvements
Premier mouvement construit sous l’ère de la 3e génération de LIPMANN, sous l’égide de Fred LIP, le Calibre R25 (R pour rond et 25 pour son diamètre en millimètre) est un monument de la reconstruction de Lip au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale.
Mouvement Lip R25 produit entre 1948 et 1963 / Source : Fond privé HAOND Clément
Avant de livrer l’histoire de ce mouvement, il faut nous replonger brièvement dans l’histoire Lip de la Seconde Guerre Mondiale à la Victoire de 1945, puis à la période de prise de pouvoir, à la tête de l’entreprise familiale, par Frédéric LIPMANN. Nous l’avons vu dans l’article présentant le mouvement « de guerre » Lip I.24, la Seconde Guerre Mondiale va éclater l’entreprise Lip en une multitude d’entités. Ernest LIPMANN (seconde génération, père de Fred LIP) est emprisonné puis assassiné en 1943, le frère et le cousin de Frédéric se sont exilés aux Etats-Unis, ce dernier est entré dans la clandestine résistance Française et l’entreprise Lip est aux mains des Allemands. Deux jours après la libération de Besançon, le 10 Septembre 1944, Fred LIPMANN retrouve l’usine Lip de la Mouillère (Quartier de Besançon), en chasse les derniers occupants illégitimes et se proclame Président de LIP Société Anonyme, en l’absence de son père (et dans l’espoir que celui-ci ne soit pas mort). En 1945, Frédéric LIPMANN comprend que l’attente est vaine, et il s’emploi à relancer la production de montres Lip, avec la volonté d’imposer sa vision et son emprunte sur l’histoire de la firme de Besançon.
De longues années de recherche …
Le Calibre R25 va mûrir sous l’Occupation, puisqu’il est l’oeuvre de Jean-Georges LAVIOLETTE, ingénieur Lip et très proche de Fred LIPMANN avant, puis pendant la guerre. LAVIOLETTE va imaginer, alors que le second conflit mondial fait rage, le mouvement R25, mais également l’outillage et les conditions techniques nécessaires à sa fabrication. La guerre finie, et avant tout remportée par les Alliés, ce projet précautionneusement réfléchi pouvait enfin voir le jour, non sans quelques années de travail supplémentaire.
Lors de la fuite de l’Occupant Allemand, ce dernier emporte les machines et l’outillage de l’usine Lip le 29 Août 1944 / Source : Lip des Heures à conter, M.P. COUSTANS et D. GALAZZO, photographie de H.J. BELMONT, page 23
L’entreprise Lip doit être restructurée, l’outillage pillé par les Allemands lors de la débâcle doit être récupéré, la masse salariale spécialisée doit être reconstituée, en bref, Fred LIPMANN dispose d’un nom, d’une raison sociale et d’un vaste chantier dont il n’est plus que le seul maître d’oeuvre.
Portrait de Fred LIP dans un document officiel de l’entreprise non daté / Source : Fond privé HAOND Clément
Enfin aux commandes de l’affaire Lip, Frédéric ne perd pas de temps. Il mobilise le savoir-faire qu’il a acquis avant guerre à l’École d’Horlogerie de Besançon et sur les chaînes de montage Harley-Davidson aux Etats-Unis, pour relancer avec vigueur la manufacture familiale. Entourée de son équipe d’ingénieur, « le Fred » fait moderniser les méthodes de travail, l’outillage, fait fabriquer par ses services internes de nouvelles machines, plus précises, plus complexes, et va jusqu’à créer le premier véritable Service de Métrologie interne d’une usine en France (Science des mesures). Avant toute mise en production, des appareils conçus par Lip permettent de mesurer les ébats, les hauteurs, les distances, la planéité, les épaisseurs, au 1/10 000e près. Le Calibre R25 est donc le mouvement de l’ère de la Précision chez Lip.
C’est en 1948 seulement, 3 années après la fin de la guerre que le mouvement R25 est enfin commercialisé, en sein d’une gamme de montre très variée. Ces longues années nous renseignent sur l’effort qu’il a fallut fournir pour redresser l’entreprise, et l’adapter à un nouveau marché, celui de l’après guerre. Au delà des considérations techniques et technologiques, ce calibre symbolise également une avancée inédite de part le monde (en horlogerie), puisque Frédéric LIPMANN crée une vaste chaîne de montage semi-automatisée, une première en horlogerie que les plus importantes firmes Suisses tarderont à mettre en place. Cette première chaîne va permettre l’assemblage d’une partie du mouvement en quelques minutes, au sein d’une seule et unique pièce, offrant confort, gain de temps et qualité accrue à la production. Quelques années plus tard, le R25 sera le premier mouvement Lip à être entièrement assemblé sur une chaîne de montage automatisée, incarnation fameuse du dynamisme « du Fred ».
Publicité pour le mouvement Lip R25 de 1955 / Source : Fond privé HAOND Clément
La fortune d’un mouvement bien né
Destiné à une clientèle largement masculine, ce calibre de 25 mm de diamètre est immédiatement plébiscité pour sa précision, sa fiabilité et le grand soin apporté à l’habillage des montres qui le renferment. Succès commercial absolu, il s’agit du mouvement des Grandes Aventures qui jalonnent les années 1950, et qui vont consacrer sa réputation d’infaillibilité, qu’importe les conditions.
Techniquement remarquable, Lip va doter son mouvement d’innovations piochées dans son histoire, éprouvées par le temps. Ainsi, le R25 se pare d’une calotte en fer doux pare-poussières, à l’instar du T18, produit dès 1933. Cette dernière permet un encrassement largement diminué du mouvement par les fines particules de poussières en suspension dans l’air, mais également de faire face à une problématique assez récente, celle de l’influence du magnétisme sur une montre. En effet, le développement de l’électricité et des moyens de communication l’utilisant, crée un environnement émetteur de champs magnétiques plus ou moins puissants, qui viennent aimanter le spiral des montres par exemple. La calotte en fer doux ne sera plus systématiquement montée à partir du milieu des années 1950, les matériaux en usage pour les boîtiers étant suffisamment protecteurs. Ce cache en fer doux protège ainsi le mouvement en ne laissant pas passer ces champs magnétiques. Vissée sur le mouvement, elle prévient un éventuellement bricoleur d’un désormais célèbre :
NE ME TOUCHEZ PAS, PORTEZ MOI CHEZ VOTRE HORLOGER LIP DON’T TOUCHE ME, TAKE ME TO YOUR WATCHMAKER
Vue sur le pare-poussière vissé sur le mouvement Lip R25 (1948 – 1963) / Source : Service Histoire Lip
Plus spécifique, le balancier est de grand diamètre, un cliquet à grand recul permet un meilleur bandage du ressort de barillet, et la platine dispose d’un tube solidaire qui accueil la tige de remontoir, afin de garantir une meilleure étanchéité aux éléments extérieurs. L’échappement est à ancre (et donc de qualité), comme sur tous les mouvements que Lip va manufacturer. Dans l’esprit Lip, le R25 va subir, tout au long de sa carrière, des évolutions et innovations issues du développement inter de l’entreprise, ou de sous-traitants extérieurs.
Ainsi, le R25 adopte la seconde moitié de l’année 1950 plusieurs systèmes d’amortisseur de chocs sur l’axe de balancier, pour supprimer une grande partie des causes d’arrêts des montres d’avant guerre suite à un choc. L’Incabloc Suisse sera le plus massivement employé, mais pour certaines Lip Himalaya par exemple, la manufacture va utiliser tantôt l’Antichoc Kif type Trior ou le spectaculaire Antichoc 51 de fabrication Française.
Parallèlement à l’apparition d’un antichoc, et Lip étant en lien étroit avec la firme Américaine Elgin au sujet de l’Electronic, le R25 va recevoir, vraisemblablement dès 1951, un ressort de barillet « Incassable » selon la réclame de l’époque, réalisé dans un alliage nouveau et inaltérable, l’Elgiloy. De ce fait, certaines montres équipées de ce ressort porte cette mention habituellement sur le cadran, parfois sur le fond de boîtier, et au moins jusqu’en 1953 – 1954. A la suite d’un différent entre Fred LIP et le fabricant Français Augé Ressort (Besançon) qui se règle au milieu des années 1950, Lip emploiera après cette date le ressort de barillet incassable Augé, en définitive plus efficace.
Vue sur la mention Elgiloy, du nom de l’alliage utilisé pour le ressort de barillet qui équipe cette montre, invention de l’Américain Elgin Watch Co, vers 1954 / Source : Fond privé HAOND Clément
Enfin, au fil des mutations de la mode, le R25 adopte, vers 1952 – 1953 un affichage central des secondes, par un astucieux stratagème de roues de renvois commun à de nombreuses manufactures.
De performances chronométriques au sommet de l’Annapurna.
Montre Chronomètre Lip R25 ayant réussie les épreuves de l’Observatoire Chronométrique de Besançon, vers 1955 / Source : Service Histoire Lip
Dans la plus stricte tradition des mouvements et montres en étant équipées, Fred LIP et ses équipes vont toujours chercher à démontrer la qualité de la production de la Manufacture Lip. Tout d’abord, et dans un lien étroit avec la Grande Histoire de l’Horlogerie mondiale, seul un juge de paix impartial peut témoigner des qualités d’un mouvement lorsque celui-ci est proposé au public, l’un des 3 Observatoires Chronométriques de part le monde. C’est ainsi que le R25 est aisément certifié Chronomètre par l’Observatoire de Besançon, à l’instar de la quasi-totalité des mouvements manufacturés par Lip depuis 1899. Ceci prouve l’excellence de ces mouvements conventionnels mais particulièrement bien construits. Les épreuves chronométriques sont très sévères, et les écarts moyens de marche sur diverses positions sont extrêmement ténus en ce qui concerne un Chronomètre. Par exemple, la marche moyenne d’une montre, sur 24 heures, ne doit pas retarder de plus de 5 secondes et avancer de plus de 6 secondes, et cela sur 5 positions. Nombres de R25 seront confiés à l’Observatoire de Besançon, après un réglage minutieux au sein de l’atelier de chronométrie interne de la manufacture Lip. Livrées dans la majorité des cas en boîtier Or massif 18 carats, ces montres représentent le paroxysme de la qualité Lip.
Autre fait d’arme, le R25 sera le premier mouvement à vaincre un sommet de plus de 8000 mètres, au poignet de Maurice HERZOG et de toute l’expédition Française sur l’Annapurna (8091 mètres d’altitude), que Lip équipe comme fournisseur officiel. Des montres spécialement créées, sous la direction de Fred LIP, sont testées, poussées aux limites de ce que l’être-humain peut supporter. Devant résister à des températures caniculaires à l’approche de la montagne, puis glaciales au sommet, à l’humidité et à l’activité intense des alpinistes, le R25 marquera 14 heure, heure de la Victoire au sommet de l’Annapurna. Ainsi venait d’être vaincu le premier sommet de plus de 8000 mètres, par une montre Lip R25.
Regards vers l’Annapurna, couverture du Livre de Maurice HERZOG et de Marcel ICHAC édition ARTHAUD, 1951 / Source : Fond privé HAOND Clément
1948 – 1963, « la montre de classe internationale »
Avec ses 1600 points de contrôle, de la matière brute à la montre livrée à l’horloger revendeur Lip, le R25 connait une longue carrière. Remplacé dans sa version trotteuse centrale par le R23 après 1955, le R25 reste produit en version petite seconde à 6 heure. Ceci permet à Lip de rentabiliser sa création sur une très longue période, tout en proposant des montres traditionnelles à un prix plus intéressant que le R23, ce dernier étant plus novateur. À titre de comparaison, pour l’année 1958, une montre Lip R25 coûtait 11 300 francs, contre près de 16 000 francs pour un modèle semblable mais équipé du R23.
Fort d’un succès indéniable, renforcé par une production de plusieurs centaines de milliers de montres pourvues d’un calibre R25 sur la période, la production va lentement décliner au début des années 1960, pour cesser totalement après 1963. Le stock étant suffisant pour assurer le Service Après Vente, le maintient d’un calibre épais, plus encombrant que ses successeurs et dont la technologie et les matériaux souffraient du poids des années n’était plus opportun pour Lip.
Caractéristique par la forme de ses ponts, le R25 va permettre de relancer la manufacture Lip après les lourdes pertes engendrées par la guerre. Il symbolise également le décollage de Fred LIP, qui consacrera sa vie à l’entreprise Lip. Enfin, grâce au développement et au succès commercial du calibre R25, la manufacture Lip va pouvoir œuvrer en secret absolu à la réalisation de son mouvement Electronic à pile dès la fin des années 1940, et qui aboutira en 1958 avec le calibre R27 Electronic.
Fascicule présentant le nouveau Calibre R25 développé par Lip aux Horlogers-Bijoutiers, 1948 / Source : Fond privé HAOND Clément
Caractéristiques techniques :
Calibre 11 »’ 1/2 (25.6 mm) de dimension courante pour l’époque
Exécuté en 17 rubis, qui assurent une réduction drastique de l’usure des pivots et un fonctionnement plus efficient.
Balancier de diamètre important, pourvu de vis compensatrices
Spiral à courbe Breguet jusqu’au début des années 1950, puis spiral plat autocompensateur.
Absence d’amortisseur de choc jusqu’au début des années 1950, puis usage de plusieurs antichocs sur les pivots de l’axe de balancier : Incabloc, Antichoc 51, Kif Trior.
Petite seconde à 6 heure et trotteuse centrale indirecte
Anglages spécifiques des ponts et de la platine qui permet l’emploi de boîtes galbées et fines. Degré de finition exemplaire.
38 heures de réserve de marche, assurant une « sécurité certaine après 24 heures de fonctionnement ».
3 niveaux de finition et de réglage disponible : R25-2 (Chronomètre), R25-3 (Finition Lip) et R25-4 (Finition plus basique pour la sous marque SAM fabrication Lip).
L’histoire du Calibre Lip I.24 prend racine dans une période de forts troubles, puisque cette dernière accompagne la montée en puissance de tensions en Europe, et l’aboutissement de cela avec le déclenchement de la Seconde Guerre Mondiale, le 1er Septembre 1939. Ce mouvement de montres bracelets va marquer l’Histoire Industrielle de la France en guerre puis de la France Occupée, autant qu’il sublimera l’Histoire Horlogère par la période tourmentée que Lip va alors traverser.
Mouvement Lip I24 côté balancier, alliage léger type Aluminium, vers 1941 / Source : Fond privé HAOND Clément
Un conflit éclair et l’Occupation Allemande
La manufacture Lip ne va pas échapper à la déclaration de Guerre, qui bouleverse l’Europe en 1939. Première fabrique de montres de qualité en France, la société Lip, notamment par sa situation géographique (Besançon étant proche de l’Allemagne) va rapidement être touchée par l’invasion Allemande, puis par les restrictions imposées par l’Occupation de la zone nord de la France. Dès le 16 Juin 1940, la ville de Besançon est occupée par la Werhmacht (armées Allemandes), l‘usine de la Mouillère, renfermant le Département Horlogerie de Lip est alors réquisitionnée pour soutenir l’effort de guerre Allemand.
Ainsi, l’usine tentaculaire par son imbrication de bâtiments ne permet plus, après la signature de l’Armistice le 22 Juin 1940, de produire des montres signées Lip. Transformée en manufacture d’horloges de bord et autres compteurs et manomètres équipant la Luftwaffe, sous le joug des firmes Junghans, Fuchs et Isgus, Ernest LIPMANN va demeurer seul à Besançon pour surveiller l’usine qu’il administrait auparavant. L’artisans du développement du mouvement I.24 n’est autre que son second fils, Frédéric LIPMANN, qui quant à lui fuit l’avancée Allemande pour se réfugier dans l’usine familiale de production d’armement d’Issoudun, dans l’Indre. Il est également important de noter que cette usine, la SAPROLIP (Société pour l’Application des PROcédés LIP), fondée en 1938 après le rachat par Ernest de l’ancienne caserne militaire Jardon, est dirigée depuis sa création par Frédéric LIPMANN.
Rapidement, la fin des combats marquée par l’Armistice va tarir la production d’armement pour l’Armée Française, principale raison d’être de l’usine Lip d’Issoudun que de produire des têtes d’obus ou des minuteurs par exemple. Couplé à cela, plus aucune montre n’est fabriquée et commercialisée depuis l’usine principale de la Mouillère, à Besançon. Ingénieux et dynamique, fort d’une formation d’horloger suivie à l’Ecole Nationale d’Horlogerie de Besançon dans ses jeunes années, Frédéric LIPMANN va n’avoir de cesse que de poursuivre la fabrication de montres Lip, qu’importe le cours de la Guerre. Ainsi, avec les quelques ingénieurs, employés ou ouvriers qui vont l’accompagner dans sa fuite vers la zone-libre, Frédéric va prendre le pari de concevoir, produire et commercialiser un mouvement manufacturé par Lip, en temps de Guerre.
Le seul mouvement Français d’horlogerie conçu et manufacturé pendant la Seconde Guerre Mondiale
Dès l’année 1940, Frédéric met à l’œuvre ses équipes repliées à Issoudun pour tenter de créer un mouvement entièrement nouveau, devant faire face aux restrictions, aux préemptions des diverses armées sur les matériaux, au manque de machines et d’employés qualifiés pour assembler les montres. Imaginé et développé durant un peu moins d’une année, le Calibre I.24 (I pour Issoudun et 24, pour son diamètre en millimètres) est une véritable prouesse pour l’époque, lors de la commercialisation vers 1941.
Carte Postale de la Caserne Jardon à Issoudun, siège de l’usine SAPROLIP de 1938 à 1968 / Source : Fond privé
Tout d’abord, le I.24 est réalisé dans un matériau étonnant pour un mouvement de montre, puisque ce dernier est en aluminium, alliage léger et inoxydable. L’emploi d’un tel matériau, en lieu et place du laiton de qualité supérieur spécifiquement dédié à l’horlogerie, est assez déroutant. Ceci fait écho au fait que l’aluminium ne semble pas, vers 1939/1940, faire l’objet des restrictions pour « effort de guerre ». En somme, il fallait concevoir un mouvement avec ce que l’usine Lip pouvait trouver en quantité abondante, et disposant malgré tout d’une qualité satisfaisante.
L’acier est employé pour la fabrication de canons, de véhicules, de blindages, de fusils ou encore de bâtiments par les tiges d’acier nécessaires aux constructions en béton armé. Ainsi, son usage semble délicat dans la constitution du mouvement, d’autant plus qu’il faut également refabriquer en acier certaines machines outils essentielles pour Lip. Seuls les organes de la partie réglante (Balancier, Spiral), le système de mise à l’heure et quelques pièces primordiales du remontage sont conçues dans des aciers très techniques, parfois bleuis pour leur conférer une plus grande solidité.
Rue de Belfort (Besançon) après un bombardement, Seconde Guerre Mondiale / Source : Fond photographique de la Ville de Besançon
Le laiton subit des restrictions semblables aux métaux ferreux, car ce dernier est issu de l’alliage du zinc et du cuivre. Le cuivre est massivement employé dans la production de fils de cuivre, indispensable à l’établissement de lignes de communications vitales au front. Quant au zinc, il sert prioritairement à la fabrication de munitions et à la galvanisation de pièces de défense, empêchant l’oxydation du fil de fer barbelé par exemple. L’emploi de l’aluminium semble être, dans la seconde moitié de l’année 1940, le recours le plus probant dans la construction d’un mouvement de montre par Lip.
L’aboutissement
Pendant environ 8 mois, une partie de l’usine SAPROLIP d’Issoudun est transformée pour rendre possible cette idée tenace qui anime Frédéric LIPMANN, afin de maintenir à la connaissance de tous la marque Lip, mais également pour que celle-ci survive à la guerre.
À la faveur des lois d’exception édictées en zone occupée, une direction complice de l’occupant fut installée à Besançon. […] ce qui explique la disparition totale des montres Lip du marché horloger (Source : La France Horlogère, message de Frédéric LIPMANN, Février 1945, circulaire adressé aux horlogers).
Nous pouvons estimer que la commercialisation va débuter à la fin de l’année 1940, temps nécessaire pour produire des mouvements, ainsi que les composants d’habillage (cadrans, aiguilles, boîtiers, couronnes, etc …), mais également pour restructurer le réseau de revendeurs Lip, bouleversé par la guerre. Fin 1940 donc, le mouvement I.24 commence à être distribué chez les horlogers de la zone-libre, dans des livrées d’une grande simplicité, autours de boîtiers tonneau notamment à ouverture ronde. Faites de métal chromé et parfois d’aluminium, ces premières Lip « de guerre » marqueront l’Histoire, puisqu’il s’agit des seules montres entièrement manufacturées en France durant la Seconde Guerre Mondiale, une prouesse pour Lip.
Montre bracelet Lip équipée du mouvement I.24, boîtier en laiton chromé, fond acier inoxydable, boîtier tonneau à ouverture ronde, vers 1940-1941 / Source : Fond privé HAOND Clément
Mais l’avancement des troupes Allemandes, en cette fin d’année 1940 précipite une nouvelle fois la fuite rocambolesque de Frédéric, toujours suivis par certains de ses employés, et cette fois-ci, par l’outillage et les machines permettant de concevoir le mouvement I.24, fraîchement distribué. La colonne d’employés de l’ancienne usine Lip de la Mouillère met le cap sur Valence (Drôme), ville suffisamment éloignée de la zone-occupée, et dans laquelle « Fred » (comme on l’appel dans les couloirs de l’usine) va retrouver un vieux camarade, Marcel BARBU, dont la société BOIMONDAU fabrique à Valence des boîtiers de montres.
Un Bisontin en terres Drômoises
C’est officiellement le 15 Mars 1941 que l’entreprise « itinérante » Lip s’établit à Valence, dans la Drôme. Après avoir achetée l’ancienne cartoucherie aux portes de la ville (au cœur du quartier de Chony), Fred LIPMANN installe son groupe d’employés, en transformant les locaux. Emplacement central par excellence, « le Fred » peut ainsi traiter avec ses fournisseurs plus facilement, ces derniers s’étant installés en Savoie, Haute-Savoie et dans la Drôme. Orchestrée par Frédéric LIPMANN, cette installation tumultueuse prend rapidement forme, et les premières montres sortent des ateliers d’assemblage quelques semaines plus tard, à la joie des H.B.J.O. de la zone-libre.
Cette incroyable épopée, faites d’attaques du convoi « Lip » par l’aviation, de manque de ravitaillement, tant en nourriture qu’en carburant, va révéler le tempérament de dirigeant aux décisions fortes et intransigeantes d’un homme, Frédéric LIPMANN. Son frère Lionel et son cousin James ont fuit aux Etats-Unis, et son père, Ernest, illustre membre de la dynastie LIPMANN est en proie aux services de la Gestapo et de l’administration de l’Occupant à Besançon. Frédéric demeure être le seul LIPMANN encore en capacité de produire des montres Lip, et d’assurer le conservation de l’entreprise familiale, fondée en 1867. Produit entre la fin d’année 1940 et Novembre 1942 (date de l’occupation totale de la France par les Allemands), le calibre I.24 symbolise les capacités techniques et de direction de Fred LIPMANN, et son ascension fulgurante à la tête de l’entreprise Lip.
Très apprécié des horlogers de la zone-libre, les montres équipées du calibre I.24 vont plaire car elles sont à la mode civile, qu’elles sont neuves et aisément réparables car les fournitures sont fabriquées et enfin, car elles ne sont pas issues de stock de guerre invendus.
Cette montre, bien que d’une qualité inférieure à la Lip Besançon, fut une belle réussite Lip, si l’on veut bien tenir compte des conditions exceptionnelles dans lesquelles elle fut réalisées : manque d’outillage, de locaux, de personnel qualifié pour le remontage. La fabrication fut exécutée dans une usine spéciale édifiée à Valence. Les horlogers de l’ex zone-libre, bien que critiquant quelque fois sa conception, l’appréciaient et ne cessaient d’en demander (Source : La France Horlogère, message de Frédéric LIPMANN, Février 1945, circulaire adressé aux horlogers).
La grande variété de formes de boîtiers, de cadrans ou encore d’aiguilles ne nous permet pas de livrer un index complet des modèles réalisés à l’époque par la manufacture Lip. Une référence peut toutefois retenir notre attention, la Lip Nautic, une montre innovante typique des prérogatives militaires. À cadran noir ou blanc, la Lip Nautic dispose d’indexs et d’aiguilles au radium, pâte faiblement radioactive luminescente dans l’obscurité. Le verre est armé et incassable afin de parfaire l’étanchéité de l’ensemble, le boîtier est soit en aluminium, en laiton chromé ou en acier inoxydable. Proposée dès 1937 avec un mouvement d’origine suisse (FHF), la Nautic va se parer du calibre I.24 durant la guerre, puisque seul ce dernier et quelques mouvements T18 continus à être fabriqués par Lip.
En tout état de cause, le calibre I.24 reflète, pour un observateur avisé, toutes les difficultés inhérentes à la fabrication d’un mouvement inédit au cœur de la Seconde Guerre Mondiale. De plus, ce mouvement sublime également les astuces, l’ensemble des ingénieux stratagèmes que Lip, par le volontarisme de son patron « de circonstance », qui sont alors mises en place ici.
L’Occupation totale de la France après Novembre 1942 va stopper toutes les activités de la manufacture Lip. Frédéric LIPMANN, comme il aimait le rappeler avec une once d’espièglerie, ayant eu « l’honneur d’être mis sur la liste noire des ennemis du grand Reich » va rejoindre l’actif maquis du Vercors, pour échapper à la déportation. Sans direction et muselés par l’administration Allemande, les Lip repliés à Valence vont se disperser, et la manufacture ne reprendra pied qu’après 1944.
Une technologie inédite, pour un mouvement historique
Techniquement parlant, le Calibre I.24 est d’une conception simple, mais très robuste. Malgré l’urgence et les difficultés de sa mise en production, ce mouvement est très bien pensé, tant du point de vue de son aisance de construction que de sa maintenance par les horlogers indépendants. D’un diamètre conventionnel pour l’époque de 10 »’ 1/2, soit 23.3 mm environ, le I.24 dispose d’une architecture commune aux mouvements dits économiques qui envahiront les centres commerciaux et les bureaux de tabacs dans les années 1970. Ainsi, un minimum de pièces sont nécessaires pour assembler un mouvement complet. Le balancier compensé monométallique s’inspire de la technologie du mouvement Lip T18, les ponts, le rochet ou encore la roue de couronne adoptent une finition strictement fonctionnelle, aucun marquage ou aucune décoration n’orne le Calibre I.24. Toutefois, malgré cette présentation austère, le mouvement est empierré (15 rubis), synonyme d’excellente qualité et de grande fiabilité, l’échappement est à ancre et il est livré avec l’affichage des secondes par un sous-cadran.
Le I.24 en quelques point techniques
Vue côté balancier d’un Calibre I.24 vers 1940 / Source : Fond privé HAOND Clément
Seul mouvement entièrement manufacturé en zone-libre entre 1940 et Novembre 1942, et destiné au marché civil
Diamètre : 10 »’ 1/2 soit 23.3 mm (arrondi à 24 mm, ce qui lui confère son nom)
Épaisseur : 3.94 mm
Exécuté en 15 rubis synthétiques, qui limitent la friction et l’usure des pivots
Échappement à ancre de bonne qualité
Système de remontage simplifié avec un cliquet embouti qui tient avec le pont de barillet qui le recouvre, et dont le ressort est fixé sur le côté du mouvement (lame d’acier bleui).
Pont unique pour les rouages et le système de remontage, limitant l’investissement en usinage, tout en étant moins aisé à entretenir pour les H.B.J.O. Ci-dessous, une comparaison entre le mouvement Lip I.24 à gauche (1940) et le mouvement Lip R25 à droite (1948)
Petite seconde à 6 heures
Mouvement entièrement en aluminium
Conception sous forme d’une juxtaposition de platines, via une architecture hybride sur piliers et goupilles dans l’esprit d’un empilement d’étages sur une platine fine et plate, ne nécessitant qu’un minimum de décolletage.
En guise de conclusion …
Le mouvement I.24 connaîtra une courte carrière, puisqu’il ne sera commercialisé qu’entre la toute fin d’année 1940 et Novembre 1942. Les fournitures seront vraisemblablement proposées jusqu’en 1947-1948, date à laquelle le mouvement Lip R25 (1948 – 1963), symbole de la renaissance de la marque voit le jour. Brièvement remplacé par la Calibre 26 manufacturé par Lip dès 1918, le I.24 se cantonnera à un rôle de substitut ingénieux durant la période de guerre. Alors que la Victoire des Alliés se profile fin 1944, Frédéric LIPMANN regagne Besançon, libérée le 10 Septembre de cette même année, chasse les derniers occupants de l’usine de la Mouillère et se met au travail, afin de mettre en production le mouvement R25 sous peu. L’Histoire retiendra le décès en 1943 du père de Fred LIPMANN, laissant à ce dernier le rôle de Président de Lip, et celui de reconstructeur d’une des plus belles aventures horlogères de France.
Sources :
M-P. COUSTANS et D. GALAZZO, Lip des heures à conter, Édition Libris, 2000 et nouvelle Édition Glénat, Grenoble, 2017
Fond de documentation privé sur la Manufacture Lip, HAOND Clément
Fond de la série 5Z des Archives Municipales de la Ville de Besançon
Fond d’archives photographiques de la Ville de Besançon
www.vivreauxchaprais.canalblog.com / Fond d’archives sur la Seconde Guerre Mondiale à Besançon
1914 – 1918 : L’affaire LIPMANN au cœur de la Première Guerre Mondiale
Comme nombre de fabricants d’horlogerie de l’époque, Français mais également Suisses ou Allemands, la Guerre va être une épreuve, un juge de « paix » évaluant les entreprises suffisamment puissantes pour résister, voir briller durant le conflit, et les firmes brisées par les restrictions imposées, par le manque ou l’impossibilité d’investissement, ou simplement parce qu’elles n’ont pu s’adapter aux virages technologiques successifs imposés par l’effort de Guerre.
Par la grande notoriété acquise entre 1867 et les premières années du XXe siècle, la manufacture d’Horlogerie LIPMANN Frères va être en bonne place, à l’orée du déclenchement du premier conflit intercontinental, pour triompher d’un affrontement inédit.
Usine de la Mouillère en en-tête d’une facture Lip. Source : Collection privée HAOND Clément
Administrée alors par la seconde génération de LIPMANN, Ernest et Camille (et dans une moindre mesure la seule fille de la fratrie, Jenny), la Société Anonyme LIPMANN Frères se développe, forte d’une usine de production très récente dans le quartier de la Mouillère (Besançon, 1903), dont elle prendra le nom. Par la fabrication du premier calibre de montre de poche de l’histoire de Lip, le 39 AC (17 »’ soit 38.3 mm) en 1910, et la mise en place d’un réseau de distributeurs nationaux couplés à une intense campagne publicitaire, la marque Lip s’impose en France comme leader incontestable de l’horlogerie de qualité, que ce soit en montre de poche ou en montre bracelet.
Ainsi, lorsque l’Archiduc François-Ferdinand d’Autriche (1863 – 1914) est assassiné le 28 Juin 1914 à Sarajevo, un mécanisme d’alliances met le feu aux poudres, et embrase l’Europe, puis assez rapidement, par extension coloniale, le monde. L’empire Russe, la France et la Grande-Bretagne (Alliés) sont ainsi confrontés aux forces des Empires Centraux, dont nous trouvons en tête l’Empire Allemand, l’Empire Austro-Hongrois et l’Empire Ottoman.
Produire, y compris en temps de Guerre (1914 – 1918)
La manufacture LIPMANN se retrouve ainsi, au cours de la première moitié du XXe siècle, au cœur d’un conflit majeur, duquel elle doit se sublimer. Le déroulement de la Guerre va être « favorable » à la marque Lip, qui va, par son implication dans l’approvisionnement de l’Armée et de la Marine Française, et dans la livraison de montres pour le marché civile, tirer une notoriété encore rehaussée à l’issue de la Première Guerre Mondiale.
Réclame pour « LA MONTRE DE LA VICTOIRE », la montre Lip datée de 1917 Source : Didier DAENINCKX, La pub est déclarée ! 1914-1918 , éditions Hoëbeke, Paris, 2013
La marque Lip va orner les tableaux de bord d’une aviation Alliées balbutiante, mais également les montres de poche des Artilleurs Français ou encore, et c’est une nouveauté de taille, les poignets d’officiers puis de soldats, avec la généralisation du port de la montre bracelet, pour une notion essentiellement pratique et fonctionnaliste.
Comme nous l’enseigne l’étude de la publicité Lip, qui se poursuit y compris durant la Guerre, la production ne cesse pas à l’usine de la Mouillère. 200 salariés, dont 55 horlogers venus de Suisse participent à l’effort de Guerre dès 1914. Ils produisent alors majoritairement des dispositifs d’horlogerie pour l’Armée Française et les Armées Alliées (des montres diverses, des chronomètres, des télémètres pour l’artillerie), mais également des têtes d’obus, des déclencheurs de mines et d’autres fournitures à usage uniquement militaire. La production s’organise différemment, en marquant les débuts de la collaboration entre les différents services de l’Armée et Lip. Ainsi, l’avancement technologique dont fait état l’entreprise Bisontine en 1914, et qui évolue durant la guerre, et sans commune mesure face au terne dynamisme de l’industrie de l’armement d’alors.
« Grâce à Lip, l’armée Française se sert progressivement de pièces d’artillerie modernes ressemblant à celles allemandes équipées par Junghans. [Au début de la Première Guerre Mondiale], les premiers obus Français sont encore équipés de mèches à poudre quasiment identiques à celles utilisées durant les batailles Napoléoniennes. » (in M-P. COUSTANS et D. GALAZZO, Lip, des heures à conter, Glénat, Grenoble, 2017, page 16
Mais le véritable tour de force d’Ernest LIPMANN sera de proposer, fort d’une expérience acquise depuis le début du XXe siècle avec le calibre 20.3, premier mouvement Lip, une gamme de montres bracelets. Durant la Guerre, Lip va poursuivre la fabrication et la vente, aux horlogers des zones Françaises épargnées par les combats, de montres estampillées de la marque aux 3 lettres. La collection sera vraisemblablement réduite, centrée autour de montres utilitaires, que nous nommerons à posteriori « Montres de Poilus », en référence à leurs porteurs, valeureux soldats Français mobilisés pour défendre leur patrie.
Publicité Lip pour « le nouveau Bracelet-Montre LIP » parue dans l’Illustration, 1916 Source : HAOND Clément, collection privée
Cette expérience va s’accompagner de diverses innovations et améliorations. Les mouvements, devant alors subir des conditions d’emplois très rudes au front sont renforcés, leur précision est accrue par l’usage de balanciers bimétalliques compensés, moins sensibles aux variations de températures. Les verres sont plus solides, et peuvent, pour les montres militaires, recevoir une grille de protection. Aux traditionnels boîtiers en laiton chromé, ou nickel, s’ajoute des boîtiers en argentan (mélange de nickel et de cuivre ou zinc) et des boîtes en acier inoxydable, matériau extrêmement résistant au choc et à la corrosion, mais d’une grande complexité à usiner (l’outillage nécessaire doit être renforcé).
Montre Lip Type Courant des années 1910, du type « Montre-bracelet de Poilu » en usage durant la Première Guerre Mondiale, option aiguilles luminescentes. Source : Collection privée, HAOND Clément
Les cadrans deviennent en option radioluminescent grâce à une découverte de 1898 des époux Curie, le radium (88 Ra). Par un procédé industriel, ce métal radioactif est combiné à du sulfure de zinc afin de produire du sel de radium, appliqué ensuite à l’instar d’une peinture tantôt sur les aiguilles, sur les chiffres en reprenant leurs formes ou par l’intermédiaire de points marquants les heures. Ainsi, l’heure est lisible dans l’obscurité, mais également radioactive (cette matière sera utilisée jusqu’aux années 1950 – 1960, remplacée ensuite par le tritium). La S.A. LIPMANN Frères va employer cette innovation dès 1904, en la généralisant pendant et après la Guerre.
L’heure de la Victoire : 1918
Survivant avec panache à la Guerre, la manufacture LIPMANN devient une des entreprises horlogères les plus puissantes et sérieuses des années 1920. Forts de la Victoire des Armées Alliées (dont l’Armée Française), les Frères LIPMANN, Ernest et Camille, se retrouvent officiellement à la tête de l’entreprise fondée par leur père, Emmanuel, mort en 1913. Respectivement Président de LIP (Ernest, Technique) et Directeur (Camille, Financier et Administratif), la Guerre va préparer l’avènement d’une nouvelle génération de LIPMANN, ainsi que l’affirmation de la ferme résolution d’orienter la Société Anonyme LIPMANN Frères vers un avenir manufacturier.
En abaissant progressivement la part de pièces, fournitures, mouvements et machines importés, l’entreprise Lip va promouvoir, durant l’ensemble de l’entre-deux-guerres, la production interne de l’ensemble des éléments nécessaires à la fabrication de montres « LIP », en passant de la conception des machines-outils à celle des mouvements, boîtiers ou cadrans par exemple, ou encore, en étudiant attentivement les méthodes de production, afin de les rendre plus rigoureuses, dans un soucis toujours plus poussé de qualité et de productivité. Au delà de cela, nous l’avons vu, la Manufacture LIPMANN s’inscrit dans son époque, s’adaptant aux demandes tant civiles que militaires, en démontrant ainsi la réactivité de son savoir-faire. Ernest LIPMANN, alors Président de l’affaire, est dans la bonne voie pour imposer sa vision, celle de créer les meilleures montres de France. La fin de la Grande Guerre est le symbole de cette ardeur, avec le développement et la mise en production, dès 1918, du Calibre 26 mécanique à remontage manuel. Ce mouvement de construction moderne, conçu par C. JACOT et A. DONAT, les deux ingénieurs majeurs du laboratoire de recherche Lip, rue des Chalets, marque l’incroyable développement de l’entreprise LIP. La manufacture Bisontine compte, au sortir de la Guerre, une centaine de salariés, dont des horlogers, des tourneurs, des ingénieurs, etc … gage des compétences internes de l’entreprise mises en place durant les années de conflit.
Sources :
COUSTANS Marie-Pia et GALAZZO Daniel, Lip, des heures à conter, Édition Glénat, Grenoble, 2017
MAUERHAN Joëlle, Horlogers et Horlogères à Besançon, 1793-1908, un passé prêt à revivre, Édition L’Harmattan, 2018
Fond de documentation privé sur la Manufacture Lip, HAOND Clément
www.museedelaguerre.ca (pour l’Histoire de la Première Guerre Mondiale)
www.defense.gouv.fr rubrique Le Saviez-Vous? /Quand la montre-bracelet détrôna la montre à gousset…
Portrait officiel d’Ernest LIPMANN vers 1920 / Source : Bulletin Spécial Lip pour la construction de l’usine de Palente, Mars 1961, fond privé HAOND Clément
Second représentant de la famille LIPMANN en tant que personnage éminent de la vie horlogère de Besançon, Ernest David LIPMANN va prendre la succession, avec l’aide partielle de son frère, Camille et de sa sœur, Jenny, du Comptoir LIPMANN, alors encore domicilié au 14 Grande Rue (Besançon).
Artisan majeur de la dynamique expansionniste de celle qui ne s’appelle pas encore Lip, Ernest reste à jamais lié au développement de la première véritable usine de production de la marque aux 3 lettres, en faisant passer au début des années 1900 l’aventure horlogère de son père au stade d’industrie avant-gardiste.
Né le 2 Août 1869 au 30 rue d’Arènes à Besançon, en plein cœur de la nuit (00h30), Ernest David LIPMANN baigne immédiatement dans une atmosphère d’émulation horlogère, tant du côté paternel que du côté de sa mère.
Son père, Emmanuel LIPMANN, fondateur de ce qui n’est encore, en cette fin de décennie 1860, qu’un modeste Atelier de fabrication horlogère, n’est alors âgé que de 24 ans. Sa mère, Caroline Geismar, également née en 1844, apporte une caution supplémentaire à cette atmosphère, puisque sa famille est une des plus dynamiques dans le milieu de la conception de montres de qualité à Besançon. Pour preuve, l’état civil du tout jeune Ernest nous renseigne aisément sur le caractère « horloger » de sa naissance, puisque cette dernière fut reconnue en présence de :
Gabriel GEISMAR, monteur de boîtes [de montres] âgé de 27 ans et demeurant à Besançon (proche d’Emmanuel LIPMANN et frère de Caroline GEISMAR)
et d’Isidore SEHNERTZ, horloger âgé de 21 ans et demeurant également à Besançon (certainement un ami ou un employé d’Emmanuel LIPMANN)
Extrait du registre des naissances pour l’année 1869 à Besançon, naissance d’Ernest David LIPMANN le 2 Août 1869 Source : Archives Municipales numérisées de Besançon, memoirevive.besancon.fr, Registre des Naissances, 1869, cote 1E773, page 245, 727e naissance
Au crépuscule du XIXe siècle, Ernest va prendre de plus en plus d’importance dans la gestion de la fabrique de montres LIPMANN, en atteste la transformation du Comptoir LIPMANN, entité créée en 1867, en S.A. d’Horlogerie LIPMANN Frères en 1893, puisque Camille, né en 1872 se joint à l’affaire. L’ascension vers la tête de l’entreprise sera lente mais inexorable, le savoir-faire technique et économique d’Ernest œuvrant à la dynamique exceptionnelle de la firme LIP entre la fin du XIXe siècle et la Première Guerre Mondiale, le rôle de gestionnaire financier et administratif de Camille faisant le reste
Le chronomètre LIP à l’assaut de la France
La fin du XIXe siècle marque pour les montres frappées du logo LIP la fin de l’établissage, et les débuts de l’aventure manufacturière de l’entreprise Lip. Emmanuel LIPMANN (père) garde un regard averti sur la gestion de son entreprise, dont il semble, d’après les archives en notre possession, que la succession véritable n’intervienne qu’après la Première Guerre Mondiale. Toutefois, le rythme de l’entreprise s’accélère à partir de 1900, la mise en production du premier calibre entièrement manufacturé par LIP en 1899, le mouvement 20.3, probablement impulsé par le dynamisme et la jeunesse des 3 enfants d’Emmanuel renforçant cela.
Ernest (fils aîné) va dans ses jeunes années préparer Saint-Cyr, école militaire de prestige dispensant une formation intellectuelle loin des considérations techniques de la conception horlogère. Ceci va lui conférer, une fois au sommet de l’entreprise, une méthode de gestion innovante, en rupture absolue avec le traditionalisme horloger de l’époque. Développant la publicité, et faisant œuvre, avant l’heure, d’un « marketing » féroce, Ernest LIPMANN, sous le joue de son Père, développe la production de montres soignées LIP, à tel point qu’il faut alors songer à déménager l’usine de production de l’étroit atelier du 14 de la Grande Rue. Principal artisan de cette évolution majeure, ou agissant officieux dans l’ombre de son Père, Ernest est toutefois la figure du passage à l’ère manufacturière de l’affaire LIPMANN.
4e de couverture d’un catalogue de fournitures Lip-Sam représentant l’usine de production Lip du quartier de la Mouillère, vers 1935 / Vue sur un atelier de l’usine Lip de la Mouillère de contrôle ou d’assemblage, photographie du Service Interne de photographie LIP, vers 1940. Sources : fond privé HAOND Clément
Dans la première moitié de l’année 1903, une usine flambant neuve voit le jour, au cœur du quartier de la Mouillère (au 14 rue des Chalets), en périphérie immédiate de l’hyper-centre de Besançon. Rapidement, la conception et la fabrication de montres de poche et de quelques montres-bracelets augmentent, parallèlement à la grande fiabilité et à la construction exemplaire des calibres qui les équipent. Sous l’impulsion des deux générations de LIPMANN, des mécaniciens, des horlogers, des ingénieurs sont embauchés, portant l’effectif à 80 salariés (contre une vingtaine en 1893). La grande qualité qu’atteint ainsi la production sortant de l’usine de la Mouillère est saluée par plusieurs certifications, dont la plus prestigieuse d’alors, celle de Chronomètre, délivré par l’Observatoire National de Besançon, l’un des 3 organismes dans le monde pouvant certifier le degrés de précision d’une montre. Cette distinction s’appose aussi bien sur des montres de gousset, plates, demie-plates ou plus épaisses que sur des montres bracelets dont le diamètre est inférieur à 22 mm.
Pendulette publicitaire « Montre Lip » des années 1920, faisant la promotion des eaux thermales dans les officines / Source : Fond privé HAOND Clément
Ernest LIPMANN s’impose à la tête de l’entreprise
En réalité, il faut attendre la Première Guerre Mondiale pour qu’Ernest LIPMANN, et plus minoritairement son frère et sa sœur, administrent l’ambitieuse entreprise. À la mort du patriarche en 1913 (Emmanuel LIPMANN), la seconde génération de LIPMANN n’a plus de barrières pour s’établir à la tête de l’entreprise, et imposer sa vision du développement économique et industriel que doit suivre la manufacture LIP. La Guerre, déclarée en 1914, va marquer, un temps, un coup d’arrêt à l’expansionnisme d’Ernest LIPMANN, dont la société qu’il dirige compte pas moins de 150 salariés, dont environ 55 venus de Suisses. Participant ardemment à l’Effort de Guerre Français, la Manufacture LIP va alors gagner ses lettres de noblesses au cours d’un conflit long, destructeur et traumatisant. Nous pouvons ainsi retrouver la marque LIP sur des cadrans de montres d’aviation après 1917 environ, mais également aux mains des compagnies d’artilleries qui en usent pour régler leur tirs, ou encore, et c’est une nouveauté qui va accélérer la vigueur de LIP au sortir de la Guerre, aux poignets de soldats et officiers de l’Armée Française. La Grande Guerre sera ainsi un tremplin aux activités de la manufacture LIP, dont la réputation d’infaillibilité est encore renforcée.
La Guerre marque la consécration d’Ernest LIPMANN, puisque ce dernier devient Président de la Société Anonyme LIPMANN Frères en 1918, son frère Camille LIPMANN prend quant à lui le rôle de Directeur. Dispensant leur temps entre l’usine de production de Besançon et les bureaux Parisiens du Boulevard Sébastopol, l’histoire s’accélère pour la société LIP. Dès 1918, Ernest fait concevoir par son ingénieur en chef Camille JACOT le calibre à ancre LIP 26, mouvement rond moderne et perfectionné qui sera en usage jusqu’à la fin des années 1940. S’en suit une fièvre manufacturière, rompant largement avec les décennies d’établissage du XIXe siècle. 1920 marque la naissance du calibre 43AC (19 »’ / 42.8 mm), 1921 celle de deux mouvements, le 39 et le 40 (respectivement 17 »’ / 38.3 mm et 18 »’ / 40.1 mm), 1922 fait état de la création du calibre 43 (19 »’ / 42.8 mm) et 1925 marque la mise en production du calibre 41 (18 »’ / 40.1 mm). En une génération, Ernest va être le père près de 10 mouvements (ou variantes) de montres de poche, diminuant drastiquement l’importation de mouvements étrangers, provenant notamment de Suisse.
Le Père du mouvement T18
Mais ce que l’histoire horlogère retiendra de l’oeuvre magistrale d’Ernest LIPMANN, c’est la conception par l’entreprise qu’il administre d’un mouvement révolutionnaire de montre bracelet, le T18, en 1933.
Plan technique du calibre Lip T18 (1933 – 1950) / Source : Service Histoire Lip
Il s’agit là d’un mouvement extraordinaire par son faible encombrement, seulement 18 mm de large pour 28.5 mm de long (7 »’ 3/4 x 12 »’ 1/5), sa conception intelligente fruit de l’ingénieur maison André DONAT permet une grande variété d’habillages. Mouvement d’école, puisque nombre d’Écoles d’Horlogerie formeront leurs élèves sur le mouvement T18 durant les années 1940 et 1950, c’est également un mouvement inscrit dans son temps, peut-être même en avance par sa conception réfléchie, dont l’armée va se doter pour équiper certains de ses officiers, en souvenir de la longue tradition de qualité qui unie LIP à l’Armée Française.
L’innovation se poursuit au sein de la manufacture LIP, avec la commercialisation au milieu des années 1930 de pendules électriques dont les brevets sont établis en collaboration avec la firme Suédoise ERICSSON. Ernest LIPMANN déposera, en son nom, plusieurs brevets relatifs à l’usage de l’électricité dans l’horlogerie, assurant stabilité des réglages et des performances, et absence de remontage quotidien. Jusqu’à la Seconde Guerre Mondiale, Ernest ne cessera d’innover, de pousser plus loin le degré de qualité, tant dans la conception, la fabrication, que dans le système de vente ou de garantie.
Enfant terrible du patronat horloger Français, Ernest LIPMANN va bousculer ce milieu, au sein duquel il se heurte au conservatisme de l’ancienne génération. Réactionnaire et en rupture, Ernest va, au cours des années 1910, 1920 et 1930, attaquer frontalement des notables de l’horlogerie, à l’instar du procès que ce dernier perd face à Auguste RODANET, Parisien lié aux activités de la maison Genevoise Patek Philippe et fondateur de l’École d’horlogerie de Paris, au sujet d’un affiche Lip placardée dans les rues moquant ouvertement RODANET, tout en faisant ainsi de la réclame pour la marque LIP.
1930 – 1943 : La consolidation d’une affaire horlogère Française puissante
Dans une réécriture quasi parfaite de l’Histoire, les années 1930 symbolisent l’avènement d’une nouvelle génération, la troisième, impulsée par Ernest et son frère Camille. Leurs enfants respectifs intègrent tour à tour l’entreprise à des postes clés, dans l’optique de pérenniser l’entreprise familiale, qui fête alors ses 60 années d’existence. Lionel (1902 – 1990) et Frédéric (Fred, 1905 – 1996), fils d’Ernest, se joignent ainsi à l’entreprise, tout comme James LIPMANN, fils de Camille. Le plus célèbre, et celui que retiendra l’Histoire est le second fils d’Ernest, Frédéric, plus connu sous son nom d’après Guerre, Fred LIP.
Digne successeur de son Père, Frédéric s’imposera à la tête de l’entreprise dès 1945, après avoir rejoint l’usine de la Mouillère au poste capital de Directeur Technique en 1936.
Pour en revenir à l’avènement d’Ernest LIPMANN comme puissant industriel Français et honorable passeur de réussite entrepreneuriale, notons simplement qu’Ernest sera fait Chevalier de la Légion d’Honneur au titre de l’enseignement technique le 16 Juillet 1922, puis élevé au grade de Commandeur en 1936, ce qui marque l’accomplissement d’une carrière dédiée au développement de l’industrie.
L’éclatement de la Seconde Guerre Mondiale témoigne de la puissance d’Ernest LIPMANN et de l’omnipotence de l’entreprise qu’il dirige. Son frère Camille étant en délicatesse financière dans les années 1930, va se retirer de la gestion de l’entreprise. Ernest LIPMANN est ainsi seul aux commandes de Lip. Alors que Frédéric LIPMANN organise la poursuite de la production, tant pour fournir l’Armée Française en obus et appareillages divers que pour tenter d’alimenter le réseau HBJO en montres LIP dans l’usine d’Issoudun (Indre) jusqu’en 1941 puis dans l’usine de Valence (Drôme) entre 1941 et Novembre 1942, Ernest LIPMANN reste à Besançon pour surveiller l’usine de la Mouillère, de laquelle il est progressivement écartée par les forces d’Occupation. Ernest et sa femme, Elise LIPMANN, resteront au chevet de l’usine de la rue des Chalets jusqu’en 1943.
Évacuation et pillage de l’usine de la Mouillère par l’armée Allemande en 1944 / Source : M.P. COUSTANS et D. GALAZZO, Lip des heures à conter, Glénat, page 23
Après l’intensification des contrôles de l’Occupant Allemand à Besançon, Ernest et sa femme fuient la cité Bisontine. Ils sont arrêtés à Aix-les-Bains le 5 Novembre 1943, puis conduits au camp d’internement de Drancy (Île-de-France) en qualité de prisonniers d’obédience Judaïque et d’industriel notoire Français. Le 20 Novembre, ils sont transférés par le Convoi N°62 au camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau. Séparés, Ernest (matricule N°7601) et Elisa LIPMANN (matricule N°7602) meurent en déportation le 27 Novembre 1943. Frédéric leur survivra en se réfugiant dans le Vercors, et c’est ce dernier qui poursuivra l’oeuvre de son Père en donnant à l’entreprise LIP un essor nouveau, en 1945.
Profil en Une du Journal politique Le Constitutionnel du Samedi 28 Avril 1906 d’Ernest LIPMANN
Une du Journal politique Le Constitutionnel du Samedi 28 Avril 1906
Journal d’informations politiques fondé par Joseph FOUCHÉ en 1814, ce quotidien de référence, grâce à la richesse de ses informations et à l’acuité de ses analyses, livre un portrait d’Ernest LIPMANN édifiant sur la popularité de ce dernier :
ERNEST LIPMANN
Les gens bien informés connaissent sympathiquement le nom entier : mais tout le public en sait et en répète avec admiration la première syllabe. C’est cette première syllabe en effet qui estampille les fameux chronomètres dont la suprématie s’est si vite affirmée parmi nous. Les parisiens avertis n’ignorent pas la physionomie d’Ernest Lipmann. De stature moyenne, dans toute la force de l’âge, un front vaste, des yeux d’observation réfléchie, tout un visage d’énergie qu’adoucit la barbe, il donne l’impression d’une déductivité rapide et d’une volonté qui ne veut qu’à bon escient. Il est à la tête de la célèbre maison Lipmann frères. On sait l’heureuse fortune de sa création le chronomètre Lip. [………] Ernest Lipmann s’est entièrement consacré à son œuvre. Au contraire de beaucoup qui, l’effort donné, attendent le résultat prévu, lui, ne cesse pas l’effort quelle que soit la victoire. Son activité et sa vigilance sont continues; et son labeur méthodique ne s’interrompt jamais. D’ailleurs, il joint à sa suprême compétence technique le mérite d’être un économiste et un administrateur hors du pair. Il en a donné maintes preuves tant comme membre du Comité français des expositions à l’étranger. On sait qu’il a son frère comme précieux collaborateur. L’un et l’autre divisent leur temps entre Paris et Besançon, la maison de gros du boulevard Sébastopol et l’usine de la Mouillère. Mais qu’ils soient ici ou là, leur chronomètre ne peut marquer à chacun que l’heure du succès.
Anatole Mauret 28 Avril 1906
Sources :
COUSTANS Marie-Pia et GALAZZO Daniel, Lip, des heures à conter, Édition Glénat, Grenoble, 2017
MAUERHAN Joëlle, Horlogers et Horlogères à Besançon, 1793-1908, un passé prêt à revivre, Édition L’Harmattan, 2018
LIP Fred, Conter mes heures, Édition Parnasse, Paris, 1973
Fond de documentation privé sur la Manufacture Lip, HAOND Clément
www.retronews.fr / Site de Presse de la Bibliothèque Nationale de France, mots-clés : LIPMANN Ernest 1869 à 1943.
www.gallica.bnf.fr / Bibliothèque Numérique de la Bibliothèque Nationale de France, mots-clés : LIPMANN Ernest 1869 à 1943.
memorialdelashoah.org / Recherches sur Ernest LIPMANN et Elisa LIPMANN
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